A la tête de Legallais, une des filiales et marques du Groupe et référence incontournable dans la quincaillerie professionnelle depuis près de 25 ans, Philippe Casenave-Péré n’a pas hérité de cette entreprise familiale centenaire : il l’a reprise. Avec le soutien d’une partie de la famille fondatrice et d’un fonds d’investissement, il fait ouvrir le capital aux dirigeants clés, puis progressivement à l’ensemble des salariés, assurant ainsi la pérennité de l’entreprise.
Après avoir contribué au redressement d’une société fragilisée, qui avait déposé le bilan en 1984, il découvre, quelques années plus tard, que certains actionnaires envisagent de céder l’entreprise. En 1999, alors qu’il occupe le poste de directeur général salarié — et divorcé depuis plusieurs années de la fille de la famille fondatrice — il décide de prendre une initiative majeure : mettre en place un LBO et associer les managers et salariés au capital.
Aujourd’hui, sous l’égide de sa maison mère Le Grand Comptoir, Legallais emploie 1 450 collaborateurs et affiche un chiffre d’affaires de 425 millions d’euros. Plus de 700 salariés sont désormais actionnaires, incarnant une vision méritocratique du partage de la valeur.
L’actionnariat salarié chez Legallais répond à une volonté claire : sortir du modèle patrimonial traditionnel pour bâtir une entreprise plus méritocratique. L’héritage ne suffit pas à faire de bons dirigeants. Après le LBO de 1999, il m’était impensable d’entrer seul au capital. Cinq directeurs avaient été en première ligne du redressement : ils méritaient d’en être. Ce fut une question de justice, de reconnaissance, mais aussi d’efficacité collective.
Très vite, cette approche s’est étendue à l’ensemble des collaborateurs. Il me paraît essentiel que chacun puisse, à son niveau, se constituer un capital – modeste ou significatif – grâce à son engagement dans l’entreprise. Dès qu’un salarié devient actionnaire, son attachement à l’entreprise évolue, et la cohésion collective s’en trouve renforcée. C’est là toute l’ambition d’une vision familiale réinventée : dépasser l’héritage pour bâtir un projet commun où performance, confiance, mérite et partage se conjuguent.
Le dispositif repose sur deux niveaux. D’abord, au sein de la holding La Financière du Grand Comptoir, créée lors du LBO de 1999, une quarantaine de cadres – principalement issus de Legallais – détiennent aujourd’hui entre 5 et 6 % du capital.
Cela repose sur un mix d’attributions gratuites d’actions et de mécanismes internes de rachat-revente. Ce système permet à des managers engagés de se constituer un véritable patrimoine. Ensuite, chez Legallais, nous avons mis en place le FCPE Legallais Avenir après le retrait du fonds d’investissement initial. Il permet aux salariés d’investir leur intéressement ou leur participation dans l’entreprise. Lors de la première souscription en 2008, seule une dizaine de collaborateurs avaient franchi le pas. Aujourd’hui, près de 700 salariés – soit la moitié des effectifs – en sont actionnaires. Le FCPE bénéficie d’une décote d’environ 10 % à la souscription, sans abondement de l’entreprise. Malgré cela, l’engagement des salariés reste fort, porté par la confiance et des performances solides, avec des rendements annuels compris entre 12 et 15 %.
Le FCPE détient aujourd’hui 6 % du capital de la filiale, et nous continuons à ouvrir régulièrement de nouvelles campagnes de souscription.
Aucune communication commerciale ne soutient ce dispositif strictement encadré par l’AMF – et pourtant, son succès est indéniable. Ce sont les exemples concrets, partagés en interne, qui favorisent l’adhésion au projet d’entreprise.
La mise en place du FCPE a d’abord rencontré plusieurs freins : lourdeurs administratives, manque de conseils spécialisés, et un accompagnement limité des banques régionales à l’époque. Un autre défi majeur concernait la valorisation des actions : dans une entreprise non cotée, l’absence de cours boursier peut alimenter des doutes et des suspicions.
Pour lever ces obstacles, nous avons instauré des pratiques rigoureuses. La valorisation du FCPE est encadrée par la loi et réalisée par un expert indépendant, garantissant transparence et équité. Pour la holding, elle repose sur des transactions réelles avec des investisseurs, offrant des références fiables malgré l’absence de marché public. Ces mécanismes renforcent la crédibilité et la lisibilité du dispositif. La gouvernance joue un rôle central dans cette démarche.
L’actionnariat salarié doit être porté par les actionnaires eux-mêmes, avec un alignement clair sur les valeurs de l’entreprise. Un représentant des actionnaires managers siège au conseil de surveillance, et le FCPE est présent aux assemblées générales de la filiale, assurant une représentation effective des salariés actionnaires. Enfin, nous veillons à maintenir un dialogue continu avec l’ensemble des collaborateurs : réunions d’information, visioconférences, bulletins sur la valorisation des actions et la santé de l’entreprise… Ce relais d’information régulier aligne durablement les intérêts des salariés sur ceux de l’entreprise. Après tout, on parle de leur argent : cela exige clarté, transparence et fiabilité.