L’initiative Science-Based Targets (SBTi) a permis depuis 2015 d’accélérer la prise d’engagements climatiques des entreprises, en offrant un cadre méthodologique permettant l’élaboration de trajectoires alignées avec l’ambition définie par l’accord de Paris.
Jusqu’à récemment, le processus de définition d’objectifs d’atténuation s’est concentré sur les émissions fossiles liées aux procédés industriels, délaissant les émissions spécifiques au secteur des terres et à l’agriculture. Celles-ci regroupent les émissions de méthane liées à l’élevage (CH4), les émissions de protoxyde d’azote (N2O) liées en grande majorité aux intrants agricoles, mais aussi le carbone biogénique relargué par la déforestation. Cet « angle mort » est loin d’être anodin et représente annuellement 13 GtCO2e soit 22 % des émissions mondiales, dont la moitié de ces émissions est causée par la déforestation (IPCC 2022).
L’absence de méthodologie spécifique empêchait également de valoriser les solutions pouvant émaner des secteurs agricoles, forestiers et de l’usages des sols, en particulier la capacité de séquestration du carbone par la photosynthèse (biomasse) ou dans les sols. Or, si tous les leviers à la portée des entreprises du secteur étaient activés (afforestation/reforestation, séquestration du carbone dans les sols agricoles, transition vers un régime alimentaire moins carné, réduction du gaspillage alimentaire, etc.), cela permettrait de déverrouiller un potentiel net d’atténuation de 14 GtCO2e/an (Roe & Al 2019).
En réponse aux limites des référentiels SBTi existants, la méthodologie Forest, Land and Agriculture (FLAG) a été publiée le 28 septembre 2022. Celle-ci intègre un périmètre élargi des émissions qui seront couvertes par un objectif FLAG (figure 1).
La particularité de la nouvelle méthodologie SBTi FLAG est double :
Nous vous proposons ci-dessous une synthèse du contenu de la version préliminaire de la méthodologie FLAG en cinq points clés.
SBTi FLAG vient faciliter l’établissement d’objectifs d’atténuation alignés avec l’accord de Paris pour les entreprises ayant des activités agricoles et/ou forestières que ce soit dans leur périmètre direct (scope 1) ou dans leur chaîne de valeur (scope 3 amont/aval).
La méthodologie propose deux options aux entreprises pour se fixer des objectifs une approche par contraction absolue (intitulée « l’approche sectorielle ») et une approche par commodité (intitulée « l’approche par commodité ») (figure 2).
L’approche sectorielle découle d’une étude (Roe & Al 2019) réalisant une revue critique de l’ensemble des trajectoires et scénarios concernant les émissions liées au secteur FLAG. Cette étude a analysé avec plus de détails les leviers côté offre (introduction de l’agroforesterie, gestion améliorée des forêts, etc.), plutôt que sur les leviers côté demande (évolution du mix protéique par exemple1). Par ailleurs, une nouvelle version de la méthodologie avec de nouveaux leviers côté demande est en cours d’élaboration. Quant à l’approche par commodité, elle repose principalement sur un travail de modélisation mené par un consortium d’institutions majoritairement composé d’acteurs universitaires (Smith & Al 2016).
Malgré la constitution de coalitions internationales et de taskforces dédiées au sujet, la moitié des émissions du secteur agriculture, forêt et autres usages des sols proviennent de la déforestation (IPCC 2022).
L’une des particularités de cette méthodologie est d’obliger les entreprises à s’engager publiquement à atteindre la zéro déforestation sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Cet engagement résulte d’un alignement de la méthodologie SBTi FLAG avec le travail mené depuis 2016 par le groupement d’Accountability Framework Initiative (AFI May 2021) (AFI) qui regroupe les principales ONG engagées sur le sujet de la déforestation.
Par ailleurs, la méthodologie inclut un critère rendant obligatoire l’intégration de l’impact en matière de gaz à effet de serre (GES) du changement d’usage de sols, que ce soit à travers la déforestation pure et simple d’une parcelle ou alors par sa dégradation. Cela implique que chaque entreprise devra, à partir des données pertinentes et disponibles, prendre en compte l’impact de ses activités liés au changement d’usage des sols, y compris l’impact en lien avec les commodités agricoles destinées à l’alimentation animale. Cette prise en compte du changement d’usage des sols dans son périmètre direct (scope 1) ou au sein de sa chaîne de valeur (scope 3) devra être pris en compte dans les facteurs d’émissions lors du calcul de l’empreinte carbone de l’entreprise. D’un côté, les émissions associées à la déforestation ou à la dégradation forestière devront être prises en compte dans le bilan carbone de l’entreprise. De l’autre, cette même entreprise, pourra également valoriser l’augmentation de la séquestration carbone à travers l’agroforesterie, par exemple.
En somme, SBTi FLAG vient réaffirmer l’importance d’une politique de lutte contre la déforestation ambitieuse et effective en élevant l’engagement public d’une chaîne de valeur zéro déforestation en tant que condition sine qua non de validation d’objectifs climat sur le secteur agricole et forestier, mais aussi en exigeant son intégration systématique au sein de la comptabilité carbone des entreprises.
SBTi FLAG n’est qu’une des étapes dans le voyage d’une entreprise vers la durabilité. Avant l’étape SBTi, il sera nécessaire de remettre à plat la comptabilité carbone liée au secteur des terres et de manière concomitante d’adopter un plan d’action au sein de l’entreprise.
SBTi FLAG ne pourra être effectif que s’il est utilisé de pair avec d’autres outils. Le graphique ci-dessous recense de manière non-exhaustive les outils et normes à disposition des entreprises du secteur agri-agro pour participer à la lutte contre le changement climatique. Le prochain guide du GHG Protocol « Land sector and removals » (publication de la version finale prévue en avril 2023) visera, entre autres, à donner des lignes directrices pour comptabiliser le changement d’usage des sols qui sera par ailleurs l’un des prérequis par SBTi FLAG. Une fois les objectifs fixés, il reste à opérationnaliser ces engagements. La méthodologie ACT Agri & Agro-food peut alors être un outil utile pour les entreprises du secteur afin d’évaluer les points forts et identifier les aspects à améliorer afin d’avoir plan de transition bas-carbone robuste.
Il s’agit d’accompagner dès aujourd’hui les entreprises dans cette gymnastique proposée par SBTi entre un objectif FLAG à court terme sur un périmètre restreint de l’entreprise et un objectif SBTi intersectoriel sur le reste des émissions.
Si SBTi FLAG participera sans aucun doute à multiplier les engagements climat des entreprises engagées dans des activités agricoles et/ou forestières, certains défis se profilent et ne sont pas à sous-estimer. Il paraît inévitable que les entreprises du secteur aient recours à la fois à la méthodologie SBTi FLAG pour définir des engagements sur leur amont agricole mais aussi aux méthodologies SBTi intersectorielles qui sont plus appropriées pour adresser les émissions fossiles liées aux transports ou à l’étape de la transformation industrielle. Piloter des engagements climat avec des périmètres variables (entre SBTi FLAG et une méthode SBTi intersectorielle) pourraient facilement se transformer en casse-tête et nécessitera une adaptation de la comptabilité carbone et de ses outils en amont.
Les collaborations et synergies au sein de la chaîne de valeur seront clés afin d’œuvrer à la régénération des écosystèmes. Pour cela, des règles claires et pragmatiques sur la revendication des impacts qui découlent des interventions dans la chaîne de valeur sont nécessaires, afin de faciliter le passage à l’action.
La possibilité laissée par SBTi de définir un objectif s’appuyant sur l’engagement SBT de ses fournisseurs et clients laissait déjà présager de l’importance croissante d’avancer de front et en collaboration pour décarboner sa chaîne de valeur. SBTi FLAG pose les prémisses d’une collaboration accrue : afin d’être en position de revendiquer des projets de séquestration par les industries agricoles, agro-alimentaires et forestières, il sera incontournable de maîtriser les subtilités du reporting le long de la chaîne de valeur.
L’enjeu résidera dans la réconciliation d’une comptabilité carbone à l’échelle d’un projet² et la comptabilité carbone de plusieurs entreprises. Les chaînes de valeurs sont complexes et multipartites, il est fort probable qu’une exploitation agricole fasse partie de plusieurs filières et ait comme client final plusieurs entreprises… L’objectif à ne pas perdre de vue étant celui du passage à l’action pour décarboner sa chaîne de valeur !
Le schéma ci-dessous reprend les évolutions à venir et les échéances associées :
Toutes les méthodologies citées dans ce court article forment une boîte à outils à disposition des entreprises :
Si toutes ces méthodologies sont publiques, leur mise en œuvre au sein d’une entreprise nécessite bien souvent un accompagnement personnalisé.