Article co-écrit par Julien Maldonato, associé Stratégie et confiance numérique chez Deloitte Conseil avec l’appui d’Augustin du Besset, manager Stratégie en services financiers chez Deloitte et Pierre-Nicolas Hurstel, co-fondateur et CEO d’Arianee et Mélanie Bradaia, Head of Revenue chez Arianee.
Le Passeport Numérique des Produits ou Digital Product Passport (DPP) est un identifiant numérique unique associé à un produit physique, centralisant toutes les données pertinentes : conformité réglementaire, caractéristiques techniques, historique d’usage, services associés. Plus qu’une simple évolution règlementaire, c’est une révolution stratégique qui redéfinit les règles du jeu pour l'industrie européenne, dont les premiers produits concernés devront être équipés dès 2027 (batteries notamment).
Initialement introduit par le Règlement sur l’écoconception des produits durables (ESPR) pour soutenir la durabilité et la circularité, il prend aujourd’hui une dimension nouvelle. En effet, la publication du paquet de mesures de simplification Omnibus IV1 par la Commission européenne fin mai 2025 élargit son rôle : le DPP est désormais pensé comme un outil majeur de simplification administrative dans le marché unique européen. Envisagé par le régulateur comme vecteur d’efficacité et d’accélération de la transition digitale de l’économie, il sera au cœur de nombreuses procédures clés des acteurs économiques (déclarations de conformité, échanges avec les autorités, dédouanement, etc.).
À ces missions s’ajoutent d’autres opportunités stratégiques : accompagner la durabilité des produits et enrichir l’expérience client via de nouveaux services, permettant de passer de modèles de croissance linéaire à une économie circulaire dans laquelle la croissance ne provient plus seulement de la hausse de la production.
C’est pourquoi il est essentiel d’engager la transformation dès aujourd’hui, tout en restant attentif aux évolutions réglementaires attendues dans les prochains mois – les premiers actes délégués étant prévus pour début 2026 pour les secteurs prioritaires (batteries et textile).
La Commission européenne a pour objectif de simplifier les échanges de données et les rapports numériques, au service de la compétitivité des entreprises. Aux côtés d’autres outils comme le futur EUDI Wallet2, les DPP contribueront à établir un écosystème cohérent de solutions numériques pour les acteurs économiques et les citoyens.
Initialement positionné pour la transparence et la circularité, le DPP est désormais consacré par la proposition Omnibus IV comme une infrastructure centrale pour la conformité, la déclaration et la simplification administrative, applicable à tous les secteurs. La Commission Européenne a d’ailleurs identifié la simplification des démarches et la digitalisation parmi une série de mesures pouvant réduire le coût administratif de près de 400 millions d’euros par an pour les entreprises3.
Avec Omnibus IV, il contribue à réduire les principales barrières identifiées par les entreprises – parfois qualifiées de terrible ten4 – en particulier :
Les opérations administratives qui pourront gagner en efficacité et fiabilité sont de plusieurs ordres :
Enfin, la Single Market Strategy5 présentée fin mai 2025 vise à approfondir et à moderniser le marché unique de l'Union européenne. L'objectif principal est de libérer le potentiel du marché unique en éliminant les obstacles restants au commerce et à la libre circulation, en s'adaptant aux nouvelles réalités économiques. Les objectifs clés de cette stratégie sont d’améliorer la mobilité des biens et des services, de promouvoir la numérisation, de renforcer la confiance et de soutenir la transition verte.
Le DPP joue un rôle crucial en agissant comme un outil concret pour atteindre ces objectifs de modernisation et de durabilité.
Harmonisation et standardisation des informations sur les produits à travers l'UE, facilitant la libre circulation des marchandises.
Soutien à la transition verte et à l'économie circulaire en rendant les informations sur la durabilité, la réparabilité et la recyclabilité facilement accessibles, il encourage les choix de production et de consommation plus durables.
Renforcement de la confiance des consommateurs en fournissant des données fiables et transparentes sur les produits.
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Le DPP agit comme un connecteur entre différents systèmes et outils numériques au sein de l’Union européenne. Il s’inscrit dans une logique d’interopérabilité, garantissant que les données produits puissent circuler en toute sécurité et être réutilisées dans de multiples contextes réglementaires et opérationnels. Cette capacité à relier entre eux les outils et registres européens permet de limiter la duplication des informations, de fiabiliser les échanges et d’accélérer les processus, du contrôle douanier à la mise sur le marché.
Simplification administrative
En attachant la donnée au produit, le DPP devient un outil clé de simplification et un jumeau numérique évolutif unifiant des données aujourd’hui fragmentées (PLM/PIM, ERP, SAV, recyclage, plateformes de déclarations françaises et européennes, etc.). Il peut ainsi être utilisé comme support unique et cohérent de données de conformité à travers plusieurs réglementations.
Durabilité et expérience client enrichie pour des revenus tirés de la circulation des produits dès aujourd’hui
Les entreprises seront gagnantes en ne se limitant pas à la conformité : l’avantage compétitif viendra aussi de leur capacité à soutenir la durabilité et l’expérience client en capitalisant sur le DPP.
Attendre la publication de l’acte délégué final, c’est s'exposer à un retard sur la concurrence, un manque de contrôle sur son architecture future, et le risque de subir la transformation plutôt que de la piloter (coûts plus élevés à terme, perte d’agilité). Trop souvent, les marques freinent dans l’attente de connaître les schémas de données attendus, alors que la véritable complexité relève plutôt de l’évaluation des impacts opérationnels, du change management, ou encore de l’intégration du DPP dans une stratégie corporate globale (notamment en matière de services). S’adapter aux schémas de données attendus par le régulateur a posteriori sera, a contrario, relativement simple techniquement.
Le DPP est un outil de transformation industrielle qui place la donnée au centre. Il décloisonne les silos (conformité, produit, marketing, SAV) en offrant une vision unifiée et collaborative de la donnée produit dans des écosystèmes ouverts. Il permet de générer des KPIs concrets sur la performance et la durée de vie des produits, essentiels dans un monde où les modèles de production linéaires ne sont plus compatibles avec les limites planétaires.
Plus encore, il ouvre la voie à des modèles serviciels circulaires, où les revenus proviennent de la circulation des produits et de la proposition de services à valeur ajoutée tout au long de leur cycle de vie (leasing, entretien, seconde main, etc.), et à une expérience client enrichie et unifiée auprès des propriétaires successifs.
Si la valeur ajoutée potentielle du DPP est aujourd’hui bien identifiée, ses fondamentaux techniques doivent encore être précisés par le régulateur. Dès aujourd’hui, plusieurs chantiers peuvent toutefois être lancés de manière pragmatique.
Un projet DPP abouti nécessite une approche structurée, combinant deux chantiers parallèles :
Étapes clés détaillées :
Points clés de réussite :
Les acteurs qui anticipent s'adapteront plus facilement aux futures normes tout en tirant des bénéfices business, circulaires et opérationnels.
Depuis la publication d’Omnibus IV, le Digital Product Passport (DPP) devient le support normatif, logistique, commercial et réglementaire des produits en Europe. Au-delà de la conformité, il est un levier de simplification, un accélérateur de durabilité et un catalyseur d’expérience client. Les entreprises qui anticipent cette mutation optimiseront leurs coûts de gestion administrative et pourront se concentrer sur la création de valeur.
Plusieurs chemins s’ouvrent : que ce soit par l'optimisation des processus internes, l'innovation produit, une meilleure compréhension des cycles de vie des produits au servicede leur durabilité, ou la création de services à haute valeur ajoutée au service de l’expérience client (B2B et B2C). Ces approches permettent de propulser les acteurs économiques à l’avant-garde de leur secteur, non pas en tant que suiveurs mais en tant que leaders éclairés.
Les entités qui embrassent cette dynamique peuvent redéfinir les paradigmes actuels, alliant croissance, durabilité, et expérience client enrichie.