Dans un environnement économique complexe et volatile, les entreprises doivent développer des stratégies à moyen et long terme pour adopter des pratiques compétitives et durables. L'analyse de scénario est un outil puissant permettant de naviguer dans cette incertitude en offrant une vision claire, rigoureuse et structurée des futurs plausibles. Cette approche est essentielle pour élaborer des plans de transition fiables et opérants, en matérialisant les risques et opportunités tout en évaluant la capacité de résilience des différentes options envisageables.
Cet article a été rédigé par Emmanuel Bovari, Manager Economic Advisory.
La formulation d’un plan de transition nécessite de modéliser des phénomènes complexes. La définition de cibles conformes aux exigences de l'Accord de Paris requiert une compréhension approfondie des mécanismes économiques et d’implications techniques qui sont délicats à maîtriser :
Evolution des chaînes de valeur
Si des cibles climatiques sont clairement définies au niveau de l’Union Européenne (UE) et des Etats-Membres, il existe peu de déclinaisons sectorielles de ces trajectoires, compliquant leur appropriation par les différents acteurs.
Risques climatiques
Les dimensions physiques (destruction des actifs, baisses de productivité) et de transition (évolutions politiques et réglementaires) du risque climatique sont complexes à appréhender et interagissent sur différents horizons temporels, les efforts de décarbonation à court terme visant à atténuer les dommages à long terme.
Evolution des chaînes de valeur
Le plan de transition doit non seulement prendre en compte les spécificités d’une filière (e.g., impact indirect du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) sur le secteur automobile, actuellement non-couvert par ce dispositif), mais également les interactions entre filières (e.g., la disponibilité en électricité bas carbone compétitive sera critique pour la décarbonation de la métallurgie).
La dimension prospective de l’analyse implique de considérer plusieurs facteurs d’incertitude. Il s’agit de projeter l’activité propre de l’entreprise ainsi que l’évolution de son environnement d’affaires à horizon 2050. Cela implique d’explorer différents états du monde plausibles qui sont construits autour d’un narratif, par suite traduit en ‘paramètres’ d’entrée de l’analyse :
Tensions géopolitiques et résilience
Le bouleversement des relations internationales impulsé par la nouvelle administration américaine marque une bascule de l’ordre mondial post-guerre froide vers une intensification des rapports de force. L’Europe a réaffirmé sa volonté de préserver son indépendance, ce qui implique de maîtriser certaines activités stratégiques (e.g., défense, technologies bas carbone), de réduire les dépendances critiques (e.g., énergie, matières premières, technologies) et d’optimiser sa production (e.g., approvisionnements alternatifs, recyclage). Cette rupture créé une tension forte sur les arbitrages budgétaires à venir.
Évolutions des politiques publiques
Le rapport Draghi a mis en évidence la nécessité pour l’Europe de concilier les enjeux sécuritaires, économiques et d’innovation avec les impératifs climatiques et sociaux. Cela pourra impliquer des ajustements des réglementations environnementales (e.g., élargissements du MACF, paramètres du SEQE-UE II) et des mesures spécifiques ou complémentaires (e.g., Clean Industrial Deal).
Evolution du climat
Les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre seront conditionnées par les choix politiques et géostratégiques à venir. Le réchauffement climatique ne dépendra pas uniquement des politiques européennes et sera fortement déterminé par le niveau d’ambition climatique des principaux pays émetteurs, dont la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et la Russie.
Cette complexité limite l’efficacité d’une analyse isolée de chaque facteur, et plaide pour une évaluation intégrée basée sur des scénarios. L’ensemble de ces facteurs d’incertitude fait peser des risques à la fois directs (e.g., baisse des rendements agricoles, surcoût carbone, tarifs douaniers) et indirects (e.g., impacts avals) sur les modèles d’affaires, qui peuvent se renforcer ou se compenser.
L’analyse de scénario est un processus stratégique consistant à imaginer, modéliser et analyser plusieurs futurs plausibles, reposant sur des tendances et facteurs d’incertitudes pertinents pour la problématique propre à chaque acteur. Cette approche permet d'anticiper les défis et opportunités en offrant une vision complète et quantifiée de différents états du monde. S’il ne s’agit pas d’une prévision, dont la portée serait fragile au vu des horizons temporels considérés, l’analyse de scénario vise à soutenir la prise de décision stratégique dans un cadre incertain, par exemple en minimisant les risques encourus dans les scénarios adverses.
Adopter une « culture du scénario » implique de relever trois principaux défis :
L’analyse prospective basée sur des modèles quantitatifs – tels que la plateforme REACT d’analyse macroéconomique et le modèle DARE du système énergétique – permet de répondre à ces trois défis en permettant :
En pratique, l’analyse de scénario permet de couvrir différents enjeux des plans de transition :
Les entreprises peuvent être confrontées à des chocs de nature politique (taxe carbone, évolution réglementaire discriminant les options technologiques), économique (e.g., guerre commerciale, reconfiguration des flux touristiques impactant le secteur hôtelier) et physique (e.g., dommages climatiques). L’analyse de scénario permet de caractériser la situation spécifique d’un acteur, tout en prenant en compte l’évolution des grands équilibres économiques. A titre illustratif, nous avons analysé l’impact d’une tarification carbone en France pour les principales filières ainsi que de la réglementation sur l'hydrogène sur le potentiel de production de différents pays européens.
En combinant des approches technico- et macro-économiques, l’analyse de scénario permet de développer une vision précise des options technologiques envisageables pour décarboner un acteur (e.g., coûts, émissions, besoins d’investissement,) ainsi que leurs implications sur le modèle d’affaires (e.g., évolution de la demande, capacité à répercuter les surcoûts) tout en intégrant les effets « chaîne de valeur ». Cet aspect est crucial et nécessite de prendre en compte les choix de décarbonation opérés dans les autres secteurs (e.g., accès à une électricité bas carbone compétitive dimensionnant pour les choix d’électrification). Deloitte a ainsi eu l’opportunité d’explorer en détail la décarbonation du transport routier en Europe et du transport aérien mondial à horizon 2050.
L’analyse de scénario permet de construire une vision sur les futurs possibles d’une commodité ou d’une technologie, à même d’appuyer la prise de décision stratégique relativement à la pérennité d’un modèle d’affaire et d’appuyer les échanges avec les pouvoir publics, comme dans le cas d’une demande de subvention. Au cours des dernières années, nous avons notamment réalisé des études de référence sur les marchés de l’électricité, de l’hydrogène bas carbone, ou encore du gaz naturel.