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Afrique subsaharienne : concilier croissance économique, développement et durabilité

Le sommet de la COP29, qui s’est tenu en décembre dernier à Bakou, s'est conclu sur une note de déception pour les pays africains en raison de la faiblesse des financements alloués pour faire face aux défis climatiques auxquels sont confrontés les pays les plus pauvres de la planète. 

La question du respect des enjeux environnementaux couplée à celle de la recherche d’une croissance économique pouvant entrainer un développement de l’Afrique (au sens de l’amélioration significative des conditions de vie) demeure complexe. Si la croissance économique est certes soutenue en Afrique, avec un taux de 3,6 % en 2023, bien au-dessus du taux de 0,6 % de l’Union européenne1, cette dynamique reste insuffisance pour le développement économique d’un espace où environ 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Sur le plan économique, l’Afrique fait encore face à des défis structurels majeurs comme l’accès limité à l’énergie et au transport, mais aussi une pression démographique forte. 

Si l’on ajoute à cela l’impératif de maîtriser les émissions de CO2 afin d’assurer une trajectoire de développement durable, l’équation croissance-développement-durabilité reste au cœur de l’inconnu de l’avenir économique des pays africains.  

 

Energie et transport : les infrastructures à l'épreuve du développement 

 

Malgré une croissance économique soutenue, le PIB par habitant en Afrique subsaharienne figure parmi les plus bas au monde, avec seulement 1 300 US$ en 2022, contre 47 000 US$ dans l’Union européenne. Ce retard est aussi constaté dans un domaine aussi stratégique que celui de l’électricité : 50 % de la population n’a aujourd’hui pas accès à l’électricité en Afrique. La forte croissance de la demande n’arrange pas les choses : les compagnies nationales d’électricité, fragilisées par des problèmes de gestion ou de rentabilité financière, ont des difficultés à y répondre. Dans un contexte où plusieurs pays africains ont enregistré des découvertes récentes en énergie fossile, la question de s’appuyer sur ces ressources pour alimenter cette hausse de la demande d’électricité est posée par les décideurs du continent. 

Dans le domaine des transports, la situation est tout aussi compliquée. L’insuffisance de réseaux publics modernes a un impact significatif sur ce que les économistes appellent les « coûts de transactions », ce qui rend la création de richesse plus complexe et moins efficiente. En outre, la dépendance aux véhicules d’occasion (entre 2015 et 2018, 40 % des véhicules d’occasion exportés dans le monde ont fini en Afrique), souvent très polluants, exacerbent les défis urbains.  

Les enjeux de la transition énergétique 

 

Si l'Afrique est souvent perçue comme ayant un mix énergétique polluant, la réalité est bien plus nuancée. Les performances environnementales du secteur électrique varient considérablement d’une région à l’autre, révélant une mosaïque de défis et d’opportunités. 

En Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud), région la moins avancée en matière d’électrification, la consommation d’électricité y reste très faible : 302 kWh3 par habitant en 2023, contre 6 300 kWh en moyenne dans l’Union européenne. À titre de comparaison plus tangible, la consommation moyenne d’un Africain équivaut à celle d’un réfrigérateur en France. Dans ce contexte, bien que la question de l’accès à l’électricité soit cruciale pour le développement, son impact sur les émissions globales de carbone demeure limité. 

Ensuite, bien que de nombreux pays de la région soient encore fortement dépendants des combustibles fossiles pour produire leur électricité, il est important de relativiser cette donnée.  

Toutefois, la nécessaire route vers une transition énergétique durable reste semée d’embûches. D’importants investissements sont requis, notamment pour renforcer les réseaux de transport d’électricité et résoudre les problèmes structurels tels que les pertes dans les réseaux. Par ailleurs, les besoins financiers sont colossaux : 2 500 milliards de dollars devront être mobilisés d’ici à 20355 pour soutenir cette transition. Les financements internationaux, bien qu’essentiels, restent insuffisants. Les investisseurs privés, attirés par des marchés moins risqués, se détournent de la région ou imposent des exigences de rentabilités élevées : le coût du capital y est en moyenne deux fois plus élevé6

Dans le même sens, la faiblesse de la « consommation individuelle » dans le domaine des transports conduit à relativiser son impact sur les enjeux climatiques globaux. Le nombre de véhicules par habitant y est de 25 pour 1 000 habitants en Afrique comparé à 557 pour 1 000 habitants pour l'Union européenne7, entraînant des émissions de CO2 par tête six fois moindres8. En outre, des initiatives comme le Bus Rapid Transit (BRT) de Dakar et le métro d’Abidjan promettent de réduire les émissions tout en améliorant la mobilité urbaine. Ces projets, associés à des politiques publiques restrictives sur les importations de véhicules anciens, pourraient transformer un secteur du transport. 

La démographie de la région est souvent perçue comme un défi important pour le climat. Entre 2010 et 2022, la population africaine a augmenté de 300 millions de personnes. Pourtant, contrairement aux idées reçues, l’Afrique subsaharienne, ayant une superficie correspondant à celle de l’Union européenne, la Chine et les Etats-Unis réunis, est loin d’être surpeuplée. La densité moyenne y est près de deux fois inférieure à celle de l’UE. En prenant en compte les projections démographiques dans les vingt prochaines années, l’Afrique sera toujours moins peuplée que l’espace comparable en matière de superficie constituée par la Chine, les Etats-Unis et l’UE.  

 

Entre défis environnementaux et opportunités de croissance 

 

Selon l’Agence internationale de l’énergie, les émissions de CO2 par personne en Afrique subsaharienne sont estimées en 2022 à environ 0,99 tonne par tête, contre 5,9 tonnes10 pour l’Union européenne. Les projections données à horizon 2035 situe l’Afrique à un niveau à peine au-dessus de 1 tonne par tête. Les enjeux climatiques sur une trajectoire à moyen et long terme ne doivent toutefois pas être négligés. Il est à espérer qu’à long terme une convergence en matière de richesse s’opère pour beaucoup de pays africains. 

L’énigme majeure devient la question de son financement (notamment à la suite de l’échec de la COP29). La valorisation des ressources naturelles, en particulier forestières, pourrait être une piste sérieuse. Des pays comme la République Démocratique du Congo et le Gabon explorent des moyens de monétiser leurs actifs forestiers, qui ont des externalités positives pour la planète et jouant un rôle dans la séquestration du carbone ainsi que la préservation de la biodiversité. Cette valorisation pourrait pour la première fois apporter un alignement parfait entre les objectifs de croissance, de développement et de durabilité.  

 

1. Work Economic Outlook, “Steady bot Slow : Resilience amid Divergence”, avril 2024. 
2. Jeune Afrique, “Climat : comment les voitures importées empoisonnent l’Afrique”, 28 novembre 2023. 
3. 1 012 kWh à l’échelle continentale (y compris Afrique du Nord et Afrique du Sud). 
4. Selon la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique. 
5. Ibid. 
6. Agence internationale de l’énergie (IEA), “World Energy Investment”, juin 2024.  
7. Agence internationale de l’énergie (IEA), “World Energy Investment”, octobre 2023.   
8. Climate Watch (2024), “Population based on various sources”, Our World in Data, mis à jour le 21 novembre 2024. 
9. Agence internationale de l’énergie (IEA), “Africa – Emissions”, 2023 
10. Agence internationale de l’énergie (IEA), “CO2 total emissions per capita by region, 2000-2023”, mis à jour le 27 février 2024.