Le raccourcissement du cycle de règlement des valeurs mobilières de T+2 à T+1 aura également un impact sur le Front Office.
La transition vers un cycle de règlement T+1, où les valeurs mobilières1 (actions, obligations d’Etats ou d’entreprises principalement) sont réglées un jour ouvrable après leur exécution contre deux aujourd’hui, est en train de remodeler les marchés financiers mondiaux. Dans l'Union Européenne (UE) et au Royaume Uni, ce changement est prévu pour octobre 2027, après le passage de l'Amérique du Nord à T+1 en mai 2024.
Bien qu'il vise à réduire le risque de contrepartie et à améliorer l'efficacité du capital, le calendrier ambitieux a de profondes implications pour toutes les parties prenantes des marchés financiers, y compris les courtiers, les chambres de compensation, les dépositaires, les gestionnaires d'actifs et les institutions financières.
Selon l’étude « Securities Services Evolution 2024 » de Citibank, aux Etats-Unis le passage à T+1 a eu des impacts significatifs sur plusieurs processus clés. Les domaines les plus touchés ont été l’activité de prêt/emprunt de titres (50 % des répondants), les besoins en funding et appels de marge (49 %), les coûts de funding (42 %) et les « fails » (28 %).
Alors que l'accélération des cycles de règlement a un impact sur la liquidité, la gestion du collatéral, les transactions transfrontalières et pour les OPCVM l'alignement actif du fonds et les parts émises, le Front Office, soit l’ensemble des intervenants à l’origine des opérations (sales, traders, gérants) doit également s'adapter. Nous illustrons dans cet article quelques-uns des défis.
La première chose est que les opérateurs de marché disposeront d’un jour de moins pour se procurer la trésorerie permettant l’achat de titres. Cela suppose de disposer déjà des fonds ou d’engager rapidement les actions pour disposer des financements nécessaires (cession d’autres titres, emprunt, etc.). Cela suppose une visibilité accrue et en quasi-temps réel sur les prévisions de trésorerie à 1 et 2 jours.
L’enjeu est encore plus fort lorsque l’achat du titre est en devise et qu’il faut réaliser des opérations de change (par exemple : swaps de change) pour obtenir les devises nécessaires à la réalisation de la transaction. En effet, en fonction des devises et des heures de cut-off, les délais de réception des fonds en monnaie étrangère peuvent excéder 2 jours et empêcher le financement des titres.
Pour répondre à ces défis, 3 options existent pour gérer la liquidité intra-journalière, notamment pour les parties prenantes buy-side :
Pour la gestion du collatéral, les acteurs du marché pourraient être confrontés à une pression accrue pour respecter des obligations intra-journalières. En effet avec le raccourcissement des délais, des appels de marge (cash) en cours de journée pourraient être plus fréquents.
Lorsque les titres détenus sont mis en pension, on pourrait observer des rappels plus fréquents, voire le jour même pour les cas de substitution des titres mis en collatéral. Cela aura 2 impacts :
Les gestionnaires d'actifs seront confrontés à un autre défi, qui est un plus grand désalignement entre les délais de livraison des actions et obligations détenues par les fonds et les délais qui s’appliquent sur les parts de fonds en cas de souscription et de rachat. En effet, lors d’un investissement, le gérant va demander à ses clients les fonds, et ceux-ci peuvent mettre plusieurs jours à arriver. En parallèle l’investissement sera payé en 1 jour. Des ajustements sont nécessaires pour que les stratégies de placement, en particulier l’investissement dans des titres et la gestion du collatéral, s'alignent sur les nouveaux processus de règlement. Les gestionnaires d'actifs devront adopter des cadres de gestion des risques solides pour faire face à l'augmentation des risques opérationnels.
Le P&L du Front Office est influencé par de multiples facteurs, allant au-delà des préoccupations immédiates des rappels intra-journaliers et de la réduction des produits intérêt y afférente. L’adoption d’un cycle de règlement T+1 aura probablement des effets sur l’écosystème financier, comme en témoignent les pratiques aux États-Unis. Ce changement devrait entraîner une augmentation du nombre d'échecs de règlement des transactions, communément appelés « fails ». De tels échecs ne sont pas simplement des incidents opérationnels ; ils sont assortis de pénalités financières qui exercent une double influence sur le P&L du Front Office (réduction des produits d’intérêts liés au rappel des titres et pénalités en cas de « fail »).
Ces pénalités peuvent être allouées à la maille la plus fine (opération), ce qui permet une attribution précise à des équipes spécifiques du Front Office responsables de ces trades, affectant ainsi directement la performance de chaque équipe. Mais même sans une affectation directe, les opérations de trading au sens large comprennent les coûts afférents, et donc une augmentation des fails ferait grimper les dépenses indirectes, ce qui pèse sur les résultats financiers du Trading.
Au-delà des répercussions financières, une recrudescence des échecs de transactions a des implications plus larges pour le Front Office. Des fails trop fréquents pourraient entacher la réputation de l’entité, la qualifiant de « récidiviste », ce qui aurait non seulement des répercutions financières, mais aussi des implications à long terme. De plus, une insatisfaction des clients à l'égard des problèmes de règlement peut survenir en cas de difficultés récurrentes. Les griefs des clients peuvent éroder la confiance et la fidélité, créant des frictions qui mettent le Front Office au défi de concilier la nécessité d'opérations efficaces avec l'impératif de maintenir des relations solides avec les clients et la qualité du service.
Le passage à T+1 réduit drastiquement la durée de la journée de trading. L'attribution et la confirmation devront être effectuées à T+0, au lieu de T+1 actuellement. Cela signifie que les équipes du Front Office devront optimiser leur part du processus pour répondre à ces nouvelles contraintes de temps. Il est probable qu'un investissement dans la technologie pour automatiser les processus sera nécessaire, y compris l'exécution des transactions afin de minimiser la réduction de la journée de trading et de limiter les impacts P&L.
Les processus manuels deviennent également plus risqués. La résolution des erreurs et la gestion des exceptions, des tâches potentiellement chronophages, sont soumise à une pression accrue. Avec le délai réduit, il y a moins de place pour identifier et rectifier les erreurs avant le règlement. L'intervention manuelle dans les processus expose à des risques opérationnels plus élevés et peut entraîner des coûts supplémentaires si des erreurs entraînent des défaillances de règlement. Le Front Office aura donc moins de marge d'erreur, ce qui mettra les traders sous pression pour s'assurer que tous les détails et confirmations des transactions sont exacts. En raison de la réduction du délai, une plus grande collaboration entre les desks de trading et les équipes des middle/back office sera nécessaire pour assurer un flux de transactions sans faille, de l'exécution des transactions au règlement. Des processus de validation plus stricts et des canaux de communication efficaces sont essentiels pour garantir un règlement rapide et précis.
Les échanges transfrontaliers impliquent plusieurs juridictions, devises et cadres réglementaires, sans compter les différences de fuseaux horaires.
Les investisseurs basés à l’étranger, sur des fuseaux horaires différents (en particulier en Asie), et qui investissent dans des titres de l'UE soumis à T+1 seront particulièrement touchés. Pour pouvoir régler en EUR (ou dans toute autre devise européenne pertinente), un ajustement de leurs processus sera nécessaire, et différentes solutions pourraient être disponibles, comme le montre l'expérience américaine sur T+1 pour les investisseurs de l'UE : préfinancement, exécution de transactions de change avant confirmation de la transaction sur titres, négociation bilatérale de devises, etc.
Les investisseurs mondiaux seront confrontés à des défis en raison du désalignement des délais de livraison entre les différentes juridictions. Les investisseurs qui négocient en USD ou en EUR par rapport à une autre devise auront une fenêtre de financement plus réduite (T+1) qui peut entrer en conflit avec la pratique de la monnaie locale (T+2 ou plus). Une question similaire se posera dans la gestion des fonds mondiaux qui investissent dans des géographies diverses.
Les opérations de change pour les transactions transfrontalières nécessiteront des pressions sur les Front Offices pour préfinancer ou optimiser la couverture de change, en particulier pour les devises émergentes.
Alors que T+1 est souvent présenté comme un défi de back-office, les Front Offices doivent s'adapter de manière proactive :
La transition T+1 n'est pas seulement opérationnelle, elle nécessite de repenser les processus du Front Office pour équilibrer efficacité, risque et rentabilité dans un marché en évolution rapide !
1 Il convient de noter que les dérivés et les prêts/emprunts de titres sont hors périmètre de la réglementation