Née près du port de pêche de Quiberon, face à Belle-île-en-Mer, La belle-iloise fabrique et distribue des conserves de poissons depuis plus de 90 ans. Entreprise de 3ème génération, elle emploie entre 350 et 600 personnes selon les saisons et réalise un chiffre d'affaires de 64 millions d'euros. Entretien avec Caroline Hilliet Le Branchu, petite-fille du fondateur, qui après une carrière d'ingénieure d'affaires, a repris l'entreprise familiale en 2011 à l'âge de 36 ans.
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Une transmission est longue, elle peut facilement prendre entre 5 et 10 ans, et doit être bien préparée. Manifester le désir de faire partie de la relève est un premier pas important. A 26 ans, alors que je travaillais dans un grand groupe informatique, j'ai exprimé à mon père mon souhait de rejoindre l’aventure familiale. Pour un chef d'entreprise, le fait de pouvoir identifier son successeur lui permet de commencer à élaborer un plan avec une certaine sérénité. Au-delà de l'envie de reprendre le flambeau, il est aussi important d'être accompagné pendant toute cette période.
A 30 ans, avant même mon arrivée à La belle-iloise, sur proposition de mon père, j'ai commencé à être coachée par le consultant qui avait déjà accompagné le Comité de Direction dans sa réflexion stratégique. Ce mentor, a orchestré un programme en 3 temps, démarrant par une période de pré-préparation de 6 mois. En l’espace de quelques sessions, nous avons abordé toutes les questions fondamentales telles que ma motivation, mon positionnement, et nous avons défini un macro-agenda, fixant la durée de la transmission opérationnelle à 5 ans.
Dans un deuxième temps, j'ai pris progressivement des responsabilités au sein de la société, à commencer par l'encadrement du système d'information, puis du contrôle de gestion. Parallèlement, je me suis approprié les différents métiers de l’entreprise, qui couvrent à la fois les secteurs de l'agroalimentaire et de la distribution, en travaillant avec chaque responsable des différents pôles d'activité. Très vite, j'ai également eu la charge du développement de la stratégie et, avec l'aide du coach, je construisais l'agenda du comité de direction. Chaque fois qu'un sujet lié à la R&D se présentait, je travaillais dessus en tandem avec mon père.
La dernière année était une « année en duo » où j'officiais en tant qu’« ombre de mon père ». Ce fut une année absolument indispensable, aussi enrichissante qu'éprouvante dans la mesure où il m'a parfois été demandé de prendre des décisions qui, sans la validation de mon père, n'étaient pas forcément suivies d'effets, l'entreprise n'ayant qu'un seul patron !
Le 31 décembre 2010, mon père, omniprésent dans la société depuis plus de 40 ans, a quitté son bureau pour ne plus revenir. Un immense cadeau car le pire scénario lors d’un passage de génération est celui où le sortant ne lâche pas complètement les rênes. Dans mon cas, je n'ai même pas eu l'impression qu'il me surveillait de loin, j'ai eu la chance d'avoir sa confiance absolue, celle qui vous permet de prendre votre envol.
La phase de post-transmission, durant laquelle le coach accompagne le Comité de Direction, clôt la passation. Idéalement, elle ne saurait excéder une année, au-delà de quoi sa présence n'est plus légitime et risque de devenir une source de frictions, comme ce fut le cas chez nous.
J'ai hérité d'une gouvernance qui n’a pas changé depuis le départ de mon père et qui reste perfectible. Pendant 24 ans, mon père et mon oncle ont codirigé l'entreprise à parts presque égales et leur conseil d'administration se tenaient tous les soirs à 19 heures dans le bureau de l'un ou de l'autre. Lorsqu'ils ont fait évoluer la répartition du capital, ils ont créé un conseil d'administration dans lequel ils ont fait entrer quelques enfants et, depuis, cette instance se réunit une fois par an pour faire le point sur l'activité et sur les comptes. Aujourd'hui, à la suite de transmissions, le nombre d'actionnaires familiaux a augmenté, mais en vertu d'un accord tacite, j’ai maintenu cette répartition des parts et donc l'équilibre entre nos deux familles. La logique de préservation du patrimoine qui nous a été légué a prévalu, contexte qui rend compliqué le sujet de la liquidité des actions.
Dans sa composition et sa forme actuelles, ce conseil d'administration ne joue pas pleinement son rôle. Je concentre entre mes mains la majorité des droits de vote et j'ai donc un pouvoir de décision extrêmement fort. Même si je dirige l'entreprise avec les membres du Comité de Direction, le fait qu'une seule personne détienne tous les pouvoirs n'est jamais une bonne chose.
Je souhaite faire évoluer cette gouvernance ; à cet effet, j'ai récemment mis en place un comité stratégique composé de quatre chefs d'entreprise de groupes plus gros que le nôtre, et d'une actionnaire familiale dont l'un des buts est d'identifier un certain nombre de pistes à partager avec notre conseil d'administration. Il a aussi et surtout pour objet de me challenger et d'alimenter ma réflexion stratégique. L'idée est de faire prendre conscience aux membres du conseil qu'il est indispensable de structurer cette instance différemment pour la rendre plus efficace.
Mes premières années à la tête de l'entreprise ont été marquées par la continuité car depuis cinq ans je participais activement à l'élaboration de la stratégie et à son déploiement et j’y adhérais pleinement. Les nouveaux projets comme l'exploration de nouveaux axes de développement à l'étranger ou la restauration figuraient déjà sur la feuille de route établie en amont. En revanche, ce qui a beaucoup changé, c'est la gestion et le management de l’entreprise. Un certain nombre de responsables d'activité viennent comme moi de grands groupes avec des méthodes bien différentes de celles des générations qui nous ont précédées. Nous avons rapidement développé l'innovation, adopté le management des processus, mis en place le lean, ce qui a permis d'améliorer considérablement les résultats. Il y a clairement eu un avant et un après, mais à aucun moment je n'ai souhaité m’inscrire dans une logique de rupture, ces changements se sont faits naturellement. Mon père et moi ne sommes pas de la même génération, nous n'avons pas la même formation ni la même expérience et La belle-iloise ne fait plus la même taille. Le monde change et l’entreprise doit s'adapter en permanence, il est impératif de se re-challenger sans cesse et de se faire accompagner de générations plus jeunes pour assurer la pérennité.