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Arnaques et fraudes bancaires : qui doit payer la facture ?

Article co-écrit par Morgane Gabrion et Cyrielle Goffin, directrices Regulatory, Operations & Controls 


Plus de la moitié des citoyens français déclarent avoir déjà subi une tentative de fraude liée à leurs données bancaires, que ce soit via Internet, téléphone ou SMS1.  Face à l’évolution des fraudes bancaires, qui deviennent de plus en plus sophistiquées et coûteuses, la question « qui doit supporter les pertes financières ? » reste incertaine. Les banques ont ainsi un double enjeu à relever à la fois stratégique et juridique pour adapter les dispositifs de prévention et de détection tout en cherchant à limiter leur exposition financière en fonction du comportement du client.  

Fraude bancaire : des chiffres qui donnent le vertige  

Les escroqueries et fraudes aux moyens de paiement ont connu une progression rapide en France, avec une hausse moyenne de 7,3% par an entre 2016 et 20232. Cette hausse ne s’est d’ailleurs pas ralentie en 2020 avec l’épidémie de Covid-19. Le nombre de victimes enregistrées est passé de 250 900 en 2016 à 411 700 en 2023, et le montant total du préjudice se chiffrent en milliards d’euros rien qu’en France.   

 

La responsabilité de la banque face à la négligence grave du client  

Face à la complexification des techniques de fraudes bancaires, et la hausse des préjudices en France, les demandes de remboursement auprès des banques se multiplient. Qui doit supporter la perte financière ? Le client ou la banque ? La réponse demeure aujourd’hui incertaine.   

Pour qu’une opération bancaire soit valide, selon l’article L.133-6 du Code Monétaire et Financier, le payeur doit nécessairement avoir donné son consentement. Le client reste responsable des pertes si elles résultent d’un acte frauduleux de sa part ou d’une négligence grave de sa part (cf. article du CMF L.113-19, IV), par exemple s’il n’a pas suffisamment protégé ses codes de sécurité ou s’il n’a pas fait opposition rapidement en cas de perte, de vol ou d’usage non autorisé de son moyen de paiement.  

Mais dans quel cas concrètement peut-on parler de négligence grave ? La difficulté réside dans le fait que cette notion n’est pas définie dans le Code Monétaire et Financier.

Cependant, la PSD23 précise : « la négligence implique un manquement au devoir de diligence, [..]devrait impliquer plus que de la simple négligence et comporter un défaut de vigilance caractérisé, comme [..] le fait de conserver les données utilisées pour autoriser une opération de paiement à côté de l'instrument de paiement, sous une forme aisément accessible et reconnaissable par des tiers ». 
En cas de litige entre un client victime de fraude et sa banque, c’est souvent la justice qui tranche. Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans 67 % des cas analysés depuis 2020, les tribunaux donnent raison au client, obligeant l’établissement à rembourser les sommes perdues — et parfois même à verser des indemnités. Mais dans quels cas la banque est-elle tenue responsable ? Et surtout, quelles fautes lui sont reprochées ? 


A noter : depuis un arrêt du 15 janvier 2025 ((3) Cour de cassation, Ch. commerciale, 15 janvier 2025, 23-13.579), lorsqu’une Cour d’appel reconnaît une négligence grave de la part du payeur, elle ne peut condamner en parallèle l’établissement bancaire pour un manquement à une obligation de vigilance.  

En résumé, l’analyse des décisions de justice montre une tendance plutôt favorable pour les clients victimes. Toutefois, cette tendance ne permet pas d’en tirer une règle générale. Pour un même scenario de fraude, les jugements peuvent diverger sensiblement, à l'avantage de la banque ou du client. Il n’existe pas de critère juridique unique et déterminant pour trancher systématiquement en faveur de l’un ou l’autre. Chaque affaire est examinée au cas par cas, selon ses circonstances précises, et les preuves apportées. Autrement dit, face à la fraude, aucune certitude : ni les clients ni les banques ne peuvent savoir à l’avance qui paiera la facture. 

Pour aller plus loin  

Les différentes jurisprudences nous montrent que la notion de négligence grave est déterminante pour évaluer la responsabilité, que ce soit celle des banques ou des clients, dans les affaires de fraude bancaire, bien qu'elle ne soit pas suffisante à elle seule.  

Lorsqu'une institution bancaire invoque la négligence grave pour refuser de rembourser les montants frauduleusement débités, il lui appartient de fournir la preuve nécessaire. La banque doit démontrer que les transactions contestées ont été correctement enregistrées, comptabilisées et qu'il n'y a aucune anomalie technique ou de sécurité. Souvent, le tribunal se prononce en faveur du client.  

Pour éviter une telle situation, il est essentiel de prévenir les fraudes avant qu'une transaction soit achevée ou de les stopper rapidement. Pour se protéger, la banque doit : 

Disposer d’un système de prévention et de détection efficace, avec des scenario adaptés à ses cas de fraude et ses typologies de clients/activités

Continuer d’informer, sensibiliser et responsabiliser les clients

Se prémunir en engageant le client lorsqu’il réalise des opérations à risques (par exemple, confirmer qu’il n’est pas au téléphone avec un conseiller au moment où il réalise l’opération)

Se prémunir en mettant en place des systèmes de sécurisation des appels (par exemple, notification certifiée sur l’application lors d’appel passé par la banque)

Pour conclure   

Au-delà de la vigilance individuelle, la multiplication des fraudes bancaires met en lumière une urgence collective : celle de repenser en profondeur notre réponse face à ces menaces. Si les établissements financiers renforcent leurs dispositifs techniques, cela ne suffit plus. Il devient impératif d'encadrer juridiquement la notion de « négligence grave », aujourd’hui trop floue, et qui laisse place à des interprétations inégales et parfois injustes.  

Alors que les techniques de fraude gagnent en sophistication, la question de la responsabilité financière en cas d'escroquerie devient cruciale. La jurisprudence récente en France tend à protéger les clients victimes de fraudes. Cependant, cette protection n'est pas absolue. Les banques peuvent être exonérées de leur obligation de remboursement si elles démontrent plusieurs éléments comme la négligence grave du client et le fait que les opérations avaient été authentifiées, dûment enregistrées et comptabilisées.  
Les cas de jurisprudence mettent également en lumière la nécessité d'une vigilance accrue de la part des clients. 
Mais au-delà de la responsabilité individuelle, ces affaires soulignent l'importance d'une coopération renforcée entre les institutions financières, les autorités réglementaires et les utilisateurs pour développer des systèmes de sécurité plus robustes et des campagnes de sensibilisation efficaces. La lutte contre la fraude bancaire ne peut être efficace que si elle repose sur une approche collective et proactive.  

En somme, face à l'évolution constante des méthodes de fraude, il est impératif de repenser les mécanismes de protection et de responsabilité pour garantir la sécurité des transactions financières et la confiance des clients dans le système bancaire. 

1 FBF : Étude 2024 sur les perceptions et comportements des Français en matière de cybersécurité  

2 SSMSI : Etude 2024 sur les escroqueries enregistrées par les services de sécurité entre 2016 et 2023 

3 Directive (UE) 2015/2366 

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