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Trois questions à Anne-Delphine Beaulieu (Groupe LISI)

Fondé en 1777, LISI est devenu un acteur clé de l’assemblage pour l’aéronautique, l’automobile et le médical. Toujours sous contrôle familial, le groupe a su conjuguer héritage industriel et ouverture aux marchés financiers. Présent sur 42 sites dans 13 pays et comptant plus de 10 000 collaborateurs, l’entreprise place l’innovation et l’excellence opérationnelle au cœur de sa stratégie, comme le souligne Anne-Delphine Beaulieu, Chief Digital Officer et Chief Sustainability Officer. 

 

Comment la technologie transforme-t-elle LISI et son secteur ? Quels leviers de valeur sont nécessaires et comment l’entreprise doit-elle se réadapter pour répondre aux défis futurs ? 


Notre secteur est entré dans une nouvelle ère : les machines ne sont plus seulement mécaniques, elles produisent et exploitent des données. Là où l’excellence opérationnelle reposait sur l’optimisation humaine des outils, elle intègre désormais aussi la gestion des données et l’anticipation des variations en temps réel. Les ingénieurs doivent passer d’une approche technique à une logique data-driven, où l’ajustement des paramètres devient proactif plutôt que correctif. 


Chez LISI, le virage est enclenché, mais il implique une montée en compétences des équipes. Il ne s'agit pas seulement d’adopter de nouvelles technologies, mais de repenser les métiers : allier savoir-faire traditionnel et maîtrise des outils numériques pour exploiter pleinement le potentiel des machines augmentées, des robots collaboratifs et des algorithmes prédictifs. 

L’innovation prend de l’ampleur grâce aux nouvelles capacités de calcul et de modélisation, offrant des perspectives inédites pour la création de valeur. La clé du succès réside dans la gestion optimale des données et l’intégration de l’intelligence artificielle, deux leviers essentiels pour générer de nouvelles opportunités pour les employés et l’entreprise. Pour organiser et partager l’information à l’échelle du groupe, une gouvernance transverse devient incontournable. Concrètement, cela pourrait passer par la création d’une data factory hybride, pensée pour répondre à la fois aux besoins locaux et aux exigences globales. En mobilisant des experts capables de naviguer entre ces deux niveaux, cette approche favoriserait l’unification des meilleures pratiques et accélérerait la transformation digitale du groupe. 

 

Comment préserver ses valeurs humaines tout en accélérant sa transformation technologique ? 


Entreprise familiale transmise depuis neuf générations, nous plaçons l’humain au cœur de notre transformation technologique. Plutôt que de supprimer des métiers, nous les redéfinissons. Grâce à une stratégie de workforce planning élaborée avec une start-up, nous cartographions les compétences, suivons leur évolution et anticipons les besoins futurs. 

Tous les métiers se transforment. Par exemple, les fonctions financières évoluent : l’objectif n’est pas de remplacer, mais d’enrichir les rôles, en permettant aux collaborateurs de se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée, comme l’analyse des données ou la détection des fraudes. Pour cela, nous mettons en place des formations sur mesure, garantissant ainsi la sécurité des emplois et le développement des compétences. 

Préserver nos valeurs humaines, c’est offrir à chacun les moyens de se projeter dans l’avenir. Cela repose sur une culture de l’apprentissage permanent, portée par des managers-mentors, qui accompagnent leurs équipes dans cette évolution. Une approche qui concilie croissance durable, respect des valeurs humaines et utilisation de la technologie comme levier de développement, plutôt que comme facteur de rupture. 

 

Comment concilier performance économique à court terme et vision de long terme, et quel rôle la gouvernance doit-elle jouer aux côtés de la direction pour garantir cette trajectoire ? 


Il est indispensable de repenser l'écosystème et les filières. Dans le secteur aérien, par exemple, un pôle technologique réunissant grands donneurs d'ordre et sous-traitants pourrait faciliter le partage de technologies, encourager l'innovation collaborative et rendre la filière plus agile. Un tel modèle est essentiel pour les sous-traitants qui, seuls, n'ont pas les moyens d’investir massivement. Il faudrait également que l’État, les grands industriels et la BPI soutiennent cette dynamique via des initiatives comme France 2030, afin de garantir un cadre souverain et équitable. 

Contrairement à la trajectoire carbone, rendue obligatoire par la réglementation, il n’existe pas de cadre incitatif pour moderniser les entreprises sur le plan technologique. Il est donc crucial d’inciter les équipes dirigeantes à s’engager activement dans la transformation numérique. Des formations continues de quelques jours par an, avec des thématiques au choix et des immersions sous forme de learning expeditions dans des entreprises data-driven, qu'elles soient issues de la tech ou de secteurs plus traditionnels, seraient un levier puissant pour accélérer cette prise de conscience. 

Sans une gouvernance véritablement engagée, aucune avancée n’est possible. La conviction du dirigeant est primordiale : il doit prendre la pleine mesure des défis, allouer les ressources nécessaires et intégrer les actifs immatériels (données, logiciels, R&D) dans la stratégie de création de valeur. La culture familiale de notre entreprise et de transmission générationnelle favorise cette vision de long terme. Le défi est davantage sur l’agilité organisationnelle que sur la vision. De plus, l’inclusion d’administrateurs issus de la tech, de la finance et de la RSE viendrait enrichir les perspectives stratégiques. Enfin, les fédérations professionnelles, telles que le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) ou la Plateforme automobile (PFA), devraient jouer un rôle plus actif dans la coordination de projets communs, afin de mieux accompagner les PME et ETI, qui ne pourront réussir leur transformation seules. 

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