Souvent perçus comme un enchevêtrement de normes et de contraintes règlementaires, les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) restent, pour beaucoup d’entreprises, un simple exercice de mise en conformité. La multiplicité des textes qui encadrent ces sujets pousse un grand nombre d’entreprises à aborder ces questions sous un angle essentiellement juridique. Et pourtant, lorsque ces enjeux sont portés au plus haut niveau – par la direction et l’actionnariat -, ils offrent une occasion unique de redéfinir le projet d’entreprise au service de la performance globale.
Aujourd’hui, les entreprises font face à une pression croissante : elles doivent à la fois limiter les risques liés au climat (une attente de plus en plus forte de la part des parties prenantes) et identifier de nouvelles façons de créer de la valeur. Investisseurs, régulateurs, consommateurs, employés et ONG attendent, en effet, une transparence accrue dans les communications externes et des résultats tangibles. Transition énergétique et décarbonation, gestion des droits humains et devoir de vigilance, finance durable, maîtrise des risques climatiques etc. les entreprises doivent désormais revisiter leurs modèles d’affaires et intégrer plus largement la dimension durable dans leur stratégie d’entreprise
Sans renier leur ADN ni leurs objectifs commerciaux, intégrer ce nouveau pilier stratégique nécessite pour les entreprises de transformer leurs processus de gestion et de gouvernance. Selon le CxO Sustainability Report 2024 réalisé par Deloitte, plus de 70% des chefs d’entreprise s’attendent à ce que le changement climatique ait un impact significatif sur leur stratégie et leurs opérations au cours des trois prochaines années, et 45% d’entre eux sont d’ores et déjà en train de transformer leurs modèles d’entreprise pour tendre vers des modèles centralisés plus durables1. Ces transformations suscitent d’importants défis pour les entreprises, impactant le modèle économique, le positionnement marché, l’organisation interne, les processus de travail, la gestion des compétences, la rémunération, etc. Portées par leur ancrage local, leur sens de la gouvernance, leur éthique et leur capital réputationnel, les entreprises familiales sont particulièrement bien placées pour s’emparer de ces réflexions stratégiques.
La culture et les valeurs des entreprises familiales leur assurent quelques prédispositions naturelles pour être à l’avant-poste de cette transformation durable. La stabilité du modèle de gouvernance des entreprises familiales favorise par essence la prise d’engagements durables dans le temps long, avec une volonté de valoriser et développer le patrimoine, et de transmettre l’entreprise aux générations futures. La plupart des entreprises familiales ont un ancrage territorial important. Ce lien économique, social (voire émotionnel pour la plupart d’entre elles) très fort avec leur région d’origine peut les conduire à intégrer très naturellement un certain nombre d’engagements locaux dans leur stratégie de développement. La formalisation et la valorisation de ces engagements en faveur de l’activité économique locale (création d’emplois, retombées économiques, mécénat auprès d’acteurs locaux comme des clubs sportifs par exemple) s’inscrivent pleinement dans une démarche sociale de souveraineté, de solidarité et de développement.
Parallèlement, de nombreuses entreprises familiales se révèlent aujourd’hui être pionnières sur des sujets majeurs de gouvernance, de ressources humaines et d’organisation. La place singulière des relations humaines dans les entreprises familiales les rapproche naturellement des bonnes pratiques ESG : partage de la valeur, éthique, bien-être des collaborateurs etc. Autant de thématiques souvent bien intégrées dans le modèle d’affaires des entreprises familiales.
Intégrer ces aspects ESG dans une politique formalisée et mieux partagée auprès des différentes parties prenantes est un exercice qui contribue à la valorisation du projet d’entreprise et parfois à sa redéfinition. C’est aussi à notre avis une réelle opportunité pour les entreprises familiales de valoriser des engagements préexistants et d’accélérer leur transition.
Intégrer les enjeux ESG de manière profonde implique de définir une gouvernance projet, d’établir des politiques et des plans d’actions, d’adopter de nouveaux outils de pilotage et des indicateurs spécifiques, … mais également de sensibiliser les équipes et de susciter leur adhésion.
Comme tout changement de trajectoire et d’organisation, cette transformation pourra susciter de la résistance et il sera alors nécessaire de veiller à l’appropriation collective du projet. Comment assurer l’adhésion de l’ensemble des collaborateurs ? Comment opérer collectivement cette transformation stratégique, aussi culturelle qu’organisationnelle ?
L’ESG est un pilier stratégique à part entière avec des expertises spécifiques : c’est pourquoi de nombreuses entreprises font le choix de constituer une direction dédiée pour y répondre. Toutefois, afin de mobiliser l’ensemble des autres directions clés sur ces sujets et assurer une démarche coconstruite au sein de l’entreprise, la gouvernance nous semble devoir être pensée de manière transversale et horizontale. Les directions des achats, des ressources humaines, et financière devront intégrer ces enjeux dans leur quotidien et ainsi contribuer eux-aussi à la réalisation des objectifs stratégiques.
Anticiper et accompagner le changement au sein de l’entreprise familiale est un facteur clé de succès du projet. Les attentes ne sont pas les mêmes pour tous les collaborateurs et la nature des enjeux peut conduire à devoir distinguer différentes audiences et groupes de travail, pour adapter les messages et mieux cerner les besoins. Des managers aux collaborateurs en passant par les instances représentatives du personnel, l’identification des attentes, impacts et besoins, est centrale pour accompagner efficacement la transformation. Ce travail de cartographie et d’analyse d’impact peut aboutir à la mise en place de programmes de formation, de critères de suivi de la performance ou de plans d’incentive à plus long terme pour aligner le management sur la réussite du projet stratégique par exemple.
Afin de garantir l’adhésion à la transformation par l’ensemble des équipes, une communication claire, adaptée aux différents interlocuteurs se révèle souvent être un facteur déterminant. L’objectif est de susciter l’engagement des collaborateurs mais aussi de donner du sens à la transformation. Rythmé autour de différents temps forts de mobilisation, en amont et en aval de la transformation, le plan de communication doit permettre à chacune des audiences d’être consultée et d’avoir l’opportunité de contribuer au nouveau projet d’entreprise dans une démarche de co-construction (définition du nom du projet, détermination des valeurs, partage de propositions opérationnelles, etc.).
Demain, ce seront certainement les entreprises capables d’intégrer pleinement ces enjeux ESG à leur gouvernance et modèle de développement qui redéfiniront les standards du leadership international. Les entreprises familiales, naturellement positionnées pour être en tête de file de ce mouvement de fond, pourraient-elles alors inspirer un nouveau pacte entre performance économique et utilité collective ?