Ce rapport vise à fournir une vue d'ensemble de la mesure de l’impact du climat sur les risques financiers (crédit, marché) sur le plan méthodologique et sur le plan de leur implémentation dans les établissements financiers. Il s'adresse aux banques ainsi qu'aux superviseurs. Il est accompagné d'un autre rapport (1) qui explique les facteurs de risques climatiques et la manière dont ils se transmettent aux risques financiers.
Il comporte trois parties : la première porte sur les problématiques conceptuelles du risque climatique et de sa transmission aux risques financiers. La seconde partie est un tour d'horizon des travaux de développement en cours. La troisième explore les défis que les approches devront relever dans le futur.
rendant indispensable une approche prospective et un haut niveau de granularité, que ce soit pour le risque physique (2) (granularité géographique) ou le risque de transition (granularité sectorielle et juridictionnelle) (3)
court terme lié aux émissions carbone, via des ratings ou des scores. En comparaison, les progrès sont moins visibles pour le risque physique
sur le plan climatique, avant le risque de marché. Les risques opérationnels et de liquidité sont très peu abordés à ce jour
les approches restent embryonnaires, principalement axées sur l'identification des expositions à risque et encore peu reliées aux paramètres traditionnels du risque
les méthodes de classification du risque, le manque de données, ainsi que les approches intégrant les aspects prospectifs. Selon le Comité de Bâle, de nouvelles données sont nécessaires afin de transformer les facteurs de risque climatique en risques économiques et lier ces derniers aux expositions ainsi qu'aux risques financiers, selon une granularité suffisante. Les approches devront également adresser la question centrale de l'incertitude, qui se manifeste dans la projection des facteurs de risque climatiques, dans le manque de données et dans le risque modèle
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Il est intéressant de mettre en perspective certains des éléments présentés dans ce rapport avec ceux d’autres publications récentes, comme celle de l’EBA (4) sur la gestion et la supervision des risques, de la BCE (5) sur une thématique similaire ou de l’ACPR (6) sur l’exercice pilote climatique 2020. Même si ces publications ont des objectifs différents, elles abordent des sujets méthodologiques essentiels autour du risque climatique et évoquent les principales difficultés rencontrées.
Globalement, le diagnostic de ces différentes institutions concernant l’état d’avancement et les défis qui se posent aux institutions financières apparaît similaire. On peut par exemple citer :
A la question essentielle de savoir si les risques climatiques doivent s’intégrer aux risque existants (crédit, marché, opérationnel, etc.) en tant que facteurs additionnels ou s’ils forment une nouvelle catégorie non entièrement réductible à ces risques, les institutions semblent pencher en faveur de la première option (11).
La question des scénarios et des stress-tests climatiques est centrale, quelle que soit l‘institution, principalement du fait de l’horizon de temps et de l’absence de données historiques qui en découle. Elle figure par exemple de manière explicite dans les attentes de la BCE (12), notamment en ce qui concerne l’intégration de ces scénarios dans la stratégie commerciale et de l’appréciation de sa résilience au-delà de 5 ans.
L’ACPR a de son côté, réalisé un exercice pilote inédit entre juillet 2020 et avril 2021 auprès des banques et des assureurs français, consistant à évaluer l’impact du risque de transition et du risque physique sur un horizon de 30 ans et décliné sur 55 secteurs. Elle relève le fait que les modèles des banques ne sont pas adaptés au regard des évolutions très lisses des variables économiques et financières sur une longue période, que le risque physique demande encore des travaux significatifs et que les modèles et les sources de données doivent être améliorés.
Se basant sur un sondage, l’EBA note que les outils de scénarios et de stress tests sont très limités dans les établissements bancaires de l’Union européenne (15% indiquant réaliser des analyses en scénarios). L’EBA mentionne plusieurs défis auxquels les établissements sont confrontés, parmi lesquels les multiples hypothèses qu’implique un programme de stress-testing :
L’incertitude sur les impacts doit conduire les établissements à l’utilisation de plusieurs scénarios note l’EBA (14), rejoignant ainsi la position générale du Comité de Bâle et selon laquelle plusieurs approches sont nécessaires, y compris pour appréhender un scénario donné (15,16).
Le Comité de Bâle met également l‘accent sur l’importance du caractère dynamique du bilan, tout en notant que celui-ci engendre nécessairement d’autres incertitudes. A ce sujet, on notera tout l’intérêt de l’exercice pilote mené par l’ACPR qui intègre une hypothèse d’un bilan statique jusqu’en 2025, puis dynamique jusqu’en 2050, ce qui a permis de laisser aux établissements le choix d’hypothèses sur leur stratégie de réponse aux changements climatiques.
Intégrer les risques financiers découlant du risque climatique dans un cadre de gestion des risques demande de considérer de nouveaux concepts ou de revoir certains existants.
Le Comité de Bâle retient 6 thèmes donnant lieu à réflexion particulière.
Dans le cas du risque physique, les facteurs de risques sont généralement liés aux expositions financières via une fonction de dommages, celle-ci dépendant des secteurs, de la sévérité des risques, de l'horizon de temps et des particularités géo spatiales. Le risque de transition peut être conceptuellement approché en étudiant l'impact des facteurs de risque propres à la transition sur les facteurs économiques, qui à leur tour impactent les flux financiers. Le Comité de Bâle note que la distinction entre risque physique et de transition trouve ses limites dès qu'on considère les interactions entre ces deux types de risques : par exemple, l'augmentation du risque physique induit une pression politique qui agit sur le risque de transition.
La granularité avec laquelle les établissements mesurent leurs risques est une question essentielle, fortement reliée à la disponibilité des données, et qui conditionne pour une large part la méthodologie qui sera développée.
Le choix entre une approche top-down et une approche bottom-up est une question qui se pose aussi bien pour la cartographie des expositions que pour l'estimation du risque, chaque approche ayant ses inconvénients ou hypothèses : ainsi l’approche top down suppose que les expositions ne présentent pas de dispersion en risque significative entre elles. En outre, cette approche peut conduire à négliger les contributions individuelles lorsque celles-ci subissent des interactions. Inversement l'approche bottom-up nécessite de comprendre les corrélations en jeu (diversification ou amplification du risque).
Les risques climatiques peuvent être réduits par divers moyens (assurance, produits dérivés, localisation d'une contrepartie dans un secteur plus ou moins régulé). Il est important de distinguer l'exposition brute et nette (sans et avec réduction du risque), d'autant plus que la couverture du risque peut devenir inefficace ou obsolète (exemple : modification d'une police d'assurance).
Elle porte sur les secteurs, les zones géographiques, sectorielles et les juridictions.
L'insuffisance ou l'absence d'historiques nécessite des hypothèses portant sur les comportements des acteurs économiques, les politiques et les avancées technologiques, en vue de réaliser des projections. Les principales sources d'incertitudes proviennent de l'existence de points de bascule (événement ou moment séparant brusquement deux régimes très différents), d'interconnections au sein des systèmes ou de l'hétérogénéité spatiale des impacts (sévérité et fréquence).
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Mesure des risques
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La distinction classique entre le risque physique et risque de transition trouve ses limites du fait de leurs interactions.
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Granularité des expositions
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Un niveau approprié de la granularité doit faire l'objet d'une attention particulière, car lié à la méthode qui sera retenue.
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Top down et bottom up approches
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L'une ou l'autre peuvent être mises à mal par l'existence de fortes interactions ou corrélations entre les expositions individuelles.
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Réduction du risque
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Les expositions brute (sans élément de réduction du risque) et nette doivent être distinguées.
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Idiosyncrasie / hétérogénéité
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Elle porte sur les secteurs, les zones géographiques, les secteurs et les juridictions.
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Incertitudes
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Les principales sources d'incertitudes proviennent de l'existence de points de bascule, d'interconnections au sein des systèmes ou de l'hétérogénéité spatiale des impacts (sévérité et fréquence).
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Le Comité de Bâle distingue (i) les données qui décrivent les facteurs de risques, et qui sont utilisées pour transformer le risque climatique en impact économique (17), (ii) les données qui décrivent la vulnérabilité des expositions vis-à-vis des risques (18) et (iii) les données qui permettent de passer des facteurs de risque économiques aux risques financiers (19).
Il s'agit de classer les risques afin de pouvoir classer et différentier les expositions à ces risques. Le Comité de Bâle relève que les particularités du risque climatique engendrent une complexité qui n'est pas bien traduite dans la plupart des classifications.
Dans le cas du risque physique la localisation géographique est primordiale, tandis que les juridictions sont déterminantes dans le risque de transition. Pour ce dernier, la localisation peut être aussi essentielle, dans la mesure où elle détermine certaines régulations nationales ou locales, ou des marchés de consommateurs.
Le Comité de Bâle cite environ 8 modèles, et les analyse selon les critères Forces / Faiblesses / Horizon de temps / Facilité d'implémentation / Granularité et agrégeabilité. Parmi eux, le modèle IAM, qui combine modélisation de la croissance économique et modélisation du climat et de l'énergie, est le plus fréquemment employé. Il permet de projeter les facteurs de risque de transition et les émissions de gaz à effets de serre et les relie à la croissance. Il est cependant inapte à capter les impacts dus aux événements climatiques extrêmes et ne considère que certains types de risques physiques, limitant ainsi son réalisme. De manière générale, les modèles manquent de granularité pour capter de manière satisfaisante certaines expositions, en particulier pour le risque physique.
Le Comité de Bâle cite quatre grandes approches :
Le Comité de Bâle passe en revue les principales caractéristiques des scénarios généralement retenus (IAM utilisés par le NGFS et IEA). Ceux-ci comportent comme limites le fait de ne pas suffisamment s'appliquer à l'ensemble du bilan d'une banque et le fait que les résultats ne considèrent pas l'impact des changements de température sur l'économie.
Une autre difficulté relevée par le Comité de Bâle concerne l'horizon de temps et son impact sur l'hypothèse sur l'évolution du bilan : l'hypothèse d'un bilan statique devient peu pertinente pour des horizons lointains tandis qu'un bilan dynamique entraîne une part importante de jugement.
La revue du Comité de Bâle porte sur deux aspects : les approches pour lier le risque climatique aux expositions et les méthodes de quantification du risque.
Les indicateurs diffèrent selon qu'ils portent sur le risque de transition ou le risque physique.
Dans le cas du risque de transition, les banques analysent comment les secteurs sont affectés par une transition vers une économie bas carbone.
Les banques se basent sur la notion d'actif "carboné" (carbon-related asset), dont la quantité est un proxy du risque de transition, ou sur une notion connexe, l'empreinte carbone. Un autre indicateur proxy est l'alignement avec les objectifs climatiques, qui peut également être utilisé dans un contexte de risque de réputation. On trouve également les notions de différentiel de risque entre activités brunes et activités vertes (20).
Concernant le risque physique, l'objectif est d'identifier les concentrations géographiques des risques, leur nature, probabilité et sévérité. Parmi les indicateurs, on trouve le score qui peut recouvrir divers facteurs de risque physique (inondation, sècheresse) qui sont ensuite agrégés. Ces indicateurs servent ainsi de mesures de sensibilité à divers chocs. Les expositions considérées sont surtout les portefeuilles entreprises et immobilier (21).
L'évaluation de l'impact financier du risque climatique s'opère de plus en plus au niveau de la contrepartie, notamment pour des raisons de décision de crédit. La quantification reste cependant peu aboutie. Les approches en rating sont fréquentes, qu'elles portent sur les contreparties ou sur les expositions. Séparé du risque de crédit, le rating climat incorpore les risques physiques et de transition. Les métriques peuvent être basées sur des informations sectorielles et ajustées au niveau individuel.
Il est à noter que l'utilisation d'un rating climat, même lors de l'octroi de crédit, ne s'accompagne pas encore de son intégration dans le rating de crédit, sauf dans des cas spécifiques. Le score climat peut néanmoins être utilisé pour déclencher une revue approfondie de la qualité de crédit ou ajuster "manuellement" le rating crédit.
Les méthodes utilisées par les banques pour quantifier les risques financiers découlant du risque climatique comprennent les analyses de scénario, les stress-tests et les analyses en sensibilités. Elles concernent essentiellement le risque de crédit et le risque de marché.
Lors d’ateliers de travail organisés par la TFCR (Task Force on Climate-related Financial Risks) en 2020, les banques ont indiqué que les marchés financiers avaient commencé à intégrer les risques climatiques dans les prix de certains actifs ou dans certains secteurs, bien que de manière très imparfaite, l’impact du climat sur les risques financiers étant loin d’être bien compris.
Les estimations des risques financiers sont limitées :
En termes de gestion des risques, on assiste à un début d'intégration des risques financiers liés au climat, sous la forme de scores ou « heatmaps » appliqués à des secteurs ou portefeuilles spécifiques. Il s'agit avant tout d'identifier les régions et secteurs particulièrement vulnérables avant d'entreprendre une analyse plus granulaire. L'intégration complète de ces risques dans les process existants et les paramètres de risques comme les PD, LGD, ... reste une question ouverte. Le contrôle ou la réduction de ces risques commence à être pris en compte, par exemple via des échanges avec les clients (compréhension de leur stratégie en matière de réduction des émissions) ou des couvertures d'assurance.
Le Comité de Bâle considère que les approches de classification des risques comportent plusieurs défis :
Une classification trop simple peut faire l'hypothèse erronée que les contreparties d'une même zone géographique ou d'un même secteur ont des risques similaires (23). Il est également important de bien identifier la stratégie de couverture de la contrepartie afin de ne pas confondre exposition brute et nette.
La comparabilité des risques entre les juridictions peut être impossible en l'absence de standards communs entre celles-ci pour mesurer les facteurs de risque, quand bien même la banque y appliquerait la même méthodologie (24).
Enfin, l'agrégation peut être complexe pour un groupe international présent dans de multiples juridictions, et se heurter à l'impossibilité de concilier une vision globale pour le pricing et la prise de risque, avec la nécessité de refléter des exigences ou particularités locales.
En ce qui concerne les défis liés aux données, le Comité de Bâle fait la distinction entre les données qui traduisent les expositions à risque (25) et les données qui décrivent les facteurs de risque (physique et transition), pour lesquelles les principales problématiques portent sur la granularité, l'homogénéité et la complétude selon les régions, et leur fréquence de disponibilité.
Avec la classification des risques et la constitution des données, la question principale est comment passer des facteurs de risques climat à des paramètres de risques financiers de manière prospective (forward looking).
Cadre méthodologique
Un des principaux obstacles à la définition d'un cadre méthodologique est l'incertitude autour des facteurs de risques climatiques. Elle reflète la multiplicité des combinaisons de facteurs de transition aboutissant à une même quantité de CO2 émis. Un scénario donné peut donc aboutir à des impacts très différents, selon les méthodes ou hypothèses sous-jacentes. Le Comité de Bâle préconise donc le recours à des scénarios différents, ainsi que des approches alternatives autour d'un même scénario.
Un second enjeu concerne les impacts des scénarios climat, dont la prise en compte doit être améliorée.
L'horizon de temps
Les échelles de temps considérées ont comme conséquence de générer une incertitude sur les résultats et de mettre à mal la robustesse des projections. A cette situation inhérente au risque climatique, s'ajoute le cadre de risque actuel, davantage tourné vers des expositions court terme et des exigences réglementaires court termes. Un changement de paradigme doit être considéré, incluant l'incertitude sur la composition future du portefeuille, dont l'hypothèse de stationnarité est peu pertinente à long terme.
Complexité opérationnelle
La mesure des risques climatiques repose sur la qualité des systèmes informatiques ainsi que sur la capacité des banques à collecter un nombre important de données, générant une complexité opérationnelle de ses process. Les établissements de taille importante doivent concilier cadre commun d'approche avec des lignes métiers parfois très spécifiques, tandis que les établissements de plus petites tailles doivent trouver un équilibre entre allocation des ressources et sophistication.