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Règlementation de l’hydrogène bas carbone au sein de l’Union européenne : quels scénarios possibles et quels impacts à prévoir ?

La loi européenne sur le climat impose une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55 % d'ici à 2030 et vise la neutralité climatique dans l’Union européenne (UE) d’ici à 2050. Polyvalent, indispensable dans certains secteurs, et complémentaire à l'électrification, l'hydrogène propre est un élément clé pour atteindre ces objectifs climatiques.

 

La filière d’hydrogène bas-carbone n'en est encore qu’à ses débuts. L'établissement d'une réglementation, de définitions et de systèmes de certification clairs et efficaces est une condition préalable à la structuration du marché et au déblocage des investissements.

Suite à l'adoption officielle du paquet « Hydrogène et gaz décarboné » en mai 2024, la Commission européenne doit, dans un délai d'un an, préparer un acte délégué sur les carburants bas-carbone dont l'hydrogène bas-carbone est l’élément central. Cette loi définira les normes, règles comptables et seuils de réduction d’émission pour les méthodes de production d'hydrogène bas-carbone, constituant la base d'un système de certification. La régulation couvrira des filières d’approvisionnement variées, notamment l'électrolyse à base d’électricité fournie par le réseau électrique, le reformage de gaz fossile avec capture du carbone (« CCUS ») et les importations extra-européennes, toutes pouvant potentiellement contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le prochain acte délégué complétera le règlement existant sur l'hydrogène renouvelable1.

 

Illustration des principales dimensions influençant la réglementation bas carbone

Contexte de l’étude

 

En s’appuyant sur une modélisation détaillée du système électrique européen et des opportunités d’import, notre analyse quantifie l’impact de paramètres réglementaires actuellement débattus et qui devraient être fixés dans le prochain acte délégué. Nos outils de modélisation (DARE et HyPE) ont été couplés pour représenter de manière exhaustive l’évolution du système électrique européen, les potentiels de production des différentes filières d’hydrogène décarboné (renouvelable et bas-carbone), les échanges par gazoduc et les importations par voie maritime d’ici à 2050. Cette modélisation permet de comprendre comment les décisions politiques façonneront la compétition entre les technologies, et les implications à court et long terme sur l’impact environnemental, le développement et la résilience de la filière hydrogène naissante. 

La réduction d’émissions doit demeurer la priorité

 

L’objectif premier de la régulation doit être de s'assurer que l'hydrogène produit est véritablement décarboné et que sa production est en phase avec les objectifs climatiques de l'Union européenne.  

  • La directive sur les énergies renouvelables (RED III)2 instaure un comparatif fossile de 94 gCO2eq/MJ et impose une réduction d'au moins 70 % des émissions de GES, ce qui se traduit par un seuil maximum d'intensité carbone pour l'hydrogène de 3,38 kgCO2eq/kgH2. Toutefois, pour être compatible avec l'objectif de zéro émission nette de l'UE, ce seuil devrait passer de 3,38 aujourd’hui à 1 kgCO2eq/kgH2 en 2050. Cela nécessite un abaissement progressif du seuil d’émission jusqu’à 2050, unique moyen d'exclure toute production à forte empreinte environnementale. En effet, l’utilisation de gaz fossile avec des émissions de production et transport en amont encore importantes ou d’électricité d’origine fossile n’est pas compatible avec les ambitions climatiques européennes. La mise en application d’un seuil d’émission de plus en plus strict permettrait d’éviter jusqu’à 230 MtCO2eq d’émissions à horizon 2050.
  • Comptabiliser les émissions de l’électricité soutirée du réseau public avec une méthode dynamique et horaire améliorerait l’empreinte environnementale. Cela augmenterait la contribution des électrolyseurs à la flexibilité du système (nécessaire à l’intégration croissante de capacités renouvelables) tout en créant des opportunités de marché qui n’auraient autrement pas vu le jour avec une comptabilité basée sur des moyennes annuelles. Les profils de fonctionnement des électrolyseurs s’aligneraient avec les fluctuations d'intensité carbone dans le réseau électrique, qui correspondent également aux périodes où les prix de marché sont les plus bas. Une méthode de compatibilité au pas de temps horaire entraîne une diminution des émissions supplémentaire de 30 MtCO2eq (de 2030 à 2050) par rapport à une comptabilité des émissions reposant sur des moyennes annuelles. 

La réglementation de l'hydrogène bas-carbone façonnera la compétition entre moyens de production

 

Les coûts de production de l'hydrogène varient considérablement selon la technologie utilisée et le pays de production, dépendants de prix du gaz et de l'électricité, de conditions météorologiques et de disponibilité des infrastructures. Des trajectoires d’approvisionnement en hydrogène diverses au sein des pays l’UE émergent naturellement des hétérogénéités nationales en termes de potentiel renouvelable, de mix énergétiques historiques ainsi que d'accès aux sites de stockage de CO2 ou aux infrastructures d'importation d'hydrogène. 

  • La production d'hydrogène par électrolyse via une connexion au réseau électrique domine progressivement l'approvisionnement en hydrogène européen, porté par l'intégration croissante des énergies renouvelables dans la production électrique. A court terme, le développement de la filière est inégal entre pays européens de par les différences de mix électriques existants et en fonction des choix de méthodologies de comptabilisation des émissions du réseau. La production d'énergie propre devant croître rapidement pour soutenir la croissance de la demande en électricité, une flexibilité importante du fonctionnement des électrolyseurs est attendue et une infrastructure de stockage d'hydrogène à grande échelle est essentielle pour le déploiement de la filière. 
  • La production d'hydrogène à partir de gaz fossile pourrait jouer un rôle majeur dans l’UE, mais son déploiement à grande échelle fait face à des incertitudes importantes. Le déploiement des reformeurs avec CCUS fait face à des défis techniques (liés aux déploiements des technologies et infrastructures nécessaires à la capture et au transport du CO2) mais est également dépendant d’importation de gaz dont le prix est particulièrement volatil et dont les émissions en amont doivent encore être réduites. En effet, respecter les seuils d'émission nécessite des technologies de capture du carbone avancées (taux de capture de 90 % ou plus) et un impact environnemental minimal le long la chaine amont de production et transport du gaz. Actuellement, produire de l’hydrogène en Europe à partir de de gaz fossile importé des États-Unis ou d'Algérie ne répondrait pas aux normes d'intensité carbone, même si des technologies de capture avancées sont utilisées.  
  • Les importations d'hydrogène sont essentielles à l’UE, elles offrent un accès à une production étrangère à bas coût et comblent le déficit de production interne. Les importations par pipeline en provenance de régions voisines disposant d’abondantes ressources en gaz fossile ou en énergies renouvelables sont très compétitives et constituent une partie clé de l'approvisionnement. En revanche, les coûts de transport et de conversion/reconversion élevés pèsent sur la compétitivité des importations. L'UE doit appliquer des normes environnementales également strictes pour les fournisseurs internationaux afin d’éviter que les bénéfices liés à l’import d’hydrogène dans l’EU soient contrebalancés par une augmentation des émissions ailleurs.  

Enseignements de l’étude

 

L’élaboration du système européen de certification de l'hydrogène à faible teneur en carbone nécessite une approche concertée, raisonnée et équilibrée. Cette réglementation doit tenir compte des particularités de chaque filière d’approvisionnement à faible émissions et s'inscrire dans le cadre réglementaire existant, en s'alignant sur les objectifs industriels, énergétiques et environnementaux de l'UE. Elle doit également s’insérer dans des paysages énergétiques divers, chaque état membre ayant des mix énergétiques, des ressources, des infrastructures et politiques publiques uniques. De plus, il est nécessaire d’offrir dès aujourd’hui clarté et stabilité aux parties prenantes de l’économie de l'hydrogène tout en restant adaptable face aux incertitudes futures. 

Notre analyse souligne :

  • L’établissement d’un cadre réglementaire adapté, univoque et complet doit fournir une vision durable et claire pour mettre en mouvement les acteurs du marché ; 
  • Il est nécessaire selon nous d’avoir des seuils d’émissions décroissants, conformes à l'objectif de neutralité climatique en 2050, soient progressivement adoptés et remplacent la valeur actuelle de 3,38 kgCO2eq/kgH2; 
  • Une méthodologie de comptabilisation des émissions du réseau électrique, dynamique et avec une granularité suffisamment fine, doit être instaurée pour aligner le fonctionnement des électrolyseurs avec les besoins du système électrique tout en créant des opportunités de marché;  
  • Les facteurs d'émission de l'hydrogène produit à partir du gaz naturel doivent être étroitement surveillés, avec une attention particulière à l'origine et l’empreinte environnementale (amont et avale) du gaz utilisé. 

La publication de l’acte délégué sur les carburants bas-carbone offre l'occasion de réévaluer les priorités et de concilier les besoins à court terme de l'industrie de l'hydrogène avec les objectifs environnementaux, stratégiques et économiques européens et nationaux. Reconnaître et prendre en compte ces complexités est capital pour créer la base d'une filière européenne de l’hydrogène durable et résiliente.

Notes et références

1 La REDII (https://eur-lex.europa.eu/eli/dir/2018/2001/oj) et les actes délégués ultérieurs de la RFNBO de février 2023 sur le seuil minimal de GES et  la méthodologie de comptabilisation des GES. 

2 Directive (UE) 2023/2413 du 18 octobre 2023 relative à la promotion d'énergie produite à partir de sources renouvelables. Disponible chez : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=OJ:L_202302413