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Réforme EMIR 3 : êtes-vous prêt ?

Quels défis relever pour les acteurs financiers ?

La réforme EMIR 3, adoptée en novembre 2024, marque une nouvelle étape dans la régulation du marché européen des produits dérivés. Contrairement aux versions précédentes centrées sur la transparence et la réduction du risque systémique, EMIR 3 vise à réduire la dépendance aux chambres de compensation hors UE.

Cette réforme, bien que stratégique pour la souveraineté financière de l’UE, ajoute une pression réglementaire et opérationnelle sur les acteurs financiers, dans un contexte déjà marqué par des coûts de financement élevés et des exigences de marge importantes.

La réforme EMIR 3 marque une nouvelle étape dans la régulation européenne de clearing des produits dérivés. Adopté en novembre 2024, ce texte vient compléter le règlement EMIR initial de 2012 et ses précédentes révisions (dont EMIR Refit), mais contrairement à ses prédécesseurs qui se concentraient principalement sur la transparence et la réduction du risque systémique, EMIR 3 s’inscrit en plus dans une tendance de fond, réduire la dépendance à des chambres de compensation situées hors UE, et favoriser l’émergence de champions européens capables d’absorber une part croissante des flux de dérivés.

Eurex dispose d’une véritable opportunité pour accroître sa part de marché, à condition que les conditions de compensation qu’elle propose deviennent plus compétitives.

Cette réforme intervient alors que les acteurs financiers subissent déjà une pression croissante sur les coûts de financement et les exigences de marge. Avec des taux d’intérêt qui restent assez élevés, et des exigences de marge initiale toujours importantes (364,4 milliards de dollars déposés à mi-2024 pour les IRD et CDS compensés, en baisse de 6,3 % sur un an2), l’optimisation des stratégies de compensation est une priorité. Dans cet environnement, EMIR 3 s’inscrit en décalage avec la dynamique actuelle d’efficience économique et de réduction des coûts.

L’application d’EMIR 3 impose donc aux contreparties une pression réglementaire supplémentaire, en les contraignant à revoir leur organisation, à supporter de nouveaux coûts de mise en conformité, et à faire face à des défis opérationnels majeurs.

Quelles sont les nouveautés d’EMIR 3 ?

Au cœur du dispositif, l’Active Account Requirement (AAR) impose aux contreparties financières de maintenir un compte actif de compensation auprès d’une contrepartie centrale (CCP) agréée dans l’Union, et d’y traiter une part représentative de leurs opérations sur dérivés de taux. À ce jour, seule Eurex Clearing est en mesure d’absorber des flux significatifs sur ces produits.

En plus de l’obligation d’ouverture de compte, les entités concernées doivent :

  • Réaliser régulièrement des stress tests sur leur compte actif dans l’UE pour démontrer sa capacité à absorber des volumes importants en cas de transfert de flux urgent.
  • Reporter annuellement à l’autorité compétente et à l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) des informations détaillées : utilisation du compte, volumes compensés, justification de la représentativité, résultats des stress tests, etc.
  • Documenter les procédures internes, les seuils de déclenchement, les plans de continuité et les critères de représentativité.

À noter qu’une exemption de certaines obligations de reporting peut s’appliquer si l’entité démontre que plus de 85 % de ses nouveaux flux sur dérivés de taux sont compensés via le compte actif en UE.

Quelles entités sont concernées ?

Les entités concernées par l’AAR sont les contreparties financières incluant les banques, les assureurs, les fonds UCITS, les fonds alternatifs et les fonds de pension.

Du côté sell-side, les grandes banques européennes sont en première ligne : elles devront non seulement ouvrir un compte actif dans l’Union, mais surtout y transférer une partie de leurs flux. À l’inverse, du côté buy-side, notamment les gérants d’actifs, l’impact dépendra du modèle opérationnel retenu (compensation directe ou via un clearing broker) et de l’ampleur de leur exposition aux IRS compensés.

Ces nouvelles exigences soulèvent plusieurs défis concrets pour les institutions financières, qui devront adapter leurs organisations et leurs pratiques de marché à tous les niveaux : à la fois le front office, les équipes post-trade et les fonctions réglementaires.

Quels sont les principaux enjeux ?

Stratégies de migration - Défi #1

Les contreparties concernées par l'AAR doivent désormais planifier activement la migration d'une partie de leurs flux vers des CCP européennes. Cela suppose des évolutions contractuelles, des configurations IT et des ajustements opérationnels.

Un gérant d’actifs qui compense directement ses IRS auprès d’une CCP peut, par exemple, choisir d’orienter vers Eurex les nouveaux swaps liés à ses fonds domiciliés dans l’Union européenne, tout en conservant ses expositions historiques sur LCH. Cette approche lui permet de respecter l’obligation du compte actif sans avoir à restructurer l’ensemble de ses positions existantes.

Cette migration initiale implique souvent des évolutions contractuelles (avec les clearing brokers ou contreparties), des adaptations IT, une coordination juridique, ainsi qu’un pilotage fin du dispositif de compensation pour garantir que les flux basculés soient bien pris en compte dans les indicateurs de conformité. En effet, pour que le compte actif soit considéré comme « représentatif », il faut atteindre un minimum de cinq transactions par sous-catégorie pertinente et par an.

 

Optimisation de l’infrastructure multi-CCP - Défi #2

La mise en œuvre de l’AAR conduit à une situation inédite pour de nombreuses contreparties : devoir maintenir deux CCP actives pour une même classe de produits.

Cette double infrastructure génère une complexité opérationnelle importante. Il faut adapter les systèmes de booking, multiplier les connexions techniques, gérer deux flux de marges séparés et organiser la coordination entre deux environnements de clearing sans interopérabilité directe.

Elle oblige les institutions à repenser leurs schémas de fonctionnement et à renforcer leurs moyens humains et techniques. Cela implique également un suivi plus fragmenté des expositions, un risque accru d’erreurs opérationnelles, et une difficulté plus grande à mettre en œuvre des stratégies de compression ou de netting globales. Ces effets indirects peuvent accentuer les coûts, allonger les délais de traitement, et nuire à la réactivité globale des institutions en cas de stress de marché.

 

Optimisation de la stratégie d’allocation des dérivés par chambre - Défi #3

Une fois la décision de migrer une partie des flux vers une CCP européenne prise, les contreparties doivent créer ou adapter leur stratégie d’allocation des transactions par chambre. Il ne s’agit plus simplement de choisir quoi migrer, mais de définir comment répartir les nouveaux trades entre les différentes infrastructures, en tenant compte des contraintes de couverture, de netting, de coût et de conformité réglementaire.

Fragmenter les flux entre LCH et Eurex peut entraîner un dénetting involontaire : des positions jusque-là nettes deviennent brutes, ce qui alourdit le bilan et augmente les exigences de marge et les coûts de financement.

Par exemple, une banque qui compense un swap payeur 10 ans sur LCH et un swap receveur 10 ans de même notionnel sur Eurex verra ces deux positions considérées comme indépendantes par les CCP, alors qu’elles se neutralisent économiquement. L’impossibilité de les compresser ensemble entraînera un double appel de marge, et une charge inutile sur le bilan.

Ce défi implique également de répondre aux nouvelles exigences de reporting : les contreparties doivent démontrer que l’utilisation de leur compte actif dans l’UE est suffisamment significative pour être jugée représentative. Cela suppose de suivre précisément les volumes compensés, de réaliser régulièrement des stress tests et de transmettre aux autorités des rapports détaillés (justification des flux, résultats des tests, seuils atteints, etc.).

Ce défi suppose donc de revoir la logique d’exécution des transactions, parfois d’arbitrer entre efficacité économique et conformité réglementaire, ou encore de privilégier des stratégies hybrides, en ne compensant qu’un volume minimum de dérivés dans l’UE pour respecter l’AAR, tout en maintenant l’essentiel des positions sur une CCP principale.

EMIR 3 reflète deux dynamiques opposées : d’un côté, une volonté politique de l’Union européenne de rapatrier une part significative du marché de la compensation pour des raisons de souveraineté. De l’autre, une pression économique accrue qui pousse les institutions financières à rechercher l’optimisation maximale de leurs coûts, en particulier dans un environnement marqué par des taux d’intérêt élevés et des exigences de marge contraignantes.

Les nouvelles obligations comme le compte actif, les stress tests, le reporting de plus en plus exigeant engendrent une complexité et un coût significatif, notamment du fait de la coexistence de deux CCP sans interopérabilité. Le risque de dénetting, l’augmentation des appels de marge et la perte d’efficience sur les stratégies de couverture sont autant de défis que devront gérer les acteurs pour se conformer à la réglementation tout en maintenant leur compétitivité.

Malgré l’ambition politique, le dispositif actuel ne garantit pas que les flux migreront de façon substantielle vers les CCP européennes. Faute d’incitations économiques suffisantes, de nombreux acteurs pourraient se limiter à une conformité minimale, sans changer structurellement leur modèle de compensation.

En conséquence, le non-respect de l’objectif politique pourrait à terme justifier un durcissement réglementaire, par exemple via des exigences quantitatives plus strictes ou un élargissement du périmètre de l’obligation.

Dans cette optique, une révision future du statut de LCH Ltd comme CCP tierce reconnue pourrait être envisagée. Le règlement est entré en vigueur le 24 décembre 2024. Les contreparties concernées par l’AAR disposent de six mois pour se mettre en conformité, soit jusqu’au 25 juin 2025. Toutefois, de nombreuses modalités techniques (fréquence des stress tests, contenu exact du reporting, définition des sous-catégories pertinentes) restent en attente de précisions via les RTS encore en cours de finalisation par l’ESMA.

Reste à observer si les acteurs anticiperont rapidement les exigences pour éviter un durcissement ultérieur, ou si des sanctions seront nécessaires pour faire respecter les objectifs.

L’efficacité réelle du dispositif ne pourra être mesurée qu’à l’aune des comportements de marché et de l’atteinte ou non des effets escomptés.

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