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La tarification du carbone et ses répercussions

La tarification des émissions, axe central de la politique climatique européenne pour atteindre la neutralité carbone, se traduit par un risque de surcoût variable entre les différents secteurs industriels. L’impact attendu est très significatif pour plusieurs secteurs fortement émetteurs situés en amont des chaînes de valeur, même s’ils en répercutent une partie vers les producteurs intermédiaires et les consommateurs finaux.

 

L’investissement public et privé est un levier décisif pour réduire dès à présent l’impact socio-économique du surcoût carbone. Cela étant, tous les secteurs d’activité n’ont pas la même capacité à répercuter tout ou partie de ce coût dans leurs prix de vente, ni à absorber sans dommages la part qu’ils ne peuvent transférer. Partant de l’hypothèse d’une tarification homogène et généralisée des émissions industrielles européennes (ici, à 250 €/tCO2), cette étude cherche à évaluer l’exposition de l’ensemble des secteurs de l’économie française à ce surcoût. Notre analyse prend ainsi en compte les effets de répercussion tout au long des chaînes de valeur, avant les déplacements de l’offre et de la demande qui résulteront de ce surcoût (investissements dans de nouvelles technologies, substitutions, diminution de la demande, etc.).

Outre la demande finale, les secteurs fortement émetteurs apparaissent comme les plus significativement affectés. En d’autres termes, les effets de transfert sur les secteurs situés en aval des chaînes de valeur sont relativement limités. Autre résultat : les surcoûts de production induits par la tarification du carbone atteignent, pour certains secteurs, des niveaux préoccupants dès lors qu’ils sont rapportés au chiffre d’affaires ou à la marge courante. Ce travail permet donc de repérer les secteurs pour lesquels l’investissement public et privé apparaît comme le plus essentiel ou le plus urgent.

Nos experts prennent la parole

58 milliards d’€ soit environ 2,5 % du PIBMontant direct total résultant d’une hypothèse de tarification des émissions de carbone des installations françaises à hauteur de 250 €/tCO2.

 

Les effets sectoriels du prix du carbone

 

La tarification du carbone s’applique de prime abord aux secteurs fortement émetteurs, situés le plus souvent en amont des chaînes de valeur. Toutefois, l’impact réel de ce surcoût résultera de leur capacité à en répercuter tout ou partie à leurs clients (intermédiaires ou finaux) et à absorber sans dommages la partie qu’ils ne peuvent transférer.

Chaque entreprise peut en effet répercuter, plus ou moins aisément, une partie du coût du carbone dans son prix de vente afin de préserver son profit, mais au risque de perdre des clients ou en absorber une partie dans ses marges afin de préserver ses parts de marché. Cette capacité de répercussion dépend du type de marché où elle opère, de l’intensité de la concurrence, de la façon dont le coût marginal de production varie avec la quantité fabriquée et des réactions de la demande face à une augmentation du prix de vente. En outre, chaque entreprise est également soumise à la répercussion du prix du carbone par ses fournisseurs.

En calculant ces effets en cascade, on peut donc mesurer un « risque de surcoût » lié au prix du carbone pour chaque secteur. Ce « risque » ne correspond pas nécessairement à ce qui sera effectivement payé par les entreprises, qui dépendra in fine de leurs efforts de décarbonation, des effets de substitution entre secteurs et de l’évolution globale de l’offre et de la demande, toutes choses en partie déclenchées par ce risque de surcoût (et par d’autres paramètres tels que l’inflation et son acceptabilité, la compétitivité des entreprises face à la concurrence, le coût d’opportunité relatif des investissements bas carbone et le soutien à l’investissement).

Les ménages subissent un peu moins de la moitié du surcoût lié au carbone et les secteurs fortement émetteurs restent les plus significativement touchés.

L’application d’un prix de 250 €/tCO2 aux émissions des entreprises françaises représente un montant total de 58 milliards d’euros. Ce coût est réparti entre les différents secteurs nationaux, les consommateurs français et les acheteurs étrangers, via la répercussion en cascade des coûts dans les prix de vente.

In fine, les ménages assument un peu moins de 40 % de ce surcoût. Les secteurs fortement émetteurs sont eux aussi très significativement affectés, même après avoir répercuté une partie du surcoût du carbone dans leurs prix de vente. Par exemple, ce coût représenterait jusqu’à 18 % du chiffre d’affaires du secteur aérien et 9 % de celui des fabricants de ciment, de verre et des autres produits minéraux non métalliques.

Les secteurs situés en aval paient un coût du carbone qui dépasse certes celui de la simple tarification de leurs émissions directes, mais qui reste toutefois inférieur à celui payé par les grands émetteurs, même après transfert. Dans le cas de la fabrication de papier et de produits en papier par exemple (en aval du secteur de l’exploitation du bois), le surcoût de production passe ainsi de 3,3 % à 4,6 % du chiffre d’affaires lorsque les effets de répercussion sont pris en compte.

En l’absence de mesures de décarbonation efficaces, le coût sera partagé par tous.

Surcoût carbone des 5 secteurs français les plus fortement émetteurs selon leur niveau d’émissions en 2018 (en part du chiffre d’affaires) avant et après répercussion

Source : Données WIOD (tables entrées-sorties 2014) et Eurostat (niveaux d’activité et d’émission 2018), calculs Deloitte.

On mesure mieux encore l’importance de ce surcoût en le rapportant à l’excédent brut d’exploitation (EBE) de chaque secteur. Dans le cas des métaux de base et des produits minéraux non métalliques, il dépasse 100 % de l’EBE, même après répercussion. Si cette exposition au risque ne préjuge pas du coût réel assumé à terme par les entreprises concernées, son évaluation permet d’apprécier l’urgence des investissements à mettre en œuvre.

Soutenir l’investissement décarboné

 

En anticipation des futures hausses du prix des émissions, les entreprises des secteurs concernés peuvent mettre en place des stratégies de décarbonation afin de réduire leurs émissions et donc les coûts induits. Une entreprise a intérêt à mettre en œuvre une technologie donnée dès lors que le coût d’abattement (le ratio entre le coût du projet d’investissement et le volume des émissions ainsi évitées) est inférieur au prix du carbone en vigueur, réduisant ainsi son exposition et celle de ses utilisateurs au coût du carbone.

Par exemple, selon une étude de la Energy Transitions Commission, il est possible de produire un acier décarboné pour un coût de la tonne de CO2 évitée de $120 et un prix de l’électricité à $70/MWh. Ce seuil peut même être abaissé à $70-80 la tonne de CO2 évitée si une électricité décarbonée est disponible à un coût moins élevé (autour de $40/MWh). Notons que cette transformation des procédés conduirait à une augmentation du prix de la tonne d’acier d’environ 20 % et de celui d’une voiture d’environ 1 % (Energy Transitions Commission, 2018, 2019, McKinsey & Company, 2019).

D’autres secteurs pourraient toutefois être confrontés à des coûts d’abattement durablement supérieurs au prix du carbone en vigueur. Ces derniers seraient alors exposés à des niveaux de tarification affaiblissant leur capacité d’investissement voire, dans certains cas, mettant leur survie en question.

À l’autre bout du spectre, cette tarification des émissions de carbone induit également le renchérissement de nombreux biens de consommation, soulevant la question de son acceptabilité sociale et de l’usage de ses recettes. Celles-ci pourraient donc être redirigées pour soutenir les investissements bas carbone et la consommation de biens peu carbonés. Un juste équilibre doit ainsi être trouvé pour inciter à réduire les émissions, tout en préservant les ménages les plus modestes.

La tarification des émissions, axe central de la politique climatique européenne pour atteindre la neutralité carbone, se traduit par un risque de surcoût variable entre les différents secteurs industriels. L’impact attendu est très significatif pour plusieurs secteurs fortement émetteurs situés en amont des chaînes de valeur, même s’ils en répercutent une partie vers les producteurs intermédiaires et les consommateurs finaux. L’investissement public et privé est donc un levier décisif pour réduire dès à présent l’impact socio-économique du surcoût carbone

 

¹Plus précisément, à toutes les entreprises des pays adhérant au marché européen du carbone, qui couvre à la fois les États-membres de l’Union européenne mais également le Royaume-Uni et la Norvège. La base de données n’identifiant pas spécifiquement l’Islande et le Liechtenstein, ces pays ne sont pas inclus dans la modélisation.

²Dans le cadre de la modélisation utilisée, l’intégration d’un ajustement carbone aux frontières aurait signifié d’appliquer un prix du carbone à l’ensemble des échanges et pas seulement aux importations vers l’Europe.

Energy Transitions Commission (2018), « Mission Possible : Reaching net-zero carbon emissions from harder-to-abate sectors by mid-century ».

Energy Transitions Commission (2019), « Mission Possible : Reaching net-zero carbon emissions from harder-to-abate sectors by mid-century. Sectoral Focus Steel ».

McKinsey & Company (2018), « Decarbonization of industrial sectors : the next frontier ».

World Bank (2021). Carbon Pricing Dashboard. Site consulté le 9 février 2022.