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Défis et enjeux de la première publication des Green Asset Ratios des banques

Article co-écrit par Gabriella Cevallos et Maëlys Paquette, Senior consultantes, et Elodie Ciulli, Senior Manager, dans les équipes Sustainability de Deloitte France.

 

Conformément aux exigences du règlement européen de la Taxonomie Verte, les établissements bancaires ont pour la première fois publié leurs Green Asset Ratios (GAR) en date du 31 décembre 2023 dans leur Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) ainsi que dans leur rapport Pilier 3 ESG. Le GAR est un indicateur conçu pour comparer la durabilité des actifs d’une banque selon une méthodologie standard. 

En complément, le règlement imposait dès cette année la publication de deux autres indicateurs clés de performance (ICP) concernant le niveau de durabilité des actifs sous gestion (« ICP AuM ») et des garanties financières accordées (« ICP FinGuar »).

L'objectif annoncé est d'améliorer la transparence en matière de durabilité et de comparer les établissements sur des indicateurs quantitatifs standards. Pour autant, les premières publications semblent difficilement comparables, notamment du fait des trop nombreuses difficultés rencontrées lors du calcul, ne permettant pas encore au GAR de se positionner en tant qu’indicateur de pilotage de référence pour les institutions financières.

Dans cet article, Deloitte analyse les publications de 18 banques européennes, mettant en lumière les défis rencontrés dans la mise en œuvre de ce nouveau ratio qui devra être davantage opérationnalisé pour atteindre pleinement ses objectifs.

Si vous souhaitez obtenir le benchmark complet des 18 banques du panel, veuillez contacter Frédéric Bujoc, Associé Strategy Risk & Transactions, responsable secteur banque (fbujoc@deloitte.fr).

En mai 2021, l'Autorité Bancaire Européenne (ABE) a publié les résultats de son premier exercice pilote à l'échelle de l'UE sur les risques climatiques. Cet exercice visait à cartographier les expositions des banques à ces risques et à fournir une première estimation du GAR moyen. Les estimations de l’ABE, qui prévoyaient des GAR autour de 7,9%1, ne sont pas atteintes, puisque les banques de notre échantillon affichent généralement des GAR beaucoup plus faibles avec un taux d’alignement moyen des actifs à 3,02%2

Les niveaux bas de ces ratios ainsi que les disparités entre les établissements s’expliquent en particulier pour 4 raisons.  

1. Une hétérogénéité structurelle liée aux règles de calcul du GAR 

Le calcul et l'interprétation du GAR posent des défis majeurs en raison de l'asymétrie des exclusions de certains actifs du numérateur mais pas du dénominateur. Ce traitement concerne notamment les expositions envers des contreparties non soumises à la Non-Financial Reporting Directive (NFRD)3, les prêts interbancaires à vue et la trésorerie. Cette asymétrie ne permet pas au GAR d'atteindre un niveau de 100%, le ratio maximal dépendant de la composition du bilan de chaque institution financière.

Comme présenté sur le graphique ci-dessus, nous constatons que les institutions ayant des volumes d’expositions significatifs en dehors de l'UE (comme BNP Paribas) ou envers des PME (comme Bpifrance) sont particulièrement désavantagées, ces expositions n’entrant pas dans le champ d’application de la NFRD4.  

Par ailleurs, seuls 7% du chiffre d'affaires des entreprises répondent actuellement aux normes techniques de la Taxonomie Verte5. En conséquence, les expositions aux entreprises contribuent très peu au GAR. À l'opposé, nous constatons que plus une institution financière est exposée envers les ménages, plus son GAR tend à être élevé. Cette tendance s'explique par la facilité relative de remplir les critères pour les crédits immobiliers par rapport à d’autres types de prêts.  

Les règles de calcul du GAR limitent donc significativement la comparabilité et la perception des performances de durabilité des banques. Face à cela, la Commission Européenne incite à la publication d’un GAR dit « volontaire », dont les règles de calcul sont plus souples (e.g. possibilité d’inclure des données estimées au numérateur, vérification des critères de contribution substantielle uniquement, …). Compte tenu des limitations actuelles en termes de données et des critères stricts du GAR obligatoire, ces mesures visent à permettre aux institutions financières de produire une vision plus exhaustive mais moins normée des progrès réalisés dans leur transition vers une économie durable. 

Dans la même idée, pour pallier ces défis et mieux représenter les dynamiques et engagements des institutions financières, des indicateurs clés de performance (ICP) alternatifs ont été publiés par certains établissements avec des numérateurs et des dénominateurs différents de ceux du GAR obligatoire. 

En vue de gagner en comparabilité, Deloitte a procédé à un retraitement des ratios de l’ensemble du panel visant à corriger l'asymétrie d'exclusion, en retirant du dénominateur les mêmes exclusions que celles du numérateur. Cet ajustement permet d’éliminer les biais liés au modèle d’activité des banques pour une lecture plus équilibrée de leurs ratios. Grâce à cette approche, les niveaux des ratios tendent à s'homogénéiser, à l'exception de deux banques qui semblent avoir adopté des orientations méthodologiques différentes .

Cet indicateur retraité présente toutefois certaines limites, principalement dues à la méthodologie d'identification des entreprises NFRD par les banques, dont le niveau de précision peut varier d'un établissement à l'autre. Certaines banques ont eu recours à des données de fournisseurs externes ou encore à des vérifications manuelles lorsque les données internes étaient de qualité insuffisante pour établir la liste de leurs contreparties NFRD. Ces différences de mise en œuvre peuvent engendrer des fluctuations dans le niveau des actifs pris en compte au numérateur du GAR, que ce retraitement ne permet pas de corriger.

Par ailleurs, l’exclusion des administrations locales du dénominateur des ratios a été précisée tardivement lors de la publication des FAQ de décembre 2023 (dont le contenu sera détaillé en fin d’article). Par conséquent, toutes les banques n'ont pas pu prendre en compte cette clarification, ce qui a conduit la plupart d'entre elles à maintenir les expositions envers les administrations locales dans le dénominateur de leur GAR, créant ainsi un biais supplémentaire dans la comparaison des résultats

 

 

 

2. Difficultés liées à l’opérationnalisation de la Taxonomie Verte 

 

La faiblesse des GAR s’explique également par les critères d’analyse stricts imposés par la Taxonomie Verte. Pour les financements spécialisés6, le règlement exige un examen technique rigoureux pour établir la contribution substantielle à un objectif environnemental européen, l’absence de préjudice aux autres objectifs et le respect de garanties sociales minimales. La vérification de ces critères nécessite une collecte rigoureuse de pièces probantes, excluant toute estimation. Ainsi, seules 5 banques des 18 du panel sont parvenues à aligner une partie de leurs financements spécialisés aux entreprises. 

La collecte de l’ensemble des éléments nécessaires pour satisfaire ces exigences représente un défi majeur pour les banques. Par exemple, seuls 30% des Diagnostics de Performance Energétique (DPE) ont été collectés par les banques européennes sur leur portefeuille immobilier. Sans ces DPE, les banques ne peuvent pas procéder à l’analyse d’alignement de leurs actifs, limitant ainsi la part de leurs actifs pouvant être soumis à un examen taxonomique. 

Au-delà des critères stricts de la Taxonomie Verte et des défis liés à sa mise en œuvre, d'autres facteurs affectent la comparabilité des informations publiées et le niveau des GAR. La Bundesverband deutscher Banken (BdB) estime que 70 % de l'économie n’est actuellement pas éligible à la Taxonomie Verte. Cette limitation réduit la portée des GAR, qui ne couvrent qu’une partie restreinte des activités économiques financées qui contribuent à la transition avec des critères extrêmement stricts. Le GAR ne peut malheureusement montrer qu’une petite partie des efforts des banques faits pour financer la transition.  

3. Disparités géographiques 

Les niveaux d’exigences environnementales varient également entre les pays européens, entraînant des disparités dans les analyses. Les banques hollandaises affichent ainsi les GAR les plus élevés du panel, grâce à des organismes dédiés à la collecte des DPE et à des seuils de DPE moins contraignant. Par exemple, un DPE A aux Pays-Bas peut correspondre à un DPE A, B ou même C en France.  

4. Des incertitudes réglementaires pesant sur la comparabilité des ratios 

Bien que les principaux jalons législatifs soient passés, de nombreuses questions restent en suspens. En effet, les différents actes délégués de la Taxonomie Verte établissant les critères d’alignement des actifs sont sources d’incertitudes, comme indiqué précédemment, du fait des différences d’interprétation et de l’hétérogénéité des résultats obtenus.  

Les banques ont notamment retenu différentes méthodes pour qualifier leurs actifs face à l’indisponibilité de certaines pièces probantes. Certaines ont par exemple fait le choix de d’identifier certains critères techniques par approximation à partir de la réglementation thermique du bien immobilier, comme le mentionne le rapport sur les pratiques de place publiée en janvier 2024 par la Plateforme européenne sur la Finance durable7

Les apports des FAQ de décembre 2023 

 

La Commission européenne a publié le 21 décembre 2023 un projet de FAQ sur la Taxonomie Verte, spécifiquement destiné au secteur financier. Outre les précisions méthodologiques attendues, par exemple sur le calcul du GAR flux, ces FAQ introduisent de nouvelles complexités de mise en œuvre, dont les plus significatives sont présentées ci-dessous. 

En plus des indicateurs requis pour leur activité principale, les établissements financiers devront publier des indicateurs supplémentaires pour l’ensemble de leurs segments d'activités, incluant la gestion d’actifs, le crédit, l’investissement, l’assurance et les activités non financières. Les banques universelles seront particulièrement concernées par ces nouveaux indicateurs attendus. Jusqu'à présent, elles ne publiaient que les ICP en tant qu'établissements de crédit, mais devront désormais également publier les ICP pour leurs activités d’assurance et de gestion d’actifs. De plus, elles devront publier un ICP global calculé comme la moyenne pondérée des ICP par segment, ce qui comporte des risques de double comptage car certains indicateurs peuvent inclure les mêmes expositions. Par exemple, les activités d’assurance seront prises en compte à la fois dans le GAR, via les titres détenus dans la filiale, et dans l’ICP assurance. 

Les FAQ ont précisé le champ d'application des indicateurs à publier sur les cinq tableaux relatifs au gaz et nucléaire. La pratique au 31 décembre 2023 consistait à publier ces tableaux uniquement pour l'indicateur du GAR, dédoublés pour les visions CapEx et Chiffres d’affaires. Les FAQ précisent désormais qu'il sera nécessaire de publier ces tableaux pour l'ensemble des indicateurs requis. Cela signifie par exemple qu'un établissement de crédit devra à terme publier près de cinquante tableaux pour couvrir l'ensemble des ICP (GAR, GAR flux, Frais & Commissions, FinGuar, Trading Book). 

Les FAQ précisent que le tableau 2 de la Taxonomie Verte doit présenter les expositions du portefeuille bancaire par code NACE à la granularité la plus fine. Autrement dit, toutes les expositions éligibles à la Taxonomie Verte doivent être déclinées jusqu'au niveau NACE 4. À titre d’exemple, BPCE, qui a déjà suivi cette méthodologie au 31 décembre 2023, a publié un tableau avec 376 lignes pour répondre à cette exigence de précision. 

Afin de pallier le manque d’accès aux données ou pour répondre aux exigences de preuve posées par les FAQ, les établissements sont également incités à publier des ratios volontaires. Certaines banques ont déjà publié des ICP volontaires avec des méthodologies différentes. L'articulation entre ces ratios volontaires, le GAR obligatoire, les expositions du tableau 10 du Pilier 3 ESG et le futur BTAR reste toutefois à préciser.

Pour Conclure

La publication des premiers GAR par les banques au 31 décembre 2023 marque une avancée significative vers une finance plus durable et transparente. Cependant, le calcul actuel du GAR présente des défis qui limitent son efficacité comme outil standard de mesure de la durabilité des activités bancaires. 

Ces premiers résultats soulignent la nécessité d'une harmonisation accrue des critères d’analyse et des formats de publication, afin d’améliorer la transparence et la comparabilité des indicateurs dans le secteur. Bien que des progrès aient été réalisés, les banques doivent encore relever de nombreux défis pour répondre pleinement aux exigences de la Taxonomie Verte. La charge opérationnelle est conséquente pour les établissements. 

Les discussions de place s’intensifient sous une pression réglementaire, médiatique et des auditeurs, croissante autour des sujets ESG. La CSRD instaure un niveau d’audit qui s’accentuera progressivement et les critères d’éligibilité au facteur supplétif dit « infrastructure » ont été revus sous CRR 3 pour intégrer les critères de la Taxonomie Verte. Autrement dit, pour qu’un actif puisse être éligible à des économies de Risk-Weighted Assets (RWA), il devra désormais vérifier les critères d’alignement la Taxonomie Verte. 

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