Avant la fin de la guerre froide, et de la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale, la politique américaine de contrôle des exportations envers la Chine obéissait à une dynamique tout à fait différente de celle d’aujourd’hui.
A cette époque, la situation géopolitique mondiale évoluait dans un monde bipolaire s’articulant autour de la relation US-URSS. Par ailleurs, la révolution numérique qui allait réellement commencer au milieu des années 90 n’avait pas encore eu lieu, et les environnements financier, technologique, économique et sécuritaire d’alors permettaient aux Etats-Unis de conserver efficacement leurs avantages technologique et militaire via leur politique de contrôle des exportations.
L’évolution de la politique de contrôle des exportations américaine envers la Chine a pris un tournant majeur dans les années 2000. Cette période a en effet constitué un moment clé pour la Chine vis-à-vis de l’acquisition de technologies occidentales lui permettant de contribuer à son développement industriel et ses programmes militaires.
Dans ce contexte, en 1999, les Etats-Unis ont décidé de mettre en place en un dispositif permettant d’institutionnaliser le suivi du développement économique, technologique et militaire de la Chine à travers une commission dédiée. Cette commission a été chargée de dresser un rapport annuel au Congrès américain « The Military Power of the People’s Republic of China », qui avait pour objectif de rapporter les évolutions militaires et technologiques de la Chine afin d’en conclure les probables évolutions sur la stratégie globale et militaire de la République Populaire de Chine (RPC), les impacts sur la sécurité nationale américaine et sur les relations d’affaires sino-américaines. Ce rapport avait également pour objectif de formuler des recommandations sur les actions administratives et législatives à déployer.
Entre 2001 et 2008 les relations commerciales sino-américaines sont passées de 116 milliards à 409 milliards de dollars, alors que le budget de la défense chinois a doublé, traduisant une volonté de la RPC de moderniser ses capacités militaires.
La RPC a investi de manière massive dans l’innovation et la R&D, particulièrement dans les technologies de double usage spécifiques comme la microélectronique, les systèmes spatiaux ou les technologies de l'information. Le budget annuel de la Chine en R&D a augmenté annuellement de près de 23% entre 2001 et 2007.
La RPC est également entrée dans un processus de combinaison de son industrie de défense et de son industrie civile. L’idée étant d’utiliser les mêmes technologies, process, équipements et personnels pour exploiter le développement technologique civil à des applications militaires, et ainsi de permettre l’accès des fabricants chinois aux technologies de double usage.
L'importation de nouvelles technologies étrangères s’est articulée autour de deux objectifs : sur le long terme de devenir « self-sufficient », et sur le moyen terme d’acquérir des technologies permettant de supporter et de compléter les efforts d'innovation internes au pays.
Cette stratégie s’est faite par l’acquisition de matériel militaire sur étagère et d'équipements à double usage.
Cependant, l’acquisition d’armes et de matériel militaire a été grandement freinée par une situation diplomatique défavorable, et s’est donc limitée pour beaucoup à des produits militaires standards et non critiques. En effet, même si la Russie a longtemps été le fournisseur principal de la Chine en matière d'armes, Israël représentait toutefois un exportateur important dans ce domaine pour la RPC à la fin des années 90. Israël fut cependant contraint de renforcer sa politique de contrôle des exportations militaires et de mettre en place des politiques de contrôle des exportations de biens à double usage afin de ne pas entacher sa relation avec les Etats-Unis.
Par ailleurs la perspective de tension dans la relation de coopération de défense entre les Etats-Unis et l’Europe a eu un effet dissuasif sur la potentielle levée d’embargo sur les ventes d’armes à la Chine. En effet, beaucoup d’entreprises européennes et américaines ont des programmes communs de défense, et un positionnement divergeant entre les Etats-Unis et l’Europe aurait pu fortement perturber les relations industrielles avec des impacts majeurs sur les emplois et les relations commerciales.
En conséquence, la stratégie d’acquisition de la RPC s’est davantage concentrée sur les technologies à double usage. Au début des années 2000, les biens à double usage ne faisaient pas l’objet d’une politique coordonnée de contrôle des exportations entre les pays occidentaux, vis-à-vis notamment de la Chine. Le « Wassenaar Arrangement » étant davantage considéré comme un forum d'échange d'informations que de discussion et de prises de décisions. La RPC a donc pu acquérir ces technologies soit par le biais de relations commerciales ou par la mise en place des joint-ventures.
Au début des années 2000, l’équipement visé concernait des logiciels, des circuits intégrés, des ordinateurs, des composants électroniques et semi-conducteurs, des technologies de télécommunication, ou encore des technologies de sécurité des systèmes d'information.
Les efforts se sont concentrés dans un premier temps sur trois domaines principaux : les ordinateurs de haute performance, les semi-conducteurs et les circuits intégrés.
Les ordinateurs étaient décrits par le rapport « The Military Power of the People’s Republic of China » de 2002 comme des composants critiques dans le design et le développement de programme de production d'armes qui pourraient permettre à la Chine de s'élever très rapidement à l'état de l'art de l'armement. Ces technologies pouvaient en effet ajouter de nouvelles capacités conséquentes aux missiles, avions, technologies anti-sous-marines de l’Armée Populaire de Libération (APL) ou même permettre de réaliser des tests d'armes nucléaires sans avoir à faire d’essais réels. De leur côté, les semi-conducteurs et les circuits intégrés sont la fondation de toutes les armes modernes et systèmes militaires, leur potentiel de contribution à la modernisation de l’APL était donc central.
Les Etats-Unis ont dû dans ces conditions faire face à une problématique beaucoup plus complexe que celle pratiquée pour contrôler les exportations vers l’URSS.
D'abord du fait de l’explosion de l’évolution technologique. La loi de Moore, établissant que les performances des ordinateurs doubleraient tous les 12 à 18 mois, a eu pour effet d’inonder le marché civil et grand public, rendant l’export de matériel informatique quasi incontrôlable. La majorité des licences d’exportation américaines entre 2004 et 2005 concernait des technologies électroniques, des processeurs ou des outils de sécurité de l'information, les textes auraient dû s'adapter de manière continuelle et les institutions américaines auraient eu des volumes de licences absolument colossaux à traiter.
De plus, le fait de réduire les revenus à l'export des entreprises high-tech américaines n’aurait pas permis un réinvestissement dans la R&D, empêchant le Pentagone d’accéder à l'état de l'art technologique, et impactant in fine la sécurité nationale.
La stratégie américaine a donc été de libéraliser le contrôle sur les produits à double usage ne pouvant être contrôlés effectivement tout en ayant une approche plus restrictive sur les technologies plus sensibles et pouvant être contrôlées de manière effective.
A la fin des années 90, des soupçons ont émergé au sein de l’administration américaine également quant au fait que des transferts de technologies non autorisés pouvaient contribuer à moderniser le programme de missiles balistiques de la RPC.
Ces inquiétudes ont poussé les Etats-Unis à ramener les satellites de communication sous le contrôle ITAR du "department of state". En effet, l’équation satellites = véhicules de lancement = missiles = menace pour la sécurité nationale a eu raison de cette décision conservatrice.
Cependant, de la même manière que les ICT, les satellites de communication ont connu un développement technologique tel que les compétences de fabrication se sont répandues largement dans le monde. De plus, les pays maitrisant les technologies spatiales tels que la Russie, la France, l’Italie, le Japon ou le Canada ont gardé ces satellites dans leur politique d’ export contrôle de biens à double usage, et ont développé des satellites « ITAR free » afin de s’affranchir de la réglementation extraterritoriale ITAR dans leurs exportations.
Plusieurs rapports de lobbyistes, d’associations professionnelles et de d’agences d’intelligence économique américaines ont mis en évidence le fait que cette politique de contrôle avait un impact néfaste sur les fournisseurs de 2ème et de 3ème rang des primo-contracteurs. En effet, c’est au sein de cette base technologique et industrielle que les plus gros efforts de R&D sont réalisés, et les contrôles déployés freinaient le réinvestissement des revenus à l’exportation, réduisant par ricochet la longueur d’avance d’innovation américaine.
C’est donc dans les années 2010, sous l’administration Obama, que la politique de contrôle des exportations concernant les satellites de communication a été adaptée sur le même format que celle des ICT, c’est-à-dire contrôler moins en autorisant l’exportation de technologies largement disponibles sur le marché mondial, mais contrôler mieux en étant plus restrictif sur les technologies les plus critiques.
Bien que les mesures visant les technologies ICT et les satellites de communication ont été prises sur un volume d’opérations commerciales qui concernaient principalement la Chine, elles ont été appliquées de manière égale à un ensemble de pays « contrôlés » par le contrôle américain des exportations.
Les potentielles contributions au développement et à la modernisation des capacités militaires de la RPC restant un sujet d’inquiétude majeur pour les Etats-Unis, une règle spécifique, « The China Rule », a été émise par le Department of Commerce en Juin 2007. Cette règle se base sur deux grands principes :
Pour conclure, sous l’administration Obama, la réforme du contrôle des exportations a donc eu pour objectif un changement de paradigme visant à « faire sortir les Etats Unis de leur forteresse ». Cette réforme s’est articulée autour de 3 axes :