Point de vue rédigé par Le Henry Gregory, Senior Manager Technology Advisory, Deloitte Conseil.
Le but de l’Architecture d’Entreprise (EA) est d’accompagner l’entreprise dans ses changements, d’en maîtriser les impacts et de les simplifier. Elle permet à l’entreprise de construire ses capacités et d’assurer leurs interdépendances de façon optimale.
Rattachée à la DSI ou à la DG en fonction de la maturité des organisations et de l’ampleur des transformations à venir, l’EA est parfois mise à mal du fait de sa mauvaise intégration dans les processus projets, de son manque de pilotage ou de son déficit de résultats probants par exemple.
Quels leviers l’Architecture d’Entreprise doit-elle utiliser pour que la perception de sa création de valeur au sein de l’entreprise soit garantie et pérenne ? Cette transformation passe-t-elle par le « As-a-Service », vecteur d’efficacité opérationnelle largement plébiscité dans d’autres secteurs ? Y a-t-il une place pour l’EA-as-a-Service (EAaaS) dans une DSI ?
L’EA-as-a-Service a pour objectif de fournir, grâce à un catalogue de services, une prestation d’architecture d’entreprise de façon :
Cette nouvelle approche permet ainsi de changer la perception des directions métier utilisatrices en objectivant leurs attentes. Pour ce faire, chaque service proposé sera défini avec les caractéristiques suivantes :
Le fonctionnement de la cellule d’architecture d’entreprise devra donc être hybride : certaines activités étant réalisées en mode service (ex : architecture opérationnelle qui permet de définir les architectures des solutions projets alignées avec les orientations métier), d’autres en mode classique (ex : pilotage, communication, animation de l’équipe d’EA).
Sur son périmètre d’intervention, l’EAaaS doit permettre de délivrer de la valeur de façon continue, et d’apporter des réponses concrètes à des sollicitations précises des métiers, du chef de projet et de la communauté des utilisateurs du SI. La mise à disposition de services standardisés permet ainsi de répondre à cette nouvelle granularité des demandes.
Il s’agit de sortir de la logique de démarche au long cours, traditionnellement associée à l’EA, pour aller sur une démarche plus court terme. Les travaux s’inscrivent toujours dans une démarche de transformation pérenne du SI, mais le changement d’approche permet de donner un ROI (Retour Sur Investissement) visible pour ces différentes activités. On parle ici de ROI visible car il ne s’agit pas de remettre en cause la capacité de l’EA à délivrer un ROI, mais plutôt sa capacité à afficher un ROI calculable.
En effet, il est difficile de chiffrer, par exemple, le ROI d’une cartographie applicative ou fonctionnelle complète et à jour, même si sa valeur est indéniable pour toutes les études liées à la transformation du SI. On chiffrera rarement le gain lié au raccourcissement des délais d’analyse d’impact de la transformation ou on constatera à postériori les coûts induits par une vision du SI erronée (analyses d’impact et chiffrages incorrects, décisions de go-no go mal instruites…).
Cette distinction est importante car elle permet d’améliorer la valeur perçue des services d’Architecture par les métiers, de faciliter leur acceptation, leur compréhension et leur intégration dans les démarches projets et en fin de compte d’en faciliter leur financement.
Rendre les pratiques plus homogènes et détaillées avec une granularité plus fine donne la possibilité aux architectes de consolider des retours d’expérience et d’en déduire des abaques. Ces dernières seront un entrant clé lors de la mise en place du catalogue de services.
Le catalogue de services, élément essentiel de la démarche, doit permettre de cadrer l’intervention des architectes et ainsi de contribuer à l’amélioration du cadrage des interventions (liste des services mobilisés, évaluation des charges, livrables identifiés, etc. ), del’efficacité des équipes d’architectes (organisation et pilotage de l’activité, planification capacitaire, suivi et reporting) et enfin de la maîtrise et du suivi des engagements des architectes sur leurs livrables, en termes de périmètre, charge et délai.
Pour autant, cette approche n’est pas adaptée à toutes les organisations. En effet, elle nécessite non seulement une équipe EA dédiée (souvent absente des entreprises de petite taille) mais aussi une bonne maturité de la pratique d’architecture d’entreprise (savoir-faire, gouvernance, processus).
Pour les grandes organisations, on préfèrera la transformation d’une pratique interne vers une autre pratique interne. Il ne s’agit pas d’externaliser la pratique en dehors de l’organisation car l’architecture d’entreprise doit rester une activité stratégique de l’entreprise : il est essentiel en effet que les architectes connaissent bien les métiers, ainsi que le SI qui les supporte, pour garantir la valeur de l’activité d’architecture.
Externaliser cette fonction reste possible et apporte des bénéfices intéressants – méthodologie et structuration de la démarche éprouvés, mise à disposition d’accélérateurs du marché, apport d’une vision objective permettant une analyse neutre de scenarios d’architecture innovants.
Cependant, contrairement aux autres fonctions « As-a-Service » que l’on rencontre fréquemment (IaaS, Paas, iPaaS, SaaS,..), et dont bénéficient grandement les PME, s’appuyer sur un prestataire pour mettre en place ces services induira quelques contreparties : il faudra notamment prévoir une phase d’initialisation et appropriation du contexte métier et SI et mettre en place un contrat de longue durée pour amortir les coûts d’entrée.
La mise en place à proprement parler de la pratique se fera généralement par étapes. Au lancement, on pourra proposer un premier ensemble de services fondamentaux pour apporter de la valeur rapidement et montrer la pertinence de l’approche. Par la suite, on enrichira le catalogue avec des services moins courants. Enfin, on affinera les SLA et la tarification des services au fil des itérations.
Il en résulte que la mise en place du catalogue de services devra se faire en utilisant une approche itérative où chaque itération permet d’enrichir le catalogue à la fois en termes de services proposés, de proposition de valeur mais aussi en termes de comitologie et de pilotage de l’activité.
Enfin, on pourra modéliser et définir des niveaux de maturité cible pour piloter sa progression au fil des itérations. On se fixera aussi des objectifs en conséquence et on définira les actions à mettre en place en rapport avec la création de valeur des services implémentés.
Comment transposer les modèles as-a-Service à l’EA ?
Les 3 éléments clés d’une démarche As-a-Service classique sont :
Dans le cas de l’EA, les éléments de flexibilité et de réactivité ne sont pas au cœur de la proposition de valeur. Cela ne rend pas l’approche dénuée d’intérêt pour autant puisque le mode ‘service’ apporte des avantages particulièrement intéressants pour délivrer de la valeur concrète et rapide aux projets.
Pour autant, il faudra rester vigilant à ne pas tomber dans les mêmes travers que d’autres départements déjà passés au mode service, comme la production informatique par exemple. On constate parfois que la fourniture d’un service en mode ‘guichet’ peut amener à réduire l’implication des équipes fournissant le service à leur seul périmètre : celles-ci peuvent en effet perdre de vue la place et l’importance de leur production pour le projet dans son ensemble.
Un autre effet néfaste est le manque de vision de l’avancement des tâches attendues. Il y a un vrai risque de fonctionner en ‘boite noire’. C’est d’ailleurs un reproche qui est parfois fait aux cellules d’architecture actuelles, et qui pourrait facilement se propager sur les activités de service.
La mise en place d’un pilotage adapté permettra de réduire ces effets de bord.
On l’a vu, le modèle ‘as-a-service’ apporte des avantages indéniables à l’entreprise. Cependant, toutes les activités d’Architecture d’Entreprise ne sont pas éligibles au mode ‘service’. Il s’agit principalement des activités régaliennes de l’architecture. On peut citer par exemple la gouvernance de l’architecture, le pilotage de l’activité, la communication.
Alors comment répartir les ressources entre les 2 modes d’activités ? Il faut veiller à ne pas trop privilégier les activités ‘service’, par nature plus contraignantes et avec une obligation de résultat explicite, par rapport aux activités régaliennes sous peine de générer une ‘dette’ qui finira par peser sur l’ensemble de l’activité d’architecture.
Enfin, on note que certaines caractéristiques du modèle As-a-service classique ne sont pas pertinentes pour les activités d’architecture d’entreprise comme l’indépendance du fournisseur de service ou le mode ‘plugin’. Il est important de communiquer sur ces limites lors de la mise en place des services pour gérer les attentes des clients au mieux.
Dans un esprit agile, il faudra commencer petit et piloter au plus près les premiers travaux. Il faudra ensuite ajuster les premiers services rendus avant d’élargir l’offre de service.
Les services devront répondre aux exigences de clarté, de précision, de pragmatisme qui permettront leur utilisation par tous les acteurs de la direction (dans leur travaux opérationnels), managers (pour le pilotage) et architectes (pour l’utilisation au quotidien).
Il faudra se préparer à avoir des résistances et bien gérer le changement, en particulier dans des organisations où l’EA est déjà bien implantée. Il sera nécessaire de communiquer abondamment auprès des leaders pour en faire des sponsors de la pratique.
Enfin, il faudra une communication forte et continue entre les équipes délivrant les services et leurs clients pour gérer les attentes sur ce nouveau mode de livraison de service.
En France, la pratique d’EA reste parfois floue dans les entreprises françaises et peine à se légitimer : conséquences de mauvaises implémentations, de gouvernance inadaptée, d’une pratique d’urbanisation dévalorisée, d’un fort déficit de communication, voire d’un manque de résultats tangibles. Dans les pays anglo-saxons, elle est pourtant bien implantée et mature, et de nombreuses entreprises créent ou re-déploient ce rôle d’EA en le rapprochant du métier.
Dans un contexte d’ouverture des SI vers de nombreux fournisseurs (avec les risques de réversibilités associés) et de transformations métier de plus en plus rapides, la mise en place de l’EAaaS permettrait de relancer la pratique d’EA de façon industrielle et pragmatique tout en restaurant la crédibilité de la pratique.
La communication auprès des sponsors et des clients autour de cette transformation sera aussi essentielle puisque toutes les caractéristiques des produits as-a-Service ne seront pas transposables aux nouveaux services
On l’a vu, le déploiement de cette nouvelle façon de pratiquer et de délivrer l’architecture d’entreprise va avoir un impact déterminant sur le modèle opérationnel de la DSI mais aussi sur son modèle économique. La tarification de ces nouvelles prestations n’est pas neutre pour le P&L de la DSI.
L’approche ‘As-a-service’ a beaucoup à apporter à la pratique d’Architecture d’Entreprise, en particulier pour sa capacité à remettre la pratique au coeur des projets, même s’il faudra garder en tête que toutes les activités ne seront pas transformables en services.