CSRD, CSDDD, Loi anti-fast fashion… Ces dernières semaines, les tentatives de détricotage dont fait l’objet la législation ESG sèment le trouble au sein des entreprises, y compris dans l’industrie de la mode. Quelles seront nos obligations ? Devons-nous poursuivre la préparation d’un reporting ? Et nos actions de transformation ?
En parallèle, l’affichage environnemental français et le PEF européen peinent à voir le jour, laissant d’importantes questions en suspens pour la mesure de l’impact produit et l'information du consommateur.
Dans un contexte d’incertitudes sur l’avenir normatif, il peut être tentant pour les marques de laisser de côté les projets de transformation en cours. Cette réaction soulève néanmoins un certain nombre de risques pour l’avenir des enseignes.
D’abord, celui de fragiliser la confiance des collaborateurs et des partenaires qui ont engagé des efforts considérables pour travailler sur la durabilité de l’industrie ces dernières années. Les coûts de reprise et de réengagement des parties prenantes pour les marques qui interrompront la dynamique ne doivent pas être sous-estimés.
Par ailleurs, les entreprises risquent de perdre un temps précieux pour adresser les enjeux qui s'imposent à elles et saisir les opportunités que peuvent offrir une transformation profonde et durable de la mode :
En ces temps troublés, l'entreprise doit se reposer la question de son ambition et de ses priorités stratégiques et éviter les décisions de court-terme qui pourraient nuire à sa résilience.
Fin 2023, 189 entreprises du secteur de l’habillement avaient fixé une trajectoire de réduction de leurs émissions de GES validée par SBTi1. Des engagements ambitieux qui ne pourront pas être atteints sans un plan d’action opérationnel décliné à tous les maillons de l’entreprise.
Considérant le poids des produits dans le bilan environnemental des entreprises du secteur, la réinvention de l’offre semble essentielle pour atteindre les objectifs fixés. Un chantier stratégique que l’on peut découper en trois questions essentielles :
1) Comment développer un mix de produits et services permettant de décorréler la création de valeur de l'extraction de nouvelles ressources ?
2) Comment repenser la conception des vêtements pour réduire leur empreinte et atteindre les objectifs climatiques fixés par l'entreprise ?
3) Comment embarquer le consommateur vers le choix d’une mode plus durable ?
Les obstacles économiques, techniques et organisationnels liés à ces questions sont nombreux, mais les adresser ouvre également de nouvelles perspectives pour la résilience et la compétitivité des enseignes. Dans un paysage concurrentiel où les acteurs de l’ultra fast fashion et les pure players de la seconde main gagnent du terrain, la réinvention du modèle d’offre peut permettre aux acteurs traditionnels de tirer leur épingle du jeu.
L’hybridation de l’offre consiste à intégrer une part de seconde main et de services (réparation, location…) dans ses activités pour s’extraire en partie de la production de vêtements neufs.
Elle s’impose comme un puissant levier de réduction d’impact et de compétitivité pour les marques :
Cette voie est explorée par des entreprises du secteur de la mode sur plusieurs segments de marché. Depuis quelques années, des offres de seconde main et de réparation fleurissent chez des acteurs du secteur. En 2024, 58 % des marques interrogées par l’IFM proposaient des produits de seconde main. Mais pour la plupart, ces propositions restent marginales et devront faire l’objet d’investissements techniques et marketing supplémentaires pour tendre vers une véritable hybridation de l’offre. La dynamique devrait s’accélérer car si le marché de la revente est encore largement capté par les pures players (+61% de CA pour Vinted entre 2022 et 20233), des solutions innovantes se structurent, faisant émerger des modèles rentables pour les enseignes.
L’attention portée à l’éco-conception des produits et au choix de l’assortiment est primordiale pour l’atteinte des objectifs climatiques des enseignes.
Selon le Global Fashion Agenda, 71% des émissions de GES du secteur de la mode seraient liées à la production amont, du fait de l’utilisation de matières et procédés fortement émissifs.
Ainsi, de nombreuses marques ont d’ores et déjà fixé des objectifs, formalisé des politiques d’éco-conception ou formé leurs équipes (achats, stylistes, produits, …). Ces initiatives constituent une première étape, mais doivent s’accompagner du déploiement d’outils opérationnels et de chantiers de transformation profonds pour être pleinement mises en œuvre :
Le consommateur, par son acte d'achat et son influence potentielle au sein des communautés, est appelé à jouer un rôle essentiel dans la transformation de l'industrie de la mode.
Pourtant, les chiffres actuels montrent un engagement et des attentes ambiguës de la part des clients. Nous en sommes régulièrement témoins, il existe un décrochage important entre les intentions et les pratiques. En 2024, 85% des consommateurs affirment tenir compte des critères de durabilité et d'éthique lors de leurs achats de mode, privilégier principalement l'achat de produits de seconde main et des articles fabriqués localement4. Dans les faits, sur la même période, 69 % des consommateurs français ont préféré les plateformes d'ultra fast fashion en raison des prix attractifs qu’elles proposent5.
Pour les enseignes, il s'agit donc de repenser le rapport au consommateur, à ses attentes et ses besoins mais également d'intégrer pleinement le rôle clé « d'éducateur de marché ». Pour opérer un véritable changement de paradigme au profit d’une mode durable, l'approche centrée sur les comportements individuels et la prise de conscience environnementale n'est plus suffisante. Les enseignes doivent repositionner leurs clients au centre de leurs démarches de transformation, questionner leurs attentes et explorer de nouveaux leviers pour faire du consommateur un allié de la transformation.
Dans un rapport publié en 2024, les chercheurs de l’IDDRI identifient quatre changements d’environnement qui vont favoriser l’adoption de nouvelles pratiques et créer les « conditions sociales de réalisation de la transition »6 : l’environnement physique, socio-culturel, économique et cognitif. Cette approche peut fournir un cadre aux marques désireuses d’engager un changement de comportement chez leurs consommateurs :
Cette approche nécessite au préalable de conduire une étude approfondie des modes de vie et de consommation de la clientèle, ses aspirations, ses contraintes… et d’engager une réflexion stratégique sur les leviers d’influence en y associant tous les métiers de l’offre.
Les marques doivent aujourd’hui maintenir leurs efforts de transformation durable et accélérer les réflexions sur l’impact de leur portefeuille de produits et services. Savoir quantifier, transformer, accompagner la lisibilité des informations et engagements auprès de ses clients mais aussi préparer le terrain de nouveaux usages qui deviennent de nouvelles opportunités de développement à long terme. Malgré un contexte d’incertitudes important, c’est un choix stratégique décisif pour assurer la résilience des modèles et de l’ensemble de la chaîne de valeur.
Notre équipe Deloitte Sustainability France travaille au quotidien auprès des entreprises pour les aider à relever ces défis. Nous nous appuyons sur nos expertises techniques, nos connaissances des problématiques métiers et notre expérience du secteur de la mode pour mener différents types d’accompagnement, tels que :
1 SBTi Monitoring Report, 2023 > https://sciencebasedtargets.org/reports/sbti-monitoring-report-2023
2 Ellen MacArthur Foundation, Circular Business Models: Redefining Growth for a Thriving Fashion Industry, 2021 > https://emf.thirdlight.com/file/24/Om5sTEKOmm-fEeVOm7xNOmq6S2k/Circular%20business%20models.pdf
3 Vinted, Après une forte année de croissance, Vinted devient rentable et continue d'investir pour l'avenir, 2024 > https://company.vinted.com/fr/newsroom/vinted-reaches-profitability
4 Etude « Les français et la consommation », Deloitte France, 2024 > https://www.deloitte.com/fr/fr/our-thinking/explore/climat-developpement-durable/les-francais-et-la-consommation.html
5 Conférence « Bilan 2024 et Perspectives 2025 », IFM, février 2025 > https://www.defimode.org/ifm-bilan-2024/
6 « Quand on peut, on veut » - Conditions sociales de réalisation de la transition : une approche par les modes de vie. Iddri, Décryptage N°08/24 > https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/decryptage/quand-peut-veut-conditions-sociales-de-realisation-de-la