Fondé en 1979, Denis Matériaux est un groupe familial breton spécialisé dans la fabrication et la distribution de matériaux de construction. Avec 600 salariés, sept usines et un chiffre d’affaires de 140 millions d’euros, l’entreprise a placé la responsabilité sociétale au cœur de sa stratégie depuis de nombreuses années. L’entrée, en 2021, de trois fonds d’investissement minoritaires est venue renforcer cette dynamique. Rachel Denis-Lucas, la fille du fondateur, qui a accompagné le développement de l’entreprise avant de rejoindre son conseil d’administration, revient sur l’engagement RSE du groupe et la manière dont cette culture imprègne désormais sa gouvernance.
Quand mon frère Renan — aujourd’hui PDG — et moi avons rejoint l’entreprise au début des années 2000, nous partagions une conviction forte : une entreprise ne peut se résumer à sa performance économique. Ancrée dans un territoire rural, nous étions convaincus qu’elle devait aussi être utile à son environnement, exemplaire dans sa conduite et tournée vers le long terme. Dès 2005, cette vision s’est traduite dans nos pratiques. Nous avons analysé et communiqué les fiches de données environnementales et sanitaires et créé un éco-guide sur nos 50 produits les plus distribués — une première dans notre secteur. Nous avons aussi référencé des éco-matériaux innovants, comme Métisse, un isolant issu de vêtements recyclés, ou Pavatex à base de laine de bois. Nous avons fait des choix radicaux : refuser de produire des briques très énergivores et orienter notre R&D vers des produits à base de béton et d’eau, à faible impact carbone. Par ailleurs, nous avons mis en place le recyclage intégral de l’eau industrielle, et établi des bilans carbone et sanitaires sur l’ensemble de notre offre.
Cette approche nous a valu d’être sollicités par le ministère de la Transition écologique et le Grenelle de l’environnement pour partager notre retour d’expérience. Elle a aussi contribué à faire évoluer la demande. Nos clients sont aujourd’hui bien plus attentifs à l’origine des matériaux, à la santé sur les chantiers ou encore à la pénibilité des métiers.
L’engagement local fait aussi partie de notre ADN. Dans nos territoires ruraux d’implantation, soutenir les associations, les clubs sportifs ou la restauration du patrimoine allait de soi. Nous sommes ainsi devenus le principal contributeur associatif dans plusieurs communes — une source de fierté pour nos équipes. Chez nous, la responsabilité n’est ni une contrainte réglementaire, ni un effet de mode : elle s’est imposée naturellement comme un socle de gouvernance.
Les enjeux ESG ont fait partie des premiers sujets abordés avec nos nouveaux investisseurs. Par exemple, la BPI a vérifié notre "maturité environnementale" à travers un questionnaire, avant de s'engager à nos côtés. Si ce n’est pas un prérequis incontournable, c'est un point d'attention récurrent de la prise de participation de ces fonds. Nous étions préparés : dès 2020, notre stratégie ESG s’articulait autour de trois axes — ressources humaines, décarbonation, préservation des ressources naturelles — appuyés par un reporting clair.
Concernant la directive CSRD, bien que nous ne soyons pas soumis aux seuils réglementaires, nous avons volontairement choisi de nous inscrire dans une démarche d'alignement progressif.
En particulier en analysant nos impacts, nos risques et nos opportunités : cette démarche nous a permis de mettre en lumière nos forces — flotte électrique, camions au bioéthanol, toitures photovoltaïques, bilans carbone — mais aussi d’identifier des leviers d’amélioration, notamment sur la biodiversité, car nous avons par exemple pris conscience de l’impact de nos éclairages nocturnes sur la faune locale. La réglementation nous incite également à renforcer la collecte et la structuration des données, ce qui implique une adaptation de nos systèmes d’information, mais représente surtout un puissant levier de progrès. Pour les entreprises familiales qui entament leur démarche, il ne faut pas chercher à tout faire d’un coup. Un bon point de départ consiste à réaliser un diagnostic ou un pré-audit ciblé, qui révèle souvent que des actions RSE sont déjà en place — parfois sans que les structures en aient pleinement conscience. Ce diagnostic réaliste rassure et aide à définir des priorités adaptées aux spécificités de chaque organisation. La RSE devient alors un levier stratégique et un facteur de pérennité. Pour les entreprises plus avancées, le cadre de la CSRD peut servir de boussole pour structurer et approfondir la démarche.
Pour beaucoup d’entreprises familiales, communiquer n’est pas un réflexe naturel. Il existe une forme de pudeur, comme si valoriser ses engagements revenait à se vanter. Il faut absolument combattre cette idée. À l’inverse, d’autres entreprises n’ont aucun complexe à promouvoir leur politique RSE, ce qui renforce leur marque employeur. C’est dommage, car les entreprises familiales agissent souvent beaucoup, mais peinent à le faire savoir.
Je pense par exemple à un dirigeant qui a mis en place une aide à l’achat de vélos pour ses salariés, à hauteur de 50 %. Il me disait : « Pourquoi communiquer ? C’est pour mes équipes. » Pourtant, ce sont précisément ces initiatives qui donnent du sens et font la différence.
Dépasser cette réserve est essentiel — non pour se vendre, mais pour affirmer ses valeurs et attirer les bonnes personnes. Communiquer, ce n’est pas tricher : c’est reconnaître ce que l’on fait déjà bien, et ne pas laisser le terrain à ceux qui en font moins, mais le disent mieux.