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L’hydrogène vert : un accélérateur de transition vers la neutralité carbone

L’hydrogène vert peut jouer un rôle déterminant dans la décarbonation de nos économies en surmontant les défis actuels associés aux énergies fossiles et technologies émettrices de gaz à effet de serre. Les acteurs qui se positionneront rapidement récolteront des avantages significatifs et durables tant sur le plan économique qu'environnemental.

 

Les gouvernements, entreprises, chercheurs et parties prenantes du monde entier accentuent leurs efforts pour atteindre la neutralité carbone. L’atteinte des objectifs poursuivis par l’Accord de Paris – contenir la hausse de la température mondiale bien en-dessous de 2 °C, tout en poursuivant les efforts pour la maintenir à 1,5 °C1 – nécessite le remplacement des combustibles fossiles par des sources d’énergie à faible teneur en carbone, telles que les énergies renouvelables.

L'hydrogène vert représente une solution à la fois économiquement viable et durable aux défis liés à la décarbonation de notre économie.

Qu’il soit directement utilisé en tant que tel ou pour produire des molécules dérivées (ammoniac, méthanol et carburant d’aviation durable), l’hydrogène vert peut permettre de réduire considérablement les émissions dans les secteurs les plus difficiles à décarboner comme l’industrie lourde (sidérurgie, chimie) ou le transport aérien et maritime. Si l’expansion de l’énergie éolienne et solaire se poursuit, l’hydrogène vert peut aussi constituer une solution majeure de flexibilité et de stabilité pour les systèmes électriques décarbonés.

Le marché émergent de l'hydrogène vert redessinera le paysage mondial de l'énergie et des ressources dès 2030, et pourrait à terme constituer un marché de 1 400 milliards de dollars par an.

Johannes Trüby, Associé Economic Advisory de Deloitte France

Notre analyse s’appuie sur Hydrogen Pathway Explorer (HyPE), le modèle du commerce international de l’hydrogène développé par Deloitte

 

HyPE est un modèle international de la production et du commerce de l’hydrogène décarboné. Il permet d’optimiser le coût d’approvisionnement en hydrogène en considérant un ensemble complet d’options de production, associées avec un ensemble de plus de 38 000 sites de production potentiels ainsi que plusieurs modalités de transport de l’hydrogène (pipelines et transport maritime en considérant les besoins de conversion et de reconversion éventuels). Chaque option de production et de transport bénéficie d’une perspective détaillée d’évolution de ses coûts. HyPE est aligné sur la trajectoire « zéro émission nette » l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Il prend en considération les échanges d’hydrogène ainsi que de ses principales molécules dérivées : l’ammoniac, le méthanol et le carburant d’aviation durable synthétique.

HyPE permet d’optimiser économiquement l’approvisionnement mondial en hydrogène décarboné, fournissant ainsi des informations quantitatives et granulaires sur la structuration du marché et grands enjeux associés, tel que le dimensionnement de l’infrastructure, les trajectoires régionales de coût de l’hydrogène, les stratégies import-export, les besoins d’investissements, ou encore des choix technologiques pour la production et le transport.

Un nouveau marché porté par les enjeux climatiques

 

Les perspectives long terme de Deloitte, basées sur le modèle HyPE (Hydrogen Pathway Explorer), explorent l’émergence d’une économie inclusive de l’hydrogène vert. Elles envisagent une croissance régulière du marché de l’hydrogène décarboné, avec un revenu mondial passant de près de 650 milliards de dollars en 2030 à 1 400 milliards de dollars en 2050. A cette échéance, environ 600 millions de tonnes pourraient être produites et échangées au niveau mondial.

Cette analyse souligne l’opportunité que constitue l’hydrogène décarboné pour les décideurs privés et publics, non seulement en termes de développement économique mais également pour éviter jusqu'à 85 GtCO2eq d’émissions cumulées d'ici à 2050, soit plus deux fois les émissions annuelles mondiales de 2021.

Demande régionale d’hydrogène décarboné et de ses dérivés entre 2030 et 2050 (MtH2eq)

Un marché international par nature

 

Garantir un approvisionnement mondial compétitif et résiliant implique de connecter les centres de demande aux zones où l’hydrogène décarboné peut être produit à un coût abordable, via des routes commerciales et des infrastructures de transport diversifiées. Les perspectives de Deloitte révèlent qu'à l’horizon 2050, les échanges d’hydrogène décarboné entre les principales régions du monde pourraient représenter environ 20 % du marché et générer plus de 280 milliards de dollars de revenus annuels pour les pays exportateurs. Les produits les plus échangés seront les dérivés de l'hydrogène (ammoniac, méthanol et carburants d’aviation durables), plus faciles donc moins onéreux à transporter sur de longues distances.

D'ici à 2050, les principaux exportateurs devraient être l'Afrique du Nord (110 milliards de dollars par an), l'Amérique du Nord (63 milliards de dollars), l'Australie (39 milliards de dollars) et le Moyen-Orient (20 milliards de dollars).

Flux inter-régionaux d’hydrogène décarboné en 2050

Un marché mondial diversifié peut considérablement réduire les coûts d’approvisionnement et améliorer la sécurité énergétique tout en favorisant la croissance économique dans les pays émergents et en développement. L’export d’hydrogène vert constitue pour ces pays une opportunité majeure de générer des revenus et pourrait compenser, du moins en partie, la baisse inévitable des recettes provenant du pétrole, du gaz naturel ou du charbon dans un contexte de la transition énergétique.

Une stratégie de diversification et de résilience pour l’hydrogène européen


La demande européenne en hydrogène décarboné pourrait atteindre jusque 95 millions de tonnes en 2050.

A cet horizon, l’Europe serait le quatrième marché régional de l’hydrogène en valeur, générant presque 200 millions de dollars de revenus par an.

L’Europe pourra s’appuyer sur ses propres ressources pour produire des volumes conséquents d’hydrogène décarboné, en particulier pour les usages en hydrogène pur, plus difficile à transporter sur de longues distances. Deloitte estime que la production européenne pourrait atteindre 55 millions de tonnes par an d’ici à 2050. Du fait de ses caractéristiques géographiques, il lui sera cependant difficile de satisfaire l’intégralité de sa demande à un coût abordable. L’Europe pourrait ainsi s’appuyer sur des partenaires nord-africains, du Moyen-Orient, d’Afrique sub-saharienne, ou nord-américains pour fournir jusqu’à 40 % de sa demande globale.

La diversification de l’approvisionnement en d’hydrogène vert et l’absence de corrélation directe entre son coût de production et le prix des combustibles fossiles – l’hydrogène vert est produit à partir d’énergies renouvelables à un faible coût marginal –, devrait permettre à l’Europe de renforcer sa résilience énergétique, tant en termes de volumes que de volatilité des prix. A l’inverse, un sous-investissement dans les infrastructures de transport ou l’introduction de freins commerciaux seraient contreproductifs, retardant la transition énergétique tout en incitant les industries fortement consommatrices d’hydrogène à se relocaliser dans des régions plus compétitives. L’Europe doit donc engager une véritable diplomatie de l’hydrogène afin de bâtir des partenariats commerciaux privilégiés, mutuellement avantageux, et permettant de garantir une concurrence équilibrée avec les marchés intérieurs.

Une vague d’investissements verts à l’horizon

 

Les acteurs publics et privés ont tout à gagner à engager dès à présent la réorientation des dépenses consacrées à l’industrie pétro-gazière vers le secteur de l'hydrogène. Deloitte estime que plus de 9 000 milliards de dollars d'investissements cumulés dans la chaîne de valeur mondiale de l'hydrogène décarboné seront nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050, dont plus d’un tiers dans les pays émergents et en développement. Bien qu'impressionnants, ces chiffres ramenés à une moyenne annuelle sont comparables aux près de 420 milliards de dollars consacrés en 2022 à l’exploitation du pétrole et du gaz dans le monde.

Investissements cumulés dans la chaîne d’approvisionnement d’hydrogène décarboné en 2050 (en milliards de dollars US)

Il est vital que l’Europe accélère dans le développement d’une chaîne de valeur européenne de l’hydrogène, à la fois en termes de fabrication d’équipements et de capacités de production. Notre analyse montre qu’un investissement de près de 1 200 milliards d’euros serait nécessaire pour répondre aux besoins des consommateurs européens, en complément des imports. Outre les politiques de soutien nationales et communautaires, les industriels européens seront en mesure de faire levier sur leurs investissements internationaux (exports d’équipements, investissements à l’étranger) pour amortir les coûts de recherche et développement, déclencher les effets d’apprentissage nécessaires pour accélérer le déploiement en Europe, et in fine assurer la compétitivité de l’hydrogène européen.

Des politiques tournées vers l’avenir et une coopération à l’échelle mondiale

 

Le soutien public est incontournable pour favoriser l’essor de l'hydrogène décarboné, et plus particulièrement pour permettre à l'hydrogène vert de jouer pleinement son rôle dans la transition vers la neutralité climatique. A terme, notre analyse montre que l’hydrogène vert pourra être compétitif sans soutien public face à ses alternatives carbonées, la parité des coûts pouvant même être atteint avant 2035 pour les usages d’hydrogène pur et d’ammoniac.

La mise en place d’instruments ciblés visant à réduire la différence de coût actuel permettra accélérer l'établissement d'un marché mondial et efficient, concourant à l’atteinte des objectifs climatiques. La coopération internationale pour favoriser une concurrence équilibrée, promouvoir la transparence et l’harmonisation des certifications, et faciliter l’inclusion des pays émergents et en développement dans les chaines de valeur mondiales permettra de garantir une résilience à long terme.

Les décideurs politiques devraient concentrer leur attention sur trois éléments :

Poser les bases d’un marché concurrentiel, transparent et inclusif, intégrant les enjeux climatiques

Assurer la viabilité des projets d’hydrogène vert sur le moyen terme, y compris en apportant de la visibilité et de la crédibilité aux investisseurs

Garantir la résilience du marché à long terme, en favorisant la diversification des chaînes d’approvisionnement, en investissant dans l’infrastructure de transport et de stockage, et en soutenant l’harmonisation des cadres réglementaires

Notes et références
 

¹United Nations, “The Paris Agreement” consulté le 3 avril 2023