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Point de vue:

Data centers : transformer l’essai de l’IA

L’intelligence artificielle est l’une des forces tectoniques majeures de ce siècle. Nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle révolution industrielle, comparable à l’avènement de l’électricité au temps d’Edison. L’IA transforme déjà l’organisation du travail et l’économie mondiale, avec un immense potentiel pour stimuler la productivité dans tous les secteurs, allant de la santé aux transports, des sciences des matériaux à l’énergie.  

Les data centers, cœur du réacteur dans la course à l’IA  

 

Les data centers seront des infrastructures névralgiques pour maintenir la compétitivité et la souveraineté de la France. L’IA est le nouveau défi à relever pour rester dans la course industrielle et technologique. C’est également un sujet de souveraineté, les applications de l’IA portant sur des sujets régaliens tels que la défense, la cybersécurité et la gestion des données. En toile de fond de toutes ces applications, les data centers sont les infrastructures qui permettent ces déploiements. Dans une industrie qui investit actuellement plusieurs centaines de milliards de dollars chaque année au niveau mondial1, les décisions d’investissement qui détermineront les champions de la décennie à venir se décident aujourd’hui. 

 

 

Une demande en hausse  

 

La France se positionne aujourd’hui comme un acteur européen central de la révolution numérique portée par l’intelligence artificielle. La France a atteint la première place au sein de l’Union européenne dans le classement publié chaque année par Stanford2, témoignant de la richesse de son écosystème de recherche, et de son attractivité pour les investissements et les compétences dans le domaine de l’IA. En février 2025, la France a ainsi organisé le Sommet mondial pour l’action sur l’intelligence artificielle, lors duquel le Président Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement de 109 milliards d’euros dédié à l’IA3. Cette dynamique est également portée par un fort engagement du secteur privé, qui a investi 2,6 milliards de dollars dans l’IA en 2024.   

Sur la base d’une estimation économique détaillée du marché de l’IA - utilisant un modèle de diffusion pour les nouvelles technologies - nous estimons que la capacité des data centers à forte puissance (colocation et hyperscaler) devrait tripler d’ici à 2030 pour répondre à la demande, avec une capacité informatique passant d’environ 0,6 GW à 2,1 GW. Ce montant représente un besoin d’investissement de près de 40 Milliards d’euros.  

Une telle expansion représente un défi immense. Quels freins lever pour atteindre cet objectif ? Comment attirer et sécuriser ces investissements ?  

 

 

Des atouts structurels  

 

La France bénéficie d’une électricité bas-carbone et compétitive, doublée d’une politique fiscale incitative. Pour ces infrastructures fortement consommatrices d’électricité, la France dispose ici d’un avantage comparatif : fin 2024, les prix finaux de l’électricité payés par les entreprises en France étaient inférieurs de 20 % aux prix allemands et de 7 % de moins à la moyenne européenne.4 En outre, le secteur bénéficie d’une politique fiscale attractive, avec un taux de taxe sur l’électricité (TICFE) presque divisé par deux (12 €/MWh contre 22,5 €/MWh pour les grandes entreprises), ainsi qu’une remise de 5,7 €/MWh sur les coûts de réseaux (le TURPE)5

Les acteurs publics ont mis en place une coordination active pour identifier et préparer des sites industriels. Face à la difficulté de trouver des sites regroupant tous les éléments nécessaires (un foncier disponible, un raccordement effectif au réseau électrique, et une connexion fiable à la fibre optique), RTE et EDF ont mené un travail d’enquête permettant d’identifier 35 sites particulièrement propices.6 Dans ce cadre, EDF a mis ses sites à disposition pour les opérateurs de data centers. Cette offre lui permet du même coup d’assurer des débouchés à ses centrales – un enjeu croissant dans un contexte où les exportations françaises d’électricité atteignent des pics historiques.7 Même si la majorité des sites annoncés ne seront opérationnels qu’à partir de 2027, voire 2030, quatre sites seront opérationnels à court terme.  

Ces initiatives contribuent à l’attractivité de la France et à l’implantation rapide des data centers. De nombreux projets sont d’ailleurs annoncés8, mais certaines annulations récentes doivent amener à prendre ces déclarations avec prudence9. Pour transformer pleinement l’essai, l’Etat peut encore agir sur trois volets. 

 

 

Trois défis clés

1. Soutenir le passage à l’échelle des acteurs français et européens

Les data centers sont des entreprises hautement capitalistiques, nécessitant de mobiliser plusieurs milliards d’investissements dans un contexte d’incertitude sur ses clients futurs. Les acteurs états-uniens ont actuellement une longueur d’avance en termes d’expertise dans les hyperscalers grâce à leurs investissements massifs. Comment, dès lors, renforcer les acteurs français et européen sur les plus larges projets ? Pour baisser le coût du capital, un enjeu clé est de réduire les incertitudes. Outre les options de co-financement public-privé, une option serait que l’Etat mobilise la commande publique, en faisant leviers de ses propres besoins pour sécuriser une demande et faire ainsi émerger des acteurs français et européen.   

2. Accélérer et simplifier

Les délais de raccordement au réseau électrique restent un enjeu majeur, malgré les efforts de RTE pour les réduire. Les demandes de raccordement des data centers au réseau électrique commencent déjà à s’empiler, entrainant une augmentation des délais de réalisations de deux à trois ans en moyenne, à cinq à sept ans.10 La complexité administrative est également souvent citée parmi les principaux freins. Un exemple emblématique est le reporting sur l’efficacité énergétique. Les opérateurs de data centers – y compris des PME - doivent fournir à trois reprises les mêmes informations : à l’Ademe pour le respect du décret tertiaire (appliqué aux data centers bien qu’inadapté), à la Commission européenne dans le cadre du nouveau Cadre commun de reporting pour les data centers, et à l’Arcep. Afin de simplifier certaines démarches, une option serait de faire reconnaitre les data centers comme « projets d’intérêt national ». Le projet de loi sur la simplification économique, actuellement débattue à l’Assemblée et qui inclut ce point, est scrutée avec attention par la filière. 

3. Maintenir l’ambition environnementale.

L’Allemagne s’est dotée dès 2023 d’une politique ambitieuse et opérationnelle pour ses data centers, avec des objectifs d’efficacité énergétique adaptés au secteur (via le critère du PUE – Power usage effectiveness), des obligations d’approvisionnements bas-carbone et de réutilisation de la chaleur fatale.

Ce n’est qu’en avril 2025 qu’une loi française a imposé de réutiliser la chaleur fatale. Les objectifs d’efficacité énergétique sur le PUE restent inexistants à ce stade, alors même que le faible prix de l’électricité incite moins les opérateurs à des efforts d’efficacité énergétique – qui s’avèrent souvent payantes à long terme. Des garanties sur l’intégrité environnementale peuvent également contribuer à améliorer l’acceptabilité des projets. Enfin, les data centers pourraient contribuer à la flexibilité du système électrique grâce à leur important système de secours, favorisant ainsi l’essor des énergies renouvelables.11

 

Conclusion  


« Les changements technologiques sont surestimés à court terme et sous-estimés à long terme. » Cet adage de Roy Amara prononcé des années 1970 souligne que la transformation en cours va se poursuivre en profondeur et sur la durée – justifiant les efforts consentis dès maintenant pour développer les infrastructures nécessaires à l’IA et mettre en place une filière française compétitive. L’Etat français s’est déjà montré proactif pour encourager l’écosystème de l’IA. Mais il peut aller plus loin en offrant un cadre plus sécurisé aux investissements dans les data centers, tout en continuant d’œuvrer à réduire les délais de connexion et administratifs et en renforçant son rôle d’aiguillon sur les objectifs d’efficacité énergétique.  

 

 

Points clés  

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