En 2020, le défaut de paiement de Mediapro sur les droits à la Ligue de Football Professionnel (LFP), avait déjà mis en lumière la fragilité du système français et les défis rencontrés par la Ligue de Football Professionnel (LFP).
Ce scénario se répète aujourd'hui avec DAZN, le diffuseur principal de la Ligue 1. La plateforme qui réunit 500 000 abonnés disposait d'une clause de résiliation si elle n'atteignait pas les 1,5 million d'abonnés. Un échec commercial, qui se traduit désormais par des pertes d'exploitation estimées entre 200 et 250 millions d'euros.
Le succès de la monétisation des évènements sportifs reste aujourd’hui exclusivement à la main du ou des diffuseurs. Une incertitude sur les revenus de la LFP en découle avec comme conséquence directe un manque à gagner pour les clubs particulièrement négatif pour les petits et moyens clubs.
Les revenus des clubs peuvent être décomposés en 4 grandes composantes : les droits TV perçus via la LFP, les recettes de billetterie, les revenus commerciaux (sponsoring, merchandising), les plus-values nettes sur les transferts de joueurs.
Les charges, elles, incluent : la masse salariale joueurs et staff, les amortissements de contrats joueurs, et les autres frais opérationnels.
S’agissant des coûts, ils sont globalement répartis de la même façon pour les grands clubs et les plus petits. La masse salariale représentant la plus grosse part avec 60 % des coûts totaux. La pression sur les salaires des joueurs, notamment portée par la concurrence en dehors des frontières, rend ces masses de coûts très rigides. Ceci entraine une pression sur les résultats financiers des clubs.
S’agissant des revenus, on observe une forte différence entre les grands clubs et les petits clubs. Les droits télévisuels1 représentant pour les deux catégories la plus grande part des revenus, mais dans des proportions différentes : 35% pour les grands clubs et 70% pour les plus petits.
Cette inégale et forte dépendance des clubs aux revenus des droits TV (revenus qui sont aujourd’hui fragiles), couplée à la pression sur les salaires des joueurs impactent l’attractivité de la ligue :
L’échec du modèle de Mediapro en 2020 illustre ce cercle vicieux : 300 millions d'euros de manque à gagner immédiat pour la LFP et par ricochet pour les clubs, pour qui les pertes cumulées avoisinaient le milliard d'euros sur la période 2020-2022. Certains clubs ont également été contraints de vendre des actifs sportifs. Même après le retour du public post-Covid, 9 des 18 clubs de Ligue 1 restaient déficitaires lors de la saison 2023-2024.
La dynamique économique des diffuseurs est un facteur structurel de l’instabilité actuelle du marché des droits TV du football français. Il existe globalement deux modèles de diffuseur : les chaînes premium, et les plateformes OTT (over-the-top). Le premier modèle est l'historique avec un prix pour le public plus élevé et une base de clientèle relativement stable, et le second dispose d’une base plus volatile et de prix plus faibles.
Néanmoins, sur le marché français aucun de ces deux modèles n'a pu démontrer sa viabilité à long ou moyen terme. Les chaînes ou les plateformes (comme l'illustre l’aventure d’Amazon qui a choisi de ne pas prolonger le Pass Ligue 1 au-delà de 2024) se sont retirées dès la mise en évidence d’un déséquilibre entre recettes et coûts.
En tant qu’intermédiaire entre clubs et diffuseurs, la LFP joue (entre autres) un rôle d’agrégateur et de redistributeur. Son modèle repose principalement sur la vente centralisée des droits TV domestiques et internationaux qu’elle redistribue en partie ensuite aux clubs.
Dans ce schéma d’intermédiation, le rôle de la LFP est assez éloigné du consommateur final qui est la source « primaire » de revenues de l’industrie (tout à droite de notre premier schéma). En particulier les deux variables clé de réussite : la tarification finale et l'expérience utilisateur sont contrôlées par des acteurs qui dans le système français sont instables.
La chaîne de valeur de l’industrie du football français est très interdépendante et les difficultés dans un des maillons de la chaîne impactent l’ensemble de l’industrie.
Aujourd’hui un cercle vicieux caractérise cette chaîne de valeur : une faible monétisation de la diffusion réduit les revenus des chaînes, facilitant le déclenchement des clauses de résiliation auprès de la LFP ce qui réduit ses rentes de droits TV et fragilise son modèle. Par ricochet cela impacte les revenus pour les clubs, affaiblissant la qualité des prestations sportives (transferts et scissions entre les meilleurs clubs et les clubs en bas du tableau) et donc l’attractivité de la Ligue et ses revenus internationaux. Ceci a pour effet de réduire la propension à payer des téléspectateurs et de rendre l’équilibre à trouver entre la LFP et les diffuseurs encore plus instable.
Par ailleurs, l’essor du piratage dans la diffusion des matchs (37 % des téléspectateurs ont eu recours à des moyens illégaux pour regarder les matchs), porté notamment par la fragmentation de l’offre de diffusion (DAZN et beIN), et l’augmentation de la facture mensuelle pour le consommateur, entretient ce cercle vicieux.
Le schéma ci-dessous illustre ce cercle vicieux :
La Ligue 1 n’attire pas autant d’abonnés que les autres ligues européennes et figure parmi les ligues ayant le taux de piratage le plus élevé, et ce malgré un prix d’accès relativement peu élevé.
Néanmoins, les audiences pics montrent que le championnat français reste très populaire (2,3 millions contre 2,16 millions pour la ligue espagnole par exemple). Il existe un réel intérêt des téléspectateurs pour le football français, et donc potentiellement un vecteur de croissance pour la LFP.
Les dépenses annuelles par habitant illustrent ce potentiel encore inexploité :
Ce manque à gagner (lié notamment au piratage et au faible taux d’abonnement) fragilise le modèle dans son ensemble, et participe à rendre la ligue moins compétitive. Elle est par ailleurs ainsi moins attractive au niveau international comme l’atteste le faible niveau des droits internationaux (80 millions d’euros par an contre 897 millions pour la ligue espagnole). Ce manque à gagner creuse l’écart avec les autres pays européens capables de s’appuyer sur une masse de revenus plus forte pour dynamiser leur football.
Lorsqu’un marché présente des frictions, qu’elles soient contractuelles, informationnelles ou relationnelles, il devient parfois plus efficace pour un acteur d’internaliser une activité plutôt que de la confier à un tiers. C’est précisément dans cette logique qu’il faut analyser la perspective d’intégration verticale de la LFP dans la diffusion de ses propres compétitions. En augmentant son niveau d’intégration dans la diffusion, la Ligue pourrait disposer de nouveaux moyens pour accroître l’attractivité du championnat.
À l’heure où la LFP cherche un nouveau cap stratégique, ces trois modèles – vente directe, partage de valeur, ou chaîne maison – incarnent autant de visions possibles du futur du football français. Le choix ne sera pas purement économique : il engage la gouvernance, la stratégie de marque, et l’ambition internationale du championnat.
Avec l’arrivée de Nicolas de Tavernost à la tête de LFP Media, les décisions pourraient s’accélérer. Ancien patron de M6, fin connaisseur de l’audiovisuel et du sport, il devra arbitrer entre sécurité financière et prise de risque industrielle.
Une chose est sûre : à l’heure du streaming, de la data et de la fragmentation des audiences, le football français ne peut plus se contenter de vendre des matchs à l’unité. Il lui faut désormais penser son avenir comme un média à part entière.
Lancer sa propre chaîne, ce n’est pas simplement une décision technique ou financière. C’est une bascule de modèle : de vendeur de droits à producteur de contenu. De fournisseur à éditeur. D’intermédiaire à marque média.
C’est un saut stratégique, certes. Mais c’est aussi, peut-être, la dernière chance pour la LFP de se réinventer, avant que l’écart avec les grandes ligues européennes ne devienne irréversible.
En refusant de choisir, en bricolant des compromis bancals avec des diffuseurs frileux, la Ligue a perdu du temps. Elle ne peut plus se contenter d’être dépendante. Elle doit devenir plateforme. Elle doit redevenir désir.
Et cela ne se fera pas sans une promesse claire au public.