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Cyberattaques : une menace aux impacts particuliers pour les entreprises familiales

 

Dans un monde où la numérisation s’accélère, les cyberattaques sont devenues une menace systémique pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Leur fréquence augmente, leurs impacts opérationnels et financiers également. Au-delà des conséquences purement informatiques, ces attaques peuvent avoir un impact sur des acteurs clés : clients, partenaires, collaborateurs et investisseurs sont autant de cibles potentielles. Pour les entreprises familiales, l’enjeu est d’autant plus critique que leur exposition touche directement des actifs sensibles : le nom de famille, la réputation, le patrimoine ou parfois le processus de transmission.  

Dans son rapport publié en 2024 "Rapport sur la cybersécurité des family offices"1, Deloitte souligne que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont particulièrement vulnérables aux cyberattaques, et constituent, pour les cybercriminels, une cible plus facile que les grands groupes, plus armés pour faire face à ces attaques. Un rapport de CyberEdge Group atteste d’une augmentation alarmante : 64% des ETI ont signalé une tentative d'attaque cyber en 2021, contre 54% trois ans plus tôt. Elles sont jugées suffisamment riches en données pour être des cibles attractives, et sont considérées souvent moins robustes contre ces attaques. 

L’agilité et la capacité d’innovation des ETI font aussi leur vulnérabilité : elles représentent, à nos yeux, des cibles de choix pour les cybercriminels, attirés par des systèmes souvent moins protégés et des protocoles de sécurité plus fragiles. Lorsque les moyens financiers sont plus mesurés, les investissements en cybersécurité — notamment contre les menaces les plus sophistiquées — ne figurent pas toujours parmi les priorités.

Cette vulnérabilité impose à ces entreprises de réévaluer régulièrement leur maturité et l’adéquation des mesures prises. Elaborer des plans de réponse aux incidents, investir dans des technologies de surveillance proactive, et enrichir la formation continue des employés et dirigeants pour créer une vraie culture de sécurité en entreprise constituent des leviers essentiels. En diversifiant leurs efforts de défense et en adoptant des stratégies proactives, les ETI peuvent renforcer leur défense de manière significative et continuer à investir dans le numérique plus sereinement. 

Quels risques spécifiques pèsent sur les entreprises familiales ? Comment anticiper ces menaces par des choix stratégiques éclairés ? Quelles données doivent être protégées en priorité ? Et enfin, comment évaluer l’effort d’investissement nécessaire à la mise en place d’un niveau de protection adapté ?  

À partir de témoignages de family offices et de dirigeants d’entreprises familiales, cette analyse identifie les zones de tension les plus déterminantes et les leviers d’action prioritaires. 

 

« L’impact des cyberattaques dépasse de loin le cadre de l’informatique »

La réputation, un des actifs les plus précieux en affaires, peut être irréparablement ternie par une cyberattaque. Les exemples sont nombreux. En septembre 2024, le journal La Croix et le groupe Bayard ont subi une attaque par rançongiciel, perturbant leurs publications et affectant leurs outils rédactionnels et commerciaux. Dans le même temps, les enseignes Boulanger et Cultura ont été victimes d'une fuite de données personnelles de leurs clients, compromettant des informations sensibles telles que les noms, adresses et historiques d'achat.  

Autres exemples moins récents avec la société de rencontres Ashley Madison, qui a subi, en 2015, une cyberattaque massive qui a dévoilé les informations personnelles de 37 millions d'utilisateurs, entraînant une perte de confiance massive de la part des clients. Même chose pour Marriott qui a révélé, en 2018, qu'une violation de données avait exposé les informations personnelles de 500 millions de ses clients.   

Si ces incidents n’ont pas mis en péril la pérennité de l’entreprise, ils ont fragilisé leur positionnement et ont indirectement permis aux concurrents de gagner des parts de marché. La sécurité des données est aujourd’hui un enjeu central. L’attaque contre Target en 2013, qui a compromis les informations de cartes de crédit de 40 millions de clients, a non seulement coûté à l'entreprise 18,5 millions de dollars mais a également gravement endommagé sa réputation ainsi que la fidélité de ses clients.  

Une cyberattaque dans un grand groupe peut coûter très cher en termes de réparations, d'amendes et de pertes d'exploitation. En 2017, la société de santé Equifax a subi une attaque majeure, conduisant à une fuite de données personnelles pour plus de 147 millions d’américains. Ce sont des noms, prénoms, adresses, numéros de sécurité sociale... qui ont été dérobés par les cybercriminels. Cette attaque a coûté à l'entreprise plus de 700 millions de dollars en règlements, amendes et coûts de gestion de crise. Même constat pour le groupe Norsk Hydro en 2019, victime d’une attaque par ransomware qui a paralysé les opérations mondiales de l’entreprise et entraîné des pertes financières de l’ordre de 40 millions de dollars en moins d'une semaine.  

Dans le cas d’une entreprise familiale, ces enjeux prennent une dimension supplémentaire : ils engagent directement le nom et le patrimoine de la famille.  

 

 

Une gouvernance familiale pas toujours préparée 

Peu d’entreprises familiales disposent d’un comité de risque formalisé. Les sujets de cybersécurité ne sont pas toujours portés au niveau des conseils de famille ou des comités de gouvernance. Pourtant, les impacts de la cybersécurité relèvent directement de la gestion du patrimoine et de la protection du capital.

Certains family offices l’ont bien compris. Ils investissent aujourd’hui dans des audits de cyber-maturité, réalisent des simulations de crise et exigent de leurs participations un plan de continuité et de gestion des identités. D’autres, en revanche, découvrent le sujet trop tard, une fois la crise déclenchée. 

 

« La résilience numérique est avant tout une question de bon sens »

Comment renforcer sa résilience contre les cyberattaques ? Qu’est-ce qu’une stratégie de défense efficace ? Nous présentons ci-dessous les étapes de la démarche qui nous paraissent essentielles. 

 

 

Réaliser un diagnostic de maturité 

Ce diagnostic doit permettre de connaître son exposition numérique. L’objectif est d'identifier les faiblesses potentielles et les points d'entrée que les cybercriminels pourraient exploiter. Un tel audit, plus ou moins long en fonction de la taille de l’organisation, doit permettre de cartographier l'ensemble des actifs numériques (infrastructures informatiques, processus de gestion des données et pratiques de sécurité en place) et analyser les points d’entrée (ERP, cloud, e-mails, connexions distantes) et les actifs sensibles (données clients, données sociales, brevets).   En janvier 2021, une étude menée par Deloitte a révélé que 74% des entreprises ayant réalisé un diagnostic d'exposition ont pu, grâce à un tel audit, détecter des failles majeures jusqu’alors ignorées. 

 

Prioriser les investissements 

Se prémunir contre 100% des risques n’est pas possible. Une fois l'exposition numérique identifiée, toute entreprise doit prioriser les investissements en matière de cybersécurité. Il est donc recommandé de se focaliser sur les segments d’activité les plus sensibles ou présentant les impacts potentiels les plus forts, par exemple, les systèmes de paiement, les bases de données clients et les infrastructures critiques pour les opérations. Pour faire les bons choix, ou choisir les bonnes priorités, il faut cibler les bons dispositifs : sauvegardes déconnectées, outils de détection d’intrusion, protection des e-mails, cloisonnement des accès, gestion des identifiés.

Ainsi l'accent sera mis sur la protection des informations sensibles et sur la mise en place de systèmes de détection et de réponse rapide aux incidents de sécurité. Le retour sur investissement est très rapide : une journée d’interruption d’activité peut s’avérer très coûteuse, tout mécanisme de prévention est bienvenu. A titre d’illustration, l’entreprise Sony, victime d’une attaque en 2014, a su faire preuve de résilience à travers une politique d’investissement en cybersécurité efficace, se concentrant sur les systèmes de protection des données clients et les technologies de détection des intrusions.  

 

Simuler des crises 

Pour les dirigeants d'entreprises familiales, la reconnaissance de la gravité des cybermenaces est une étape essentielle vers la mise en œuvre de stratégies efficaces de protection et de résilience. Les dirigeants sont parfois peu préparés à faire face aux crises d'origine cyber. Pourtant il est possible de se préparer grâce à des simulations immersives régulières. Les entreprises les plus matures organisent des exercices de gestion de crise avec les dirigeants. Les objectifs sont simples : tester la chaîne de décision, les réactions, les responsabilités, renforcer la culture de la sécurité à tous les niveaux de l’organisation. Dans une étude Deloitte récente, nous constations que 67% des entreprises ayant formé leur comité de direction à la gestion cyber ont réussi à réduire l’impact moyen d’une attaque de 50%.  

 

Assurer le risque cyber 

Le marché de la cyber-assurance se développe, avec des offres adaptées aux PME et ETI. Les assureurs exigent souvent des niveaux de protection minimaux (systèmes de double authentification « MFA », sauvegardes, plans de réponse) dans le cadre de ces contrats. Selon Marsh (2023), le nombre de dossiers indemnisés a bondi de 40 % en deux ans, mais les assureurs deviennent plus sélectifs. Il est essentiel d’anticiper. 

 

Former les collaborateurs et les dirigeants 

La sensibilisation est souvent le maillon faible. Pourtant, 90 % des cyberattaques réussies commencent par une erreur humaine (source : IBM 2023). Des formations simples, régulières, voire ludiques, peuvent faire la différence. 

 

 

La cybersécurité comme facteur de confiance ? 

Certaines entreprises font aujourd’hui de leur résilience cyber un argument commercial. À l’image d’Apple, Samsung ou OVHcloud, la maîtrise de la sécurité devient un facteur de différenciation.  

Pour une entreprise familiale, afficher une stratégie cybersécurité claire, documentée, évaluée régulièrement, c’est aussi renforcer sa crédibilité auprès de ses clients, ses investisseurs et ses partenaires, et protéger dans le même temps la transmission patrimoniale : la digitalisation du patrimoine (ERP, CRM, bases clients, actifs immatériels) impose une nouvelle dimension à la transmission. Le risque cyber doit figurer dans les due diligences, les pactes familiaux, les audits de pré-transmission. Le « patrimoine numérique », au même titre que les actifs financiers ou immobiliers, doit être inventorié, protégé, pour assurer la pérennité de l’entreprise et le succès de sa transmission. 

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