Les négociateurs de l’Union Européenne sont parvenus à un accord technique sur le projet de règlement DORA. Il a été ratifié lors de la session du Parlement Européen de novembre 2022 et publié au JO de l’Union Européenne le 27 décembre 2022. Les entreprises du secteur financier doivent commencer à évaluer les conséquences sur leurs activités dès à présent. Nous pensons que le DORA va changer la donne et pousser les entreprises du secteur financier à analyser plus en détail comment leurs pratiques en matière de TIC, de résilience opérationnelle, de cybersécurité et de gestion des risques de tiers affectent la résilience de leurs fonctions les plus critiques, et à développer de nouveaux outils de surveillance, tels que des méthodes avancées de tests d’intrusion basés sur les menaces.
Pour ce faire, les entreprises disposeront d'une période de mise en œuvre relativement courte de 24 mois. La période de mise en œuvre commence 20 jours après la publication au JO. Cela signifie que, d'ici le 17 janvier 2025, les autorités de surveillance des services financiers compétentes attendront des entreprises qu'elles se conforment pleinement à toutes les nouvelles exigences du DORA, y compris la manière dont ces exigences sont élaborées par les Autorités Européennes de Surveillance (AES) par le biais des règlements techniques d’application (voir la Partie II ci-dessous).
La version du DORA qui a été acceptée par les législateurs préserve les cinq piliers clés de la proposition initiale de la Commission Européenne. D'après notre analyse de l'accord technique final, nous identifions les implications suivantes :
L'une des principales caractéristiques du DORA est de préciser comment les nouvelles règles pratiques de fonctionnement seront déléguées dans le cadre de l’élaboration de règles de second niveau. Dans la plupart des cas, les AES travaillant ensemble au sein du forum conjoint, élaboreront ces règles sous forme de RTS/NTR (Normes Techniques Réglementaire) ou d’ITS/NTI (Normes Techniques d'Implémentation). Dans le cas du cadre de surveillance des fournisseurs critiques de TIC, la Commission européenne élaborera deux Actes Délégués (voir le Tableau 1 ci-dessous pour une liste de toutes les mesures de Niveau 2 dans le DORA).
Une conséquence pratique du processus des règles de Niveau 2 : une période de 12 à 18 mois d'incertitude est à prévoir pour les entreprises concernant certains aspects du Règlement, notamment en ce qui concerne le cadre de déclaration des incidents liés aux TIC ; et les règles et le champ d'application des tests de résilience avancés, entre autres. Pendant cette période, les entreprises devront toutefois avancer avec les travaux de mise en œuvre qu'elles peuvent entreprendre sur la base du texte de Niveau 1. Les entreprises doivent également prêter une attention particulière aux versions consultatives des NTR/NTI lorsqu'ils sont publiés, car généralement assez similaires aux versions finales qui sont finalement adoptées par les AES.
Tableau 1 : Mandats et calendrier de Niveau 2 du DORA
Maintenant que l'accord technique sur le DORA a été finalisé, ratifié et publié au JO de l’Union Européenne, les entreprises du secteur financier doivent planifier activement la mise en œuvre du règlement. Comme nous l'avons dit plus haut dans cette analyse, nous pensons que le DORA va changer la donne en ce qui concerne la manière dont les entreprises du secteur financier abordent la résilience opérationnelle, car il les poussera à adopter une vision plus large de la résilience et à développer de nouvelles capacités sophistiquées dans des domaines tels que l'identification des fonctions critiques ou importantes, la communication des informations, la mesure de l'impact et les tests. Le DORA doit être considéré comme un catalyseur permettant aux entreprises d'accélérer le changement stratégique dans la manière dont elles gèrent les risques numériques, et dans l'efficacité avec laquelle la direction et les conseils d'administration sont capables d'évaluer l'impact commercial des perturbations opérationnelles et de comprendre les mesures d'atténuation à leur disposition.
Réaliser tout cela en 24 mois sera une tâche considérable, notamment parce que les entreprises devront tenir compte des normes techniques de Niveau 2 au fur et à mesure qu'elles seront disponibles et finalisées. En prenant de l'avance avant le début de la période de mise en œuvre, les entreprises gagneront un temps précieux pour se préparer. En particulier, les entreprises doivent garder à l'esprit les deux considérations suivantes :
Se préparer à un engagement accru en matière de surveillance : lorsque le DORA entrera en vigueur, il accordera aux autorités de surveillance nationales et européennes de nouveaux mandats et pouvoirs considérables en matière de résilience opérationnelle numérique. Au lieu de considérer le DORA comme un exercice de conformité consistant à "cocher des cases", les entreprises doivent s'attendre à ce que leurs autorités compétentes élaborent des cadres de surveillance qui utilisent leurs nouveaux pouvoirs pour pousser les acteurs à améliorer leur capacité à évaluer et à renforcer leurs capacités liées à la résilience opérationnelle. Plus les autorités de surveillance comprendront la résilience opérationnelle, plus elles seront susceptibles d'avoir des exigences détaillées sur la manière de s’y conformer. Les entreprises doivent également être conscientes du fait que lorsque plusieurs autorités sont impliquées, que ce soit au niveau prudentiel ou en matière de conformité, issues de différents pays ou de l'UE, les éventuelles différences d'objectifs et de priorités en matière de surveillance de l'impact des perturbations des TIC pourraient rendre encore plus difficile la réponse aux attentes.
Pour comprendre comment ces cadres de surveillance sont susceptibles de se développer, les entreprises devraient se concentrer sur les domaines du DORA qui exigent des résultats réguliers pouvant être remis en question par les autorités de surveillance. Par exemple, les nouvelles exigences en matière d'analyse d'impact dans le chapitre sur la gestion des risques liés aux TIC, lues en parallèle avec l'obligation pour les entreprises d'effectuer au moins une fois par an des tests de résilience pour les systèmes soutenant les fonctions critiques ou importantes et de "remédier entièrement" à toute vulnérabilité identifiée, semblent devoir constituer une priorité pour les entreprises. Il est probable que les superviseurs les poussent à se pencher sur la gravité des scénarios utilisés, la sophistication des méthodes de test, la granularité de la cartographie des systèmes sous-jacents et l'exhaustivité du travail de remédiation des vulnérabilités identifiées.
Identifier les capacités qui nécessiteront un investissement/un développement : bon nombre des nouvelles exigences du DORA nécessiteront un investissement substantiel en matière de gouvernance, de gestion des risques et de la conformité autour des fonctions TIC, de cyber et gestion des risques tiers, ainsi que des travaux de suivi pour remédier aux vulnérabilités opérationnelles identifiées. Les entreprises doivent effectuer une analyse des besoins et des écarts sur la base des exigences finales du texte de Niveau 1 du DORA, et la mettre à jour au fur et à mesure que les projets de normes de Niveau 2 sont disponibles, afin d'identifier et combler les lacunes en matière de capacités, de ressources et d'expertise qui existent actuellement et qui devront être corrigées au cours de la période de mise en œuvre de 24 mois. Sur la base de notre analyse de l'accord final du DORA, cette analyse des écarts devrait se concentrer en particulier sur :
Certains acteurs des services financiers, comme les grands groupes transfrontaliers, auront des niveaux de capacités plus élevés que d'autres et pourront avoir une longueur d'avance pour se conformer aux nouvelles exigences de la loi européenne. Toutefois, les autorités de surveillance s'attendront probablement à ce que les grandes entreprises disposent de capacités mieux développées et à ce que les entreprises dont les perturbations opérationnelles pourraient entraîner des conséquences systémiques en raison de la criticité de leurs services disposent de capacités de pointe. Toutes les entreprises sont donc susceptibles d'être confrontées aux enjeux du règlement européen et de la période de mise en œuvre de 24 mois qui débutera plus tard cette année. Elles ne devraient donc pas perdre de temps et commencer à planifier la mise en œuvre du DORA dès aujourd'hui.