Merci à la Ville de Lille et à CDC Biodiversité d’avoir partagé leurs expériences avec nous.
Crises géopolitiques ou sanitaires, événements climatiques extrêmes, violation des droits humains fondamentaux… Autant d’éléments qui fragilisent les chaînes d’approvisionnement et conduisent à un renforcement de la réglementation sur la responsabilité du premier donneur d’ordre. Les lois française et européenne portant sur le devoir de vigilance rendent par exemple les entreprises responsables de leurs chaînes d’approvisionnement amont et les contraignent à prendre des mesures effectives pour prévenir les atteintes à l’environnement ainsi qu’aux droits humains et du travail.
Néanmoins, face à la complexité des chaînes d’approvisionnement de beaucoup d’industries, composées de nombreux fournisseurs et sous-traitants, dont les implantations géographiques ne sont pas toujours connues et en l’absence (à quelques exceptions près) de jurisprudence, les entreprises se heurtent à la difficulté d’engager les fournisseurs d’une chaîne d’approvisionnement au-delà de leurs fournisseurs directs (« rang 1 »).
Si dialoguer avec les fournisseurs de rang 1 reste un prérequis ([#4 Traçabilité] L’impérative nécessité du dialogue fournisseurs pour transformer les filières (deloitte.com), il semble essentiel de trouver des moyens plus systématiques de garantir la performance environnementale et sociale des fournisseurs de tous rangs. Les clauses de performance environnementales liées au prix, inscrites dans tout contrat avec un fournisseur direct, pourraient constituer une réponse adéquate à cette difficulté opérationnelle.
Les contrats de performance se sont multipliés avec l’essor de ce que l’on nomme « l’économie servicielle » dont le principe est de monnayer la valeur d’usage d’un bien plutôt que le bien lui-même. L’avènement d’entreprises fondées sur le partage de biens comme AirBnb, Uber, Blablacar ou, plus simplement, les laveries automatiques, témoigne de l’intérêt de ces modes de consommation – malgré leur bilan social parfois contesté en raison de la précarité du statut des travailleurs.
Dans ce cadre, les contrats de performance permettent de réduire le besoin de production matérielle : le fournisseur d’un bien a en effet intérêt à en maximiser la durée de vie (en luttant contre l’obsolescence programmée) plutôt qu’à produire ou acheter de nouveau.
Le contrat de performance environnementale engage le fournisseur à améliorer en particulier l’empreinte carbone, énergétique, biodiversité, eau (…) de son produit, au même titre que sa qualité ou son délai de livraison. La rémunération du fournisseur est alors directement indexée sur la performance environnementale réalisée,par rapport à des objectifs préalablement déterminés entre les parties. Le fournisseur limite ainsi les déchets, l’extraction et l’utilisation de ressources matérielles et réduit les émissions de gaz à effet de serre liées à sa production.
Le contrat de performance environnementale est fondé sur une obligation de résultat environnemental ou social du prestataire de service ou du fournisseur, liée à la clause de prix.
Quatre étapes constituent des facteurs clés de succès dans la mise en œuvre de ce type de contrats.
1. Choisir l’objet de l’obligation de résultats sociaux ou environnementaux du fournisseur en priorisant les impacts sur lesquels portera la clause de performance environnementale ou sociale : transparence/traçabilité, éco-conception, bilan carbone du produit et/ou du transport, empreinte biodiversité du site de production, création d’emplois, développement de la protection des travailleurs…
2. Déterminer la modalité de rémunération de la performance environnementale ou sociale du fournisseur. Plusieurs niveaux d’ambition sont envisageables entre le fournisseur et son client :
3. Définir les objectifs, qualitatifs ou quantitatifs, mais évaluables, du fournisseur dans ses engagements.
4. Préciser le dispositif d’évaluation de la performance : temporalité, indicateurs, outils de mesure et processus de récupération des données, possibilités d’accompagnement… Le reporting du fournisseur doit donc également devenir une obligation contractuelle car il permet de déterminer s’il a rempli ses obligations de performance sociale ou environnementale et, le cas échéant, d’anticiper des plans de progrès.
Que ce soit pour son impact carbone, son empreinte biodiversité, sa gestion des déchets ou sa responsabilité sociale, le bilan du fournisseur de rang 1 dépend souvent de celui de ses propres fournisseurs. En faisant porter une obligation de résultat liée au prix en matière de performance environnementale ou sociale par le fournisseur de rang 1, on joue « l’effet domino » contractuel en l’incitant à reporter la même obligation sur le rang 2 et ainsi de suite…
La mise en œuvre de contrats de performance environnementale et sociale apparaît donc comme un outil non suffisant mais fondamental pour engager, par un effet domino, tous les rangs de fournisseurs dans la transformation de leurs pratiques.
L’expression anglaise « Scope 3 » désigne l'exigence de calcul et de réduction de l’empreinte carbone liée aux chaînes d’approvisionnement et de distribution d’une organisation. Cette exigence est habituellement transmise par les entreprises à leurs fournisseurs directs.
Or aujourd’hui, les éléments qui fragilisent ces chaînes sont variés et évolutifs, et dépassent largement le premier rang de fournisseurs : difficultés d’approvisionnement en matières premières, impératifs réglementaires de décarbonation, conséquences légales et sociales des emprises au sol des sites de production, violations des droits humains et du travail dans les chaînes d’approvisionnement, etc.
Anticiper et répondre aux risques liés à ce « Scope 3 élargi » sont désormais des nécessités stratégiques pour les entreprises.
Le véritable défi des Directeurs Achats réside dans la mise en œuvre, jusqu’aux fournisseurs de matières premières, des stratégies d’achats durables qui ont fleuri ces dernières années et leur ancrage opérationnel dans le quotidien du métier d’acheteur.
Pour cela, faire évoluer les processus de prise de décisions (prix carbone intégré aux achats), de dialogue fournisseurs ou de contractualisation (critères de sélection des fournisseurs et contrat de performance environnementale et sociale), est incontournable.
Merci à la ville de Lille d’avoir bien voulu échanger avec nous.
La ville de Lille a construit, dès 2008, plusieurs contrats de performance environnementale et sociale.
Sur le volet énergétique, la ville s’est fixé un objectif de réduction de consommation de l’éclairage public et de protection des chauves-souris.
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Les contrats de performance sont également appliqués au marché de nettoiement des espaces publics et collecte des ordures ménagères, avec un objectif de réduction des consommations d’eau et de réinsertion sociale des travailleurs.
Les bénéfices ne sont pas uniquement environnementaux. « Le bien-être au travail, mesuré mensuellement grâce au taux d’absentéisme, a progressé, l’absentéisme est aujourd’hui inférieur à 5 % ».
En 2023, la Métropole de Lille a également signé un contrat de performance avec Veolia5, engageant le prestataire à mettre en place des actions efficaces d’économie d’eau au sein de la métropole. Le contrat intègre un malus financier pour le fournisseur si les objectifs d’économie ne sont pas atteints. Ainsi, au-delà des volumes contractualisés, Veolia verra son prix d’achat de l’eau à la régie de production de la ville multiplié par plus de deux.
Merci à Jean-Christophe Benoit, Directeur du développement et du réseau CDC Biodiversité, d’avoir bien voulu échanger avec nous.
CDC Biodiversité a construit son premier contrat de performance biodiversité (CPB) avec mesure de l’impact social dans une résidence sociale de Choisy-le-Roi en 2015.
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Ayant pour objectif la valorisation écologique et la création de lien social, CDC Biodiversité a mené, en concertation avec les habitants de la résidence, plusieurs opérations d’aménagement et de gestion des espaces extérieurs (restauration, aménagement de prairies fleuries, jardins partagés, rocher pédagogique…), dans un cadre budgétaire défini préalablement avec le bailleur. Les objectifs sont mesurés sur la base d’indicateurs de suivi écologiques, pour mesurer l’évolution de la biodiversité, sociaux, pour évaluer la satisfaction et la sensibilisation des usagers et économiques, pour suivre l’évolution des dépenses directement et indirectement liées aux espaces extérieurs.
Quelques années plus tard, ce projet est une « réussite sociale et écologique » qui a permis « d’augmenter la potentialité d’accueil des oiseaux et des insectes » et qui est le résultat « de la co-construction, avec les habitants, d’objectifs communs répondant à des problématiques quotidiennes, par exemple en ce qui concerne les jardins partagés ou les espaces de propreté ». Cet outil est maintenant déployé auprès de propriétaires et de gestionnaires d’espaces extérieurs en milieu urbaine et péri-urbain, comme les parcs d’activités tertiaires ou les plateformes logistiques.
1 Business Wire, Veolia Eau signe un contrat de partenariat avec la Ville de New York pour l’optimisation de ses services publics d’eau et d’assainissement, avril 2012.
2 Suez, Réduction des déchets : 1ers résultats positifs du contrat de performance pionnier entre Le Grand Montauban Communauté d’Agglomération et SUEZ, décembre 2022.
3 Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, Rapport à la commission européenne relatif à l’application de la réglementation en matière de marchés publics pour la période 2017-2019, février 2022.
4 Les Echos, Michelin accélère dans les services et l’innovation, février 2015.
5 Métropole de Lille, La MEL adopte une politique de l’eau inédite en Europe, mai 2023