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Comptabilité carbone et traçabilité

Focus sur les enjeux de traçabilité pour la séquestration carbone

Article co-écrit par Simon Benzoni, Senior Consultant, Gabriella Cevallos et Maëlys Paquette, Managers dans les équipes Sustainability de Deloitte France. 

Le référentiel SBTi Forest Land and Agriculture (FLAG) permet aux organisations d’établir des objectifs de réduction nette des émissions spécifiques au secteur des terres. Depuis sa publication, plus de 100 entreprises ont déjà pris des engagements climatiques validés par SBTi et alignés avec une ambition +1,5°C.   

L’une des exigences du référentiel SBTi FLAG est l’alignement de la comptabilité carbone du secteur des terres avec les règles du GHG Protocol « Land Sector and Removals Guidance » (LSRG). Une première version provisoire de ce document a été publiée en 2022, la version finale étant attendue pour fin 2025. 

Plus spécifiquement, le GHG Protocol LSRG définit les règles permettant aux entreprises de valoriser :  

  • Des pratiques agricoles plus durables (Land Management – LM) ; 
  • La réduction des émissions liées aux changements d’usage des terres (Land Use Change – LUC) ; 
  • L’augmentation de la séquestration carbone dans les sols et la biomasse (Removals). 

La séquestration carbone, optionnelle, apparaît comme un nouveau levier d’action à la disposition des entreprises pour atteindre leurs engagements climatiques. Selon les secteurs et les produits, l’outil de simulation SBTi FLAG prévoit entre 30% et 50% des efforts nécessaires portés par la séquestration.  

Mais alors, comment comptabiliser la séquestration mise en place par votre amont agricole au sein du bilan carbone de votre entreprise ?  

 

Le critère de traçabilité est clé pour comptabiliser la séquestration carbone au sein du bilan carbone d’une entreprise 

 

Selon la version provisoire du GHG Protocol LSRG, la séquestration carbone peut être revendiquée si les critères suivants sont respectés : 

La faisabilité, le coût et les exemples d’actions à mettre en place pour un meilleur alignement avec ces critères sont spécifiques à chaque filière (bovin viande, bovin lait, arboriculture, céréales etc.). Ce niveau d’analyse et de recommandations fait partie des services proposés par l’équipe Agri-food de Deloitte.

Ces critères n’ont a priori pas vocation à être substantiellement modifiés dans la version finale du GHG Protocol LSRG. Seul le critère de traçabilité au sein de la chaîne de valeur reste discuté et central.  

 

L’approche par région d’approvisionnement est une alternative lorsqu’il est impossible de disposer d’un niveau de traçabilité jusqu’à la parcelle ou l’exploitation agricole 

 

La traçabilité fait référence à la capacité d’une entreprise à identifier et suivre l’origine et les caractéristiques d’un produit, à chaque étape de la chaîne de valeur.  
Pour comptabiliser la séquestration carbone, le GHG Protocol LSRG stipule que le carbone séquestré doit pouvoir être tracé physiquement jusqu'aux réservoirs de carbone concernés (parcelle/zone récoltée et/ou unité de gestion des terres), afin de garantir que les principes de permanence, d'exactitude et de prudence sont respectés.   

Il est donc nécessaire d’accroître la traçabilité et la transparence au sein des chaînes d’approvisionnement agricoles. Cette nécessité s’étend d’ailleurs bien au-delà de la comptabilisation carbone (ex : devoir de vigilance). En revanche, il s’agit de définir un équilibre pour éviter que des investissements massifs dans les systèmes de traçabilité se fassent au détriment des financements nécessaires à la mise en place de pratiques agricoles plus durables.   

Or, mettre en place une traçabilité physique précise n’est pas toujours aisé, voire irréaliste, dans le cadre de filières fragmentées et multi-acteurs, et peut être extrêmement coûteux. Prenons l’exemple d’une filière bovine allaitante en France, transformée localement et à destination de la restauration scolaire. La déclaration des animaux par les agriculteurs auprès de l’Etablissement de l’Elevage (EDE), rattaché aux Chambres d’Agriculture, est obligatoire et permet ensuite de tracer les animaux tout au long de la chaîne de valeur, via les numéros de lots permettant de remonter aux numéros d'identification uniques de chaque animal.  


A l’inverse, dans le cas d’une chaîne de valeur mondialisée comme le café, les intermédiaires peuvent être extrêmement nombreux entre la parcelle de production et le torréfacteur, et les cafés verts provenant de différents pays peuvent être mélangés dans des « blends ». Il n’est alors souvent pas possible de remonter au-delà du pays d’approvisionnement dans la chaîne de valeur (sauf pour les cafés de spécialité).   

C’est pourquoi une alternative moins exigeante pourrait être reconnue dans la version finale du GHG Protocol LSRG, l’approche par région d’approvisionnement. 

Les régions d'approvisionnement sont définies en fonction du « premier point de collecte ou installation de traitement connus »1. Le respect du critère de traçabilité jusqu’au niveau de la région d’approvisionnement serait considéré comme viable en contrepartie de la mise en place de garde-fous supplémentaires (terres attribuables, capture de la variabilité, hypothèses prudentes, répartition cohérente et constante, évitement du double compte, comptabilisation des réémissions).  

Pour les entreprises qui souhaitent valoriser la séquestration carbone dans leurs chaînes d’approvisionnement, tout en respectant les exigences de traçabilité imposées par le GHG Protocol LSRG, les certifications et les labels peuvent représenter une solution intéressante. 

 

Les certifications et les labels peuvent permettre de répondre à l’exigence de traçabilité au sein des chaînes de valeur 

 

Les certifications et labels sont des outils qui peuvent permettre aux entreprises d’améliorer et prouver la traçabilité de leurs produits. Leur applicabilité pour la comptabilisation carbone dépend du modèle de garantie utilisé au sein de la chaîne de valeur.  
Le modèle de garantie au sein de la chaîne de valeur (« Chain of Custody Model ») correspond à l'approche adoptée pour transférer les informations d’un produit certifié tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Plus concrètement, cela correspond à l'approche adoptée pour démontrer le lien (physique ou administratif) entre l'unité de production vérifiée et l'allégation relative au produit final. Le GHG Protocol s'appuie sur les définitions de « Chain of Custody Model » de l'ISEAL

Les modèles « identity preserved », « segregated » et « controlled blending » permettent de répondre aux exigences du GHG Protocol LSRG pour valoriser la séquestration carbone car ils assurent une traçabilité physique jusqu’à l’unité de gestion des terres. A noter que le « controlled blending » ne permet d’assurer ce lien physique que sur la proportion connue de produits certifiés.  
Par exemple, le cahier des charges de l’Agriculture Biologique exige que les produits certifiés soient physiquement séparés des produits conventionnels. Ils sont donc ségrégués et la traçabilité physique est permise tout au long de la chaîne de valeur. La justification de la comptabilisation de séquestration pourrait être ainsi facilitée. 
En revanche, attention aux modèles « mass balance » et « book and claim ». En effet, le modèle de « book and claim » ne permet pas de valoriser la séquestration, car il y a une décorrélation entre le flux physique et le flux administratif. C’est la principale différence avec le « mass balance », pour lequel un lien physique existe entre les matières contenues dans le produit fini et les produits certifiés achetés. En revanche, il n’est pas possible de savoir si, et à quelle étape de la chaîne d’approvisionnement, les produits certifiés ont été mélangés avec des produits non certifiés.  
Par exemple, les certifications de commerce équitable, comme Max Havelaar ou Rain Forest Alliance, favorisent la ségrégation mais autorisent le « mass balance » pour certains produits. Elles interdisent en revanche le « book and claim », à la différence du label RSPO (« Roundtable on Sustainable Palm Oil ») qui autorise le « book and claim » pour l’huile de palme. 
La revendication de la séquestration carbone permise par des produits tracés jusqu’au premier point de collecte (région d’approvisionnement) dans une approche « mass balance » n’est aujourd’hui pas possible dans la version provisoire du GHG Protocol LSRG, mais la version finale permettra de confirmer ce positionnement. 

 

En résumé… 

 

  • Comptabiliser la séquestration carbone de vos chaînes d’approvisionnement peut aider à atteindre vos objectifs SBTi FLAG. 
  • La version provisoire du GHG Protocol LSRG définit 5 critères majeurs à respecter pour pouvoir valoriser la séquestration carbone, dont la traçabilité physique.  
  • Aujourd’hui, seuls les modèles de traçabilité physique permettant de remonter aux parcelles et/ou aux unités de gestion des terres (et donc d’accéder à des données primaires) répondent aux exigences du GHG Protocol. La question de la région d’approvisionnement reste en discussion et permettrait temporairement plus de souplesse pour valoriser la séquestration carbone. 
  • Les modèles de garantie « identity preserved », « segregated » et « controlled blending » assurent une traçabilité physique jusqu’aux parcelles et/ou aux unités de gestion des terres sur tout ou partie des volumes achetés. Si la traçabilité jusqu’à la région d’approvisionnement était acceptée, les modèles de garantie « mass balance » pourraient temporairement permettre aux entreprises de comptabiliser la séquestration carbone des produits achetés. 

 

Collaborons 

 

Pour aller plus loin, la collaboration est essentielle et nous pouvons vous accompagner sur : 

  • La connaissance de vos chaînes d’approvisionnement (modèles de traçabilité) ;  
  • L’analyse de votre capacité à revendiquer la séquestration carbone de votre amont agricole, les opportunités et les risques associés ;  
  • Le lien avec d’autres politiques et référentiels publics (notamment le EU Carbon Removal Certification Framework). 

Notes et références 
  

1 Cette option, si elle est intégrée dans la version final du GHG Protocol LSRG, ne serait valable que jusqu’en 2030 pour permettre aux entreprises de disposer de suffisamment de temps pour affiner leur niveau de traçabilité. Table 8.2, GHG Protocol Land Sector and Removals Guidance Part 1. 

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