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Évaluer pour mieux recycler

Décryptage des enjeux liés à l’évaluation environnementale du recyclage chimique

Cet article a été rédigé par Auriane Arnould, Senior Consultante et Romain Radziminski, Directeur, au sein des équipes Sustainability de Deloitte France. 

« L’analyse du cycle de vie (ACV) a joué un rôle déterminant chez CARBIOS pour démontrer la performance environnementale de notre technologie de recyclage enzymatique du PET et établir une relation de confiance avec nos financeurs, partenaires et institutions. »


Delphine DENOIZE, Directrice Financement Innovation, Réglementation & ACV, CARBIOS

Pour quantifier les impacts environnementaux d'un procédé de recyclage chimique et pouvoir communiquer des données transparentes aux parties prenantes (régulateurs, clients, investisseurs, etc.), l'analyse du cycle de vie (ACV) est devenue une méthode incontournable. Bien que cadrée par les normes ISO 140401 et 140442, il n’existe actuellement aucun référentiel sectoriel faisant autorité et applicable à ce nouveau type de procédés de recyclage.

Néanmoins, le 17 avril 2025, Chemical Recycling Europe a publié ses « Guidelines for LCA in Chemical Recycling »3 offrant aux acteurs du secteur une référence pour tendre vers l’harmonisation de leurs pratiques d'évaluation. Nous vous proposons de décrypter les enjeux liés à l’évaluation environnementale du recyclage chimique à la lumière de cette nouvelle publication.

Recyclage chimique des plastiques : de quoi parle-t-on ?

Bien qu'il n'existe pas aujourd'hui de définition du « recyclage chimique » dans la législation Européenne4, ce terme désigne communément l’ensemble des procédés et technologies convertissant des déchets plastiques en matières premières pouvant être utilisées à nouveau pour la fabrication de plastiques ou pour d’autres produits5.

Contrairement au recyclage mécanique, qui broie les matériaux pour les transformer en nouveaux produits sans modification de leur structure chimique, le recyclage chimique brise les liaisons chimiques des longues molécules constitutives des plastiques (polymères) pour obtenir les composants chimiques de base correspondants (monomères ou oligomères par exemple). Cela permet ainsi de traiter un plus large éventail de matériaux plastiques, y compris ceux considérés comme non recyclables par recyclage mécanique6.

Parmi les technologies relatives au recyclage chimique, il y a par exemple des procédés de pyrolyse, de dépolymérisation ou de gazéification7.

Perspective traitement de déchets ou production de matière ? Concept #1

L'Analyse du cycle de vie (ACV) repose sur le principe de « service rendu », un concept clé pour le recyclage chimique. En effet, le recyclage chimique est un processus dit « multifonctionnel », c'est-à-dire qu'il fournit plusieurs fonctions et/ou services : d'un côté, une fonction de traitement de déchets plastiques, et de l'autre, celle de production de matière plastique recyclée8. Cette multifonctionnalité est illustrée sur la figure ci-dessous.

Lors de la réalisation d’une ACV, il est nécessaire de sélectionner le « service rendu » par le procédé de recyclage que l’on souhaite évaluer et ainsi adopter une perspective dite de « traitement de déchets » ou une perspective dite de « production de matière ». A noter que la fonction qui ne fait pas l’objet de l’évaluation peut être qualifiée de « fonction additionnelle ».

Approche par substitution ou par addition ? Concept #2

La norme ISO 14044 fournit une hiérarchie de méthodes à appliquer dans le cadre d'ACV de procédés multifonctionnels dans le but d’affecter les impacts d’un procédé aux différents « services rendus ». Une méthode couramment utilisée est l’extension des frontières du système, c’est-à-dire l’inclusion de la « fonction additionnelle » dans l’étude. Cette méthode peut être réalisée par une approche par substitution ou par une approche par addition.

Dans le cas du recyclage chimique, la méthode la plus utilisée actuellement sur le marché est l’extension des frontières du système par substitution9. Ce terme technique désigne la méthode qui consiste à isoler la fonction étudiée en soustrayant fictivement la « fonction additionnelle » du système de recyclage chimique.

Les deux schémas ci-dessous présentent cette méthode pour chacune des deux perspectives précédemment mentionnées.

Comme indiqué précédemment, l’extension des frontières du système peut également être appliquée par addition. Dans ce cas, la « fonction additionnelle » est ajoutée au système dit « conventionnel » auquel le recyclage chimique est comparé. Ainsi, une « double-perspective » est adoptée, et les fonctions de traitement de déchets et de production de matière du système de recyclage chimique sont considérées simultanément.

Perspective production et approche par substitution : cas d’application #1

L’approche par substitution évoquée précédemment permet, par exemple, de comparer les impacts environnementaux du procédé de recyclage en perspective de production de matière à ceux de la production de matière vierge « à fonction équivalente », comme l’illustre le schéma ci-dessous. 

Dans le cas d’une approche par substitution, la performance environnementale du système de recyclage chimique dépend donc non seulement de paramètres intrinsèques au procédé (quantité d’énergie utilisée, intrants plus ou moins polluants), mais aussi de paramètres extrinsèques, comme la fin de vie conventionnelle évitée aux déchets plastiques en perspective de production de matière.

Ainsi, comme l’illustre le graphique ci-dessous, la comparaison du système de recyclage chimique à la production de plastique vierge dépend grandement de la fin de vie ultime considérée.

De plus, lorsque la fin de vie ultime considérée a des impacts supérieurs à ceux du procédé de recyclage, alors le système avec substitution présente des impacts environnementaux négatifs, ce qui peut prêter à confusion lors de l’analyse.

Pour toutes ces raisons, l’ADEME10 préconise plutôt de ne pas soustraire les impacts de la fin de vie conventionnelle car « l’identification des modalités de traitement des déchets qui sont considérées comme évitées peut s’avérer délicate, complexe, voire arbitraire, alors même que la nature de ce traitement présente une incidence déterminante sur l’évaluation ». En effet, « la gestion en fin de vie considérée comme évitée du fait du recyclage peut être très variable selon la zone géographique d’origine du déchet : le contexte réglementaire peut influer sur le poids relatif entre incinération et mise en décharge ; le mix technologique du parc d’incinérateurs (valorisation électrique ainsi que ses performances de valorisation énergétique peuvent notablement varier d’un pays à l’autre) ».
Dans ce cas, la comparaison entre les deux systèmes ne se fait pas « à fonction équivalente », car le système avec recyclage chimique assure deux fonctions ; tandis que le système conventionnel n’en fournit qu’une seule. Cela est illustré dans le schéma ci-dessous.

Cette exclusion des impacts évités n'est toutefois pas la méthode la plus utilisée, comme l'indique la revue publiée par BASF9 en juin 2023.

Double-perspective et approche par addition : cas d’application #2

Comme évoqué précédemment, l’approche par addition permet d’adopter une « double-perspective » et de comparer les impacts environnementaux du procédé de recyclage chimique simultanément aux fonctions conventionnelles de traitement de déchets et de production de matière, comme l’illustre le schéma ci-dessous.

Toutefois, comme souligné par le CRE11, un inconvénient de l’approche par addition est que les impacts environnementaux du système de recyclage chimique peuvent être utilisés pour être comparés individuellement à la fin de vie ultime des déchets plastiques ou à la production de plastique vierge, auquel cas le système de recyclage chimique pourrait apparaître moins vertueux.

Les futurs enjeux pour le recyclage chimique


La comparaison environnementale entre recyclage chimique et recyclage mécanique est-elle possible ?

Si nous avons vu différentes manières de comparer le recyclage chimique à la fin de vie ultime des déchets plastiques et/ou à la production conventionnelle de plastique vierge, il reste à évoquer la question épineuse de la comparaison entre recyclage chimique et recyclage mécanique.

De nombreuses études estiment qu’il n’est pas possible de comparer les recyclages mécanique et chimique. En effet, d’après Davidson et al.12, la comparaison directe entre ces deux méthodes n'est pas pertinente, puisque le recyclage chimique complémente le recyclage mécanique en valorisant les déchets plastiques qui ne peuvent être recyclés mécaniquement.

Une comparaison doit être faite à fonctions équivalentes. Or, il est reconnu que les recyclages chimique et mécanique ne produisent pas des plastiques de qualité identique. Hormis quelques exceptions, notamment le PET transparent, il n’est actuellement pas possible de produire un produit qui soit agréé pour l’usage alimentaire avec du recyclage mécanique13.

Comparer frontalement les performances environnementales entre le recyclage chimique et le recyclage mécanique ne semble donc pas si simple.

 

Comment considérer des niveaux de maturités différents entre technologies ?

La comparaison entre technologies avec des niveaux de TRL (Technology Readiness Level) différents est également un enjeu fort.

En effet, les technologies de recyclage chimique sont pour la plupart toujours à un stade de faible TRL et ne présentent pas la même maturité que certaines technologies établies pour le traitement des déchets plastiques ou la production de plastique vierge. Or, par exemple, les données obtenues à l'échelle laboratoire d’un procédé tendent à surestimer ses impacts sur l’environnement en raison de gains de rendement lors du passage à l'échelle industrielle14.

Pour éviter que la comparaison de performance environnementale ne devienne un frein à l’innovation, il est nécessaire de considérer l’impact des niveaux de maturité sur les données et/ou les résultats obtenus. Certaines études académiques ont déjà été réalisées15 mais de nombreux secteurs commencent à se questionner sur ce point.   

 

Comment appliquer un concept d‘analyse linéaire à un procédé circulaire ?  

Une des limites actuelles de l’application de l’ACV est que cette pratique capture difficilement la circularité permise par les procédés de recyclage chimique.

En effet, à partir de déchets plastiques et en revenant aux composants chimiques de base, le recyclage chimique permet d’obtenir « à l‘infini » (sans considérer de pertes) des produits de qualité vierge. Or l’analyse du cycle de vie ne considère souvent qu’un seul cycle de vie. Considérer plusieurs cycles de vie continus dans une approche dite « multicycle » pourrait être envisagée mais aucun cadre méthodologique n’existe à ce jour.

Néanmoins, d’autres méthodes complémentaires existent pour capturer spécifiquement les bénéfices sur la circularité des procédés de recyclage chimique, comme l’indice de circularité de la Fondation Ellen Macarthur16 ou l’indicateur de transition circulaire du WBCSD17.

Si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à contacter nos équipes pour discuter de la manière dont nous pouvons vous accompagner dans l’évaluation des impacts environnementaux de vos procédés ou de vos produits.

​​1 ISO 14040:2006 (2006) Environmental management - Life cycle assessment - Principles and framework.

​² ISO 14044:2006 (2006) Environmental management - Life cycle assessment - Requirements and guidelines.

3 Chemical Recycling Europe (2025). Guidelines for Chemical Recycling LCAs.

4 Garcia-Gutierrez, P. A. (2023). Environmental and economic assessment of plastic waste recycling A comparison of mechanical, physical, chemical recycling and energy recovery of plastic waste. Luxembourg: Publications Office of the European Union.

5 Plastics Europe (2025, June 24). Chemical recycling.

6 Plastics Europe (2025, June 24). Chemical recycling.

7 Garcia-Gutierrez, P. A. (2023). Environmental and economic assessment of plastic waste recycling A comparison of mechanical, physical, chemical recycling and energy recovery of plastic waste. Luxembourg: Publications Office of the European Union.

8 Pré Sustainability (2025, June 24). Finding your way in multifunctional processes and recycling.

9 BASF (2023). Life-Cycle Assessments of Chemical Recycling: An overview - Focus on Carbon Footprint.

10 GUIOT Marianne, G. A. (2022). Cadre de Référence - ACV comparatives entre différentes solutions d’emballages.

11 Chemical Recycling Europe (2025). Guidelines for Chemical Recycling LCAs.

12 Matthew G. Davidson, R. A. (2021). Developments in the life cycle assessment of chemical recycling of plastic waste - A review.

13 ADEME, E. H. (2022). Etude des gisements de déchets plastiques pouvant être traités par recyclage chimique et physico-chimique en France.

​14 Chemical Recycling Europe (2025). Guidelines for Chemical Recycling LCAs.

15 Fabiano Piccinno, R. H. (2016). From laboratory to industrial scale: a scale-up framework for chemical processes in life cycle assessment studies.

16 Ellen Macarthur Foundation. (2019). Circularity indicators - An approach to Measuring Circularity.

17 WBCSD. (2022). Indicateurs de transition circulaire v2.0.

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