La déforestation et le changement d'usage des terres1 représentent près de 12% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Au cœur des enjeux climatiques, la déforestation joue un rôle paradoxal : elle est à la fois un moteur du changement climatique et une victime de ses effets.
Cet article a été rédigé par Clément Limare et Thomas Medori, Senior Consultants au sein des équipes Sustainability de Deloitte France.
Lors des trente dernières années, une surface équivalente à celle de l’Inde a été déforestée, soit plus de 400 millions d’hectares. La déforestation représente aujourd’hui près de 12% des émissions mondiales de CO2e.
Pourtant, la forêt pourrait contribuer à hauteur de 20 à 30% aux efforts d’atténuation nécessaires pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Mais les investissements restent insuffisants pour mobiliser le potentiel de la forêt, celle-ci n’attirant que 3% des fonds dédiés à la lutte contre le changement climatique.
L’activité des entreprises est déjà impactée par la déforestation et ses conséquences : perturbation des chaînes d’approvisionnement, hausse des coûts de matières premières, risques réputationnels, etc.
Elles n’ont plus qu’un an pour définir et mettre en oeuvre leur approche de lutte contre la déforestation, sous peine de sanctions financières.
Longtemps abordés lors d’événements emblématiques tels que les COP (Conferences of the Parties) les impacts de la déforestation occupent aujourd'hui une place centrale dans les préoccupations des entreprises et des législateurs. Le récent report de l’entrée en vigueur de la réglementation européenne sur la déforestation, initialement prévue pour 2024 et désormais fixée au 30 décembre 2025, est regrettable à bien des égards et retarde la mise en action globale. Les entreprises n’ont plus qu’un an pour renforcer et affiner leurs politiques de lutte contre la déforestation.
L'urgence de préserver les forêts face à la surexploitation des terres et aux défis climatiques
Selon un rapport de la FAO2, 420 millions d’hectares de forêts ont été déforestés entre 1990 et 2020. soit une surface supérieure à celle de l’Inde. La déforestation représente aujourd’hui 45 % des émissions de CO2e du secteur des terres3. Malgré un rythme moins élevé observé sur la dernière décennie, ce phénomène persiste toujours, notamment en Amérique du Sud et en Asie. A l’origine de cela : la conversion de forêts en terres agricoles et pâturages, qui représente au 21e siècle respectivement 50 % et 38 % des surfaces déforestées dans le monde et en sont ainsi le principal moteur4. Le Brésil (principalement pour le développement de pâturages) et le Congo (agriculture, exploitation du bois et minière) sont les deux pays à avoir connus la plus forte perte de couverture forestière sur la décennie passée.
La déforestation est un enjeu climatique considérable : d’une part, le carbone précédemment stocké dans le bois abattu est en partie réémis lorsque le bois est brûlé, et le sol libère également du carbone séquestré par le passé. D’autre part, les forêts disparues ne seront plus à même de séquestrer et stocker du carbone atmosphérique et d’ainsi atténuer l’effet du changement climatique.
Même si ce phénomène a souvent lieu loin des frontières européennes, WWF met en lumière qu’en 2017, l’Union Européenne était encore responsable de 16 % de la déforestation mondiale à travers ses importations, appelée déforestation importée. Ainsi, 116 millions de tonnes de CO2e ont été émises5, soit environ 3 % des émissions annuelles de l’Union européenne6. La Chine reste le premier contributeur à la déforestation, avec près de 25 % de la déforestation mondiale à travers ses importation7.
De nombreux leviers d’atténuation sont déjà actionnables rapidement et à faible coûts pour les écosystèmes naturels (protection, gestion améliorée des forêts, tourbières, côtes, savanes et prairies, etc.) et pour l’agriculture (gestion améliorée des sols, de la fertilisation et des troupeaux, agroforesterie, biochar, etc.). Le GIEC estime qu’en combinant ces leviers avec d’autres en aval (modification des régimes alimentaires, diminution des déchets alimentaires, etc.), le secteur des terres représente une capacité d’atténuation correspondant à 20 à 30 % du potentiel global d’atténuation des trajectoires limitant le réchauffement climatique à 1,5°C et 2°C8. Notamment, le potentiel de réduction d’émissions et séquestration associés aux mesures portant sur les écosystèmes naturels serait de de 7,3 GTCO2e par an en moyenne jusqu’en 2050, soit environ 20 % des émissions de GES actuelles pour des mesures prêtes à être déployées dans la plupart des cas sans frein technique.