Dans le monde des fusions et acquisitions, évaluer la juste valeur des actifs et passifs acquis est essentiel pour déterminer le bon prix d'acquisition. Cela revêt aussi une grande importance en termes de comptabilité d’acquisition et d'impacts associés sur les états financiers consolidés de l'acquéreur. L'exercice d'allocation du prix d'acquisition (ou PPA en anglais) peut avoir des impacts significatifs dans la structure des rapports financiers et de la performance future du nouveau groupe. Ainsi, ses potentiels impacts doivent être anticipés le plus tôt possible dans le processus M&A pour prendre une décision d'investissement éclairée, pouvant parfois avoir des impacts comptables et prudentiels défavorables pour l’acquéreur.
Un exercice de PPA désigne le processus d'allocation du prix d'acquisition payé par un investisseur aux actifs identifiables acquis et aux passifs assumés. Cet exercice est généralement mené conformément aux normes comptables telles qu’IFRS3R sur les regroupements d'entreprises. Que signifie cela en pratique ?
Exemple : la société A souhaite acquérir la société B. Le prix d’acquisition envisagé est de 100 millions d'euros pour un actif net comptable de 80 millions d'euros. L’écart d’acquisition attendu serait donc de 20 millions d'euros, et ce sans prendre en compte l'exercice de PPA qui consistera à déterminer la juste valeur du bilan acquis, conduisant à un actif net comptable réévalué et donc un écart d’acquisition ajusté.
Les parties prenantes côté acheteur doivent également avoir conscience qu'un transfert d’actif ou asset deal peut être qualifié de combinaison d'entreprise selon IFRS3R s’il implique à la fois l’acquisition d’un « input » et d’un « processus substantiel », générant ensemble des « output ».
Dans les deux cas, un exercice de PPA peut modifier significativement le bilan et le compte de résultat consolidé de la banque acquéreuse. La valorisation d’actifs incorporels tels que les portefeuilles de prêts ou les relations clients peuvent impliquer des charges d'amortissement accrues, impactant le futur revenu net consolidé. Au bilan, un PPA peut modifier certains ratios financiers clés et la perception des investisseurs externes. D'un point de vue réglementaire, tous les intangibles, y compris un écart d’acquisition positif (ou goodwill), sont déductibles du capital prudentiel avec un impact direct sur les ratios de solvabilité, y compris le CET1.
Les principales composantes explorées lors d’un exercice de PPA sur un établissement bancaire comprennent notamment :
Certaines de ces composantes sont relativement standard, telles que l'immobilier ou les portefeuilles de titres pour lesquels la juste valeur est plus facilement déterminable, surtout lorsqu'un marché actif existe fournissant ainsi un point de référence commun. Le sujet devient plus complexe lorsqu’il s’agit de portefeuilles de prêts ou de dépôts clients dont la juste valeur (JV) peut matériellement affecter l'économie de la transaction et pour lesquels une part de subjectivité plus grande peut exister.
La juste valeur d'un portefeuille de prêts est une estimation du montant qui serait reçu lors d'une transaction ordonnée entre participants de marché à la date du closing de l’opération. Elle prend en compte plusieurs facteurs, y compris le risque associé aux prêts, les flux de trésorerie attendus et les conditions de marché du moment. La solvabilité des emprunteurs du portefeuille est un déterminant clé : les prêts à des emprunteurs plus à risque peuvent être évalués à la baisse en raison d’une probabilité accrue de défaut. L'un des facteurs les plus critiques est cependant le taux d'intérêt, car les taux actuels de marché impactent directement la valeur actuelle des flux futurs de trésorerie du portefeuille de prêts. Avec la hausse des taux d'intérêt, la JV des prêts à taux fixe diminue, et inversement. Reprenons l'exemple de la Société B : son portefeuille de prêts est de bonne qualité de crédit mais porte un rendement moyen de 1 %, tandis que des prêts comparables sur le marché sont offerts à 4 % actuellement. Quelle est donc la valeur d'un tel portefeuille ? Un acteur du marché ou un calcul actuariel conclurait : « inférieure à sa valeur comptable ». Et c'est précisément ce qui a impacté certaines transactions M&A dans le secteur bancaire au cours des dernières années. La Société B possède un portefeuille de prêts de 50 millions d'euros qui a une juste valeur de 30 millions d'euros. La différence de 20 millions d'euros impactera l’actif net comptable acquis, le faisant passer de 80 millions d'euros à 60 millions d'euros, induisant une survaleur de 40 millions d'euros au lieu de 20 millions d'euros initialement.
On pourrait dire que c’est la JV d’un dépôt est sa valeur nominale, mais ce n’est pas toujours le résultat d’un exercice de PPA. Un dépôt ne peut pas être comptabilisé en dessous de sa valeur nominale (IFRS 13). Cependant, de la même manière que certains contrats peuvent comporter des avantages concurrentiels impliquant de considérer un intangible, la part stable des dépôts d’un établissement bancaire acquis dans une combinaison d'entreprises, peut représenter une source de financement relativement peu coûteuse par rapport à des conditions de refinancement de marché. La détermination de cet intangible ou Core Deposit Intangible (CDI) implique généralement d’estimer la valeur actuelle des économies de coûts attendus entre une base de dépôts et un refinancement externe à conditions de marché. Ce CDI sera inscrit dans les états financiers consolidés de l'acquéreur, et comme tous les intangibles, il sera déduit du capital prudentiel du groupe acquéreur.
Contrairement à un ajustement de JV sur un portefeuille de titres, un ajustement de JV sur un portefeuille de prêts et de dépôts clients peut rester abstrait pour un vendeur. Comment de tels concepts peuvent-ils affecter les considérations d'acquisition ? Les parties prenantes impliquées dans un processus M&A doivent ainsi faire face à une problématique complexe qui se situe à l'intersection du M&A, de la valorisation et de la comptabilité. L'environnement de taux d'intérêt en hausse qui a suivi une décennie de taux historiquement bas implique encore des ajustements de JV significatifs qui peuvent parfois entraîner l'échec d’une transaction, alors que tous les participants font face à une impasse.
Une solution possible réside dans le fait qu'acheteur et vendeur conviennent de supporter conjointement l'impact d'un futur PPA. Du fait que les ajustements de PPA sur les actifs et passifs acquis se retourneront dans le temps, un ajustement négatif sur un portefeuille de prêts générera des revenus à l'avenir à mesure que l'ajustement s'amortit. Les considérations de valorisation et de prix pourraient donc inclure la valeur actualisée de tout ou partie des impacts anticipés d'un PPA, y compris leur retournement, et ce pour parvenir à un accord.
Nous nous sommes penchés de près sur les éventuels impacts d'un exercice de PPA sur des portefeuilles de prêts et de dépôts clients. Mais un PPA demeure plus complexe que cela :
Les considérations autour d'un exercice de PPA pour un établissement bancaire (y compris parfois les transactions d'actifs ou asset deals) doivent être anticipées dès que possible dans un processus transactionnel, car elles peuvent constituer des deal breakers. Les impacts matériels d'un PPA liés aux portefeuilles de prêts et aux dépôts clients sont encore relativement nouveaux pour de nombreux acteurs du M&A en France et nécessiteront adaptabilité, flexibilité et ingéniosité pour devenir une caractéristique standard des transactions, conduisant finalement à des pratiques de marché courantes. En parallèle, les effets positifs potentiels d’un PPA pour un acquéreur pourraient également être pris en compte en amont, par des cédants pour aider à maximiser la valeur de la cible. Par ailleurs, une communication claire et efficace des résultats d’un exercice de PPA aux investisseurs est essentielle car elle influencera directement la perception du marché et la valeur des actionnaires. Des explications transparentes des ajustements comptables et de leurs implications peuvent aider à atténuer un éventuel sentiment négatif et à soutenir la stabilité du cours des actions. Une compréhension approfondie de tous les aspects d’un PPA offre une vision plus globale de ses impacts sur les transactions M&A dans le secteur bancaire, garantissant que les sujets critiques soient anticipés et gérés efficacement pour permettre des transactions réussies.