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L’empreinte environnementale de l’IA – aujourd'hui et demain

Article corédigé avec Quentin Perrier, Senior Manager au sein des équipes Strategy, Risk & Transactions

L’essor rapide des outils d’intelligence artificielle conduit à une hausse significative de la consommation d’électricité des data centers, mettant les grandes entreprises technologiques au défi d’atteindre leurs objectifs climatiques. Quels seront les impacts liés au développement des data centers sur la consommation d’électricité et le climat ? Quels leviers peuvent être actionnés pour limiter au maximum ces impacts et promouvoir une « IA verte » ? A partir d’un travail de modélisation détaillé, Deloitte explore ces enjeux et identifie les actions à mener pour promouvoir les initiatives dites de « Green AI ».

Les technologies basées sur l’Intelligence Artificielle (IA) figurent parmi les tendances déterminantes de notre siècle, imprégnant tous les aspects des activités économiques et sociales, et entrainant une croissance substantielle des besoins en données et en capacités de calcul. Cependant, cette nouvelle ère numérique entraîne également une augmentation significative de la consommation d’électricité, suscitant des questionnements sur la capacité des systèmes électriques à absorber cette charge, ainsi que sur les émissions de gaz à effet de serre associés.

Face à l’accélération du déploiement de l’IA et de l’essor des data centers, il apparait légitime et nécessaire d’anticiper leurs impacts énergétiques et environnementaux. Ces enjeux sont globaux mais aussi locaux, comme l’illustrent les moratoires sur les data centers mis en place dans plusieurs pays et les tensions parfois importantes induites sur les systèmes électriques régionaux.

Historiquement, l’augmentation de la demande de calcul a été contrebalancée par des progrès technologiques rapides et constants améliorant l’efficacité énergétique. Mais alors que la demande de calcul se démultiplie, les gains d’efficacité à venir sont davantage sujets à débat. De nombreuses prévisions circulent sur les impacts futurs de l’IA - tantôt alarmistes, tantôt rassurantes, mais rarement basées sur un réel travail de prospective.

Afin d’ancrer le débat sur un constat clair et partagé, Deloitte a réalisé une modélisation détaillée des besoins énergétiques des data centers, à partir des meilleures données disponibles sur les performances de chaque équipement, en intégrant les projets annoncés de data centers et en projetant ces tendances jusqu’en 2050 selon divers scénarios.

 

L’impact de l’IA sur la consommation électrique mondiale

 

Ce travail permet d’abord de poser l’état des lieux de la situation actuelle. Aujourd’hui, la consommation des data centers, hors cryptomonnaies, représente environ 1,4 % de la consommation mondiale d’électricité et 0,3 % des émissions de gaz à effet de serre. Ce montant est loin d’être anecdotique puisqu’il égale la consommation d’électricité de l’Arabie Saoudite. Mais il est resté relativement stable depuis 2010, alors que le trafic internet a été multiplié par presque 17 sur la même période, grâce à des progrès très importants en matière d’efficacité énergétique sur la période.

Notre modélisation permet ensuite de projeter la consommation d’électricité et les émissions à long terme. Nous estimons que la consommation d’électricité atteindra 1 000 TWh en 2030, soit 3 % de la consommation mondiale à cette date. Ce résultat s’appuie sur les projets de data centers annoncés ou en cours de déploiement, et semble relativement robuste.

D’ici à 2050, les incertitudes sont plus importantes et la consommation d’électricité pourrait varier entre 1 700 TWh et 3 500 TWh. Trois facteurs clés contribuent à cette incertitude : l’ampleur de l’usage de l’intelligence artificielle, les progrès en efficacité énergétique et la disponibilité d’énergies renouvelables pour alimenter les data centers.

Si l’on considère une continuité des tendances actuelles sur le taux de croissance de l’IA et les gains de performance, la consommation serait ainsi de 2 000 TWh en 2050. Pour mettre ce chiffre en perspective, cela représente environ 3 % de la consommation mondiale d’électricité à cet horizon. Ainsi, à long terme, la demande d’électricité des data centers sera probablement largement dépassée par celle de l'industrie, des transports et des bâtiments, qui devront s’électrifier pour réduire leurs émissions.

 

Consommation d’énergie dans nos différents scénarios

Stratégies pour une IA durable

 

Au-delà des estimations de consommation, l’analyse permet de faire ressortir quatre piliers clés, qui sont autant de leviers pour limiter l’impact environnemental de l’IA : 

1. Les progrès en efficacité énergétique sont essentiels à long terme. Les progrès réalisés chaque année se cumulent, et des efforts soutenus conduiraient à diviser par deux la consommation d’énergie à l’horizon 2050 par rapport au scénario « haut ». Cette efficacité concerne à la fois les processeurs (GPU, TPU, etc.), mais aussi l’organisation des data centers en général. Par exemple, le passage à des data centers de taille plus importante favorise les économies d’échelle, tout comme l’utilisation de techniques de refroidissement avancées (tel le refroidissement liquide par immersion).

2. L’approvisionnement par des énergies renouvelables sera clé pour limiter les émissions de CO2. Comme illustré dans le graphique ci-dessous, les émissions de gaz à effet de serre pourraient plafonner très rapidement si la majorité des data centers s’approvisionnent en énergies renouvelables, selon le mix électrique du scénario « Net Zero » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). A l’inverse, une décarbonation moins rapide, alignée avec les engagements actuels des Etats (scénario « Announced pledges ») entrainerait une hausse des émissions jusqu’en 2035.

 

Emissions de CO2éq des data centers, selon deux scénarios de décarbonation de l’électricité 

3. La transparence et la standardisation doivent se généraliser pour accélérer l’adoption des meilleures pratiques. Une amélioration de la transparence sur la consommation d’énergie permettrait de renforcer les incitations à progresser sur cet axe, y compris à travers les échanges de meilleures pratiques et la réglementation. L’utilisation de métriques comme le PUE (« Power usage effectiveness ») ou le WUE (« Water usage effectiveness »), qui mesurent l’efficience des data centers, sont des éléments importants, mais ils doivent être complétés par des mesures de l’efficience des calculs menés au sein des data center, et par des mesures plus générales qui prennent en compte d’éventuelles réutilisations de la chaleur produite.

4. La décarbonation des data centers doit plus généralement s’appuyer sur les écosystèmes industriels. Les data centers s’intègrent dans des sites, et leur décarbonation passe par une discussion avec les pourvoyeurs d’énergie locaux, ainsi que les autres industries contiguës pour maximiser les gains d’échelle et les synergies (raccordement au réseau, déploiement d’énergies renouvelables, réutilisation de la chaleur, etc.). Les data centers peuvent également devenir des fournisseurs de flexibilité, en entrainant leurs modèles en priorité lorsque l’électricité est abondante et à prix faibles, pour tirer parti et limiter les prix négatifs, qui se multiplient dans de nombreux pays.

 

Si ces quatre piliers (gains d'efficacité, expansion des énergies renouvelables, transparence et approche écosystémique) sont mis en œuvre en temps voulu, l'essor de l'IA pourra se poursuivre en limitant drastiquement son empreinte environnementale, et être ainsi qualifiée de « Green AI ». 

L'IA a aussi le potentiel de contribuer à la réduction de nos émissions de CO2. Ce concept est connu sous le terme d’ « AI for Green ». Par exemple, l’IA peut contribuer à optimiser notre utilisation d’énergie dans les transports et le bâtiment. Au vu des larges quantités d’énergie utilisées dans ces secteurs, même une baisse de la consommation de quelques millièmes entrainerait des gains significatifs en termes de consommation d’électricité et de gaz à effet de serre. 

« Green AI » et « AI for Green » : deux dimensions complémentaires reliant l’IA et l’environnement

Il est essentiel de garder ces deux dimensions à l’esprit – « AI for green » et « Green AI » – pour juger de l’impact net de l’IA sur le climat. Dans tous les cas, des efforts continus et des engagements fermes de la part des industriels et des décideurs politiques seront nécessaires pour garder le cap d’une économie neutre en carbone à l’horizon 2050.

Notes et références

Agence internationale de l’Energie (AIE), World Energy Outlook 2023, octobre 2023. 

2 Lorenz M. Hilty and Bernard Aebisher, ICT Innovations for Sustainability, vol. Advances in Intelligent Systems and Computing (AISC, volume 310), 2015.