Dans un climat économique incertain, les salariés des entreprises familiales expriment une attente de plus en plus nette : être mieux associés à la création de valeur. Aujourd’hui, les entreprises disposent de nombreux leviers pour favoriser l’engagement collectif via un meilleur partage du capital. Pour celles-ci, les avantages sont multiples : attractivité, fidélisation des talents et meilleur alignement entre dirigeants et actionnaires familiaux etc. Encore faut-il choisir le bon outil.
L’un d’eux affiche une forte progression dans les entreprises familiales non cotées ces dernières années, s’accompagnant très souvent d’un renforcement de la politique ESG (Environnement, Social et Gouvernance) : l’actionnariat salarié. Cet article se propose d’en exposer le fonctionnement et d’analyser ses avantages ainsi que des implications liées à la mise en place de ces dispositifs pour la gouvernance.
Porté par la dynamique impulsée par la loi Pacte, qui fixe un objectif de 10% du capital détenu par les salariés en 2030, l’actionnariat salarié est de plus en plus plébiscité par les entreprises, et ce, quelle que soit leur taille. Selon la Fédération de l’Actionnariat Salarié (FAS), en 2024, 57% des entreprises prévoient d’en mettre en place contre seulement 45% en 2021.
Pour l’entreprise, l’actionnariat salarié est un moyen efficace de fidéliser ses équipes, d’attirer de nouveaux talents et de concrétiser sa politique RSE.
Pour encourager ce mouvement, le législateur a, de longue date, instauré des dispositifs spécifiques. Ces derniers se divisent en deux catégories :
Pour les entreprises familiales, l’ACRS présente le double-avantage de renforcer les fonds propres tout en évitant une trop forte dilution du capital (seul 10% en est attribuable). Pour les salariés, ce mécanisme d’actionnariat salarié constitue une véritable opportunité de s’impliquer dans la réussite de son entreprise, tout en profitant d’un cadre fiscal et social attractif. Au-delà de la perception de dividendes liée à leur statut d’actionnaires, ce dispositif a un intérêt symbolique pour les salariés qui deviennent acteurs de la stratégie de l’entreprise à long terme. Grâce à la souscription à l’augmentation de capital via un PEE (Plan d’épargne entreprise), les salariés investissent dans leur société à des conditions financières avantageuses, une décote ou un rabais étant appliqués sur la valeur de l’action. Ils bénéficient également d’exonérations sociales et fiscales, sous réserve de respecter certaines périodes d’indisponibilité.
Au-delà de l’avantage financier offert au salarié, la société peut déduire de son bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés le rabais ou la décote consenti aux salariés. Par ailleurs, en lieu et place des charges sociales patronales pesant habituellement sur les salaires, l’employeur s’acquitte d’un forfait social, dont le taux – 0 %, 10 % ou 20 % – varie selon la nature du versement et la taille de l’entreprise, offrant ainsi une certaine souplesse dans la mise en œuvre du dispositif. A noter que l’ACRS peut se cumuler avec d’autres dispositifs d’épargne salariale, comme l’intéressement ou la participation : une manière pour l’entreprise de consolider ses fonds propres. Un modèle hybride qui connait un vif succès : en 2024, selon la FAS, 40 % des opérations ont été financées ainsi.
L’actionnariat salarié offre aux collaborateurs un avantage financier significatif, qu’il prenne la forme d’une souscription d’actions à prix réduit — avec une décote pouvant atteindre 30 à 40 % — ou d’une attribution gratuite de titres. Lorsque l’achat se fait avec décote, celle-ci est, sous conditions, exonérée d’impôt sur le revenu et de charges sociales.
A noter que les souscriptions à l’augmentation de capital peuvent être réalisées à partir des abondements réalisés par la société au profit de ses salariés. Ces abondements « unilatéraux » versés par la société sont exonérés d’impôt sur les revenus dans certaines limites. Cependant, ces versements demeurent soumis pour le salarié à la CSG et la CRDS (9,7%).
Les gains générés par les PEE sont également exonérés d’impôt sur les revenus s’ils sont réinvestis et restent indisponibles pendant une période donnée (en principe 5 ans). Ces produits restent toutefois soumis aux prélèvements sociaux (17,2%).
Enfin, les salariés pourront bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu au titre des gains nets réalisés au sein du plan d’épargne, sous réserve du paiement des prélèvements sociaux (17,2%).
L’ouverture du capital aux collaborateurs bouleverse la philosophie de l’entreprise familiale, longtemps résumée par l’adage : « vivons heureux, vivons cachés ». Ce qui relevait hier du débat intra-familial devient désormais une question sociétale interne, soumise au regard d’une dizaine, voire d’une centaine d’actionnaires salariés. Dès lors que ces derniers engagent leur épargne et participent au partage du résultat, ils doivent bénéficier d’un niveau d’information comparable à celui des actionnaires familiaux ; à défaut, le principe d’égalité de traitement serait rompu et la confiance irrémédiablement ébranlée. L’entreprise doit donc passer d’un modèle implicite, fondé sur la proximité et la confidentialité, à une gouvernance formalisée : procédures écrites, calendrier de communication et outils pédagogiques adaptés.
Cette transparence accrue appelle d’abord une diffusion régulière et intelligible des données clés : comptes sociaux ou consolidés, perspectives stratégiques, politique de distribution et cartographie des risques. Concrètement, une « lettre aux actionnaires salariés » trimestrielle, des webinaires avant chaque assemblée générale et un espace documentaire sécurisé viennent prévenir les asymétries d’information et porter sur la place publique des sujets jusqu’alors réservés aux actionnaires familiaux. Une charte de gouvernance fixe le tempo ; elle précise, par exemple, la date de mise à disposition du rapport financier avant l’assemblée générale et ouvre une fenêtre de questions écrites accessible à tous. Ainsi, l’égalité d’accès aux informations sensibles est garantie, quelle que soit la proximité personnelle avec la famille dirigeante.
Mais l’information, à elle seule, ne suffit pas : la capacité à participer aux décisions doit également être organisée. Selon le pourcentage de capital détenu, un représentant des actionnaires salariés peut siéger – d’abord comme observateur, puis avec voix délibérative – au conseil d’administration ou de surveillance. Des plafonds de détention, des fenêtres de liquidité ou encore des clauses de rachat par la famille en cas de départ complètent le dispositif ; ils protègent la stabilité de l’actionnariat tout en affirmant le droit des salariés à réaliser leur investissement dans des conditions équitables.
Enfin, cette architecture nouvelle exige une véritable acculturation. Ateliers pédagogiques de lecture des comptes, formations aux droits et devoirs de l’actionnaire et désignation d’un référent « actionnariat salarié », chargé de centraliser les questions, contribuent à instaurer un dialogue mature et apaisé. À la clé, une dynamique vertueuse : la transparence devient un gage de professionnalisme, l’égalité de traitement renforce le sentiment d’appartenance et la gouvernance partagée consolide, in fine, la pérennité de la maison familiale.