En 2016 débutait une période de 8 ans durant laquelle la Métropole du Grand Paris a connu une dynamique exceptionnelle de production de bureaux neufs ou restructurés. Cette page semble s’être refermée cet hiver 2024, avec un encours qui est repassé sous la moyenne des 20 dernières années (1,6 million de m²). Dans un contexte de marché francilien sur-offreur (plus de 5 millions de m² vacants), d’aucun pourrait considérer qu’un tel retour à la normale de la construction, permettra de rééquilibrer les niveaux d’offre neuve et seconde main à moyen terme. Pour autant, cette nouvelle édition préfigure surtout des déséquilibres géographiques à venir entre sous-secteur.
L’année 2024 sera marquée par un volume de livraisons historique avec plus de 1,14 million de m², résultat de plusieurs vagues de mises en chantier importantes entre 2020 et 2022 : 33 chantiers par an ont été lancés sur cette période contre 26 en moyenne. Par ailleurs, plusieurs chantiers de grande surface ont été livrés comme Arboretum (112 000 m²) ou Altiplano (55 000 m²). Malgré 418 000 m² achevés sur les six derniers mois, l’encours n'a pour autant que très faiblement diminué (3%). Cette stabilité s’explique par un sursaut du secteur le plus résilient de la Métropole : Paris intra-muros. Historiquement perçu comme secteur refuge du fait de son activité locative non comparable avec les autres secteurs, la capitale représentait traditionnellement une part minoritaire de l’encours métropolitain. En effet, les chantiers y sont de plus petites surfaces et les grands projets d’infrastructures des dernières années avaient favorisé l’éclosion d’autres territoires encore vierges d’immobilier tertiaire comme St Ouen, St Denis ou Nanterre Préfecture. Entre mars et octobre 2024, un volume inédit de lancements ont eu lieu dans Paris (293 000m²) venant compenser plus des 2/3 du volume livré sur toute la Métropole.
Ce regain d’activité de Paris intra-muros traduit simultanément la prudence des investisseurs et la nécessité de transformation de l’offre de bureaux neuve pour s’adapter à une demande qui s’est métamorphosée ces dernières années, exigeant une centralité accrue, un environnement plus urbain, des services repensés, un confort moderne et des surfaces unitaires plus réduites et modulables. Cette inadéquation entre offre et demande souligne également une caractéristique clé du marché de bureaux en Île-de-France : il s'agit d'un marché de « taux bas », où seuls les actifs prime parviennent à trouver preneur, ce qui interroge sur la capacité du marché à absorber une offre moins qualitative.
Cette dynamique met donc en lumière la situation difficile des secteurs non prime, où la suroffre et l’évolution des attentes des utilisateurs renforcent les déséquilibres du marché. Le Secteur des Affaires de l’Ouest et le reste du département des Hauts-de-Seine en sont des exemples frappants, avec une activité en berne (-160 000 m² sur six mois) et un taux de disponibilité des surfaces dépassant 80% (+16% par rapport à l’année précédente). Dans ce contexte, l’avenir de ces secteurs sera à observer avec attention, tant ils risquent de souffrir de la concurrence des secteurs prime. Cette remise en question du modèle de ces quartiers concerne aussi le Nord et l’Est parisien dont l’activité semble fortement ralentir après l’engouement de la fin des années 2010 et l’annonce du Grand Paris Express. De fait, le délai estimé par BPCE Solutions Immobilières pour absorber les surfaces de bureaux disponibles en Péri-Défense s’élève à sept ans et demi, une durée qui illustre les profondes mutations du marché immobilier tertiaire.
La Défense met en lumière aussi parfaitement cette situation. Pourtant plus grand quartier d’affaires d’Europe, aucun nouveau projet n’y a été lancé récemment, reflétant un manque de confiance des investisseurs. Le taux de vacance s’approche des 20% et concerne essentiellement les actifs non primes du territoire : immeubles obsolètes ou dont la localisation est non optimale. Cependant, l’accessibilité du quartier reste son principal atout et il y a fort à parier que la demande placée restera soutenue ces prochains mois, aux dépens des zones Péri-Défense.
Face à ce déséquilibre, les lancements « en blanc » (sans pré- commercialisation) se font plus rares. Ils se limitent désormais aux petites surfaces situées dans des zones centrales ou à des projets bénéficiant de partenariats publics, comme les Grandes Serres de Pantin. Cette évolution souligne la prudence accrue des investisseurs, qui privilégient les projets sécurisés par un bail, ainsi qu’une stratégie financière mesurée, visant à limiter les risques et l’exposition.
Ces transformations du marché sont donc la résultante de mécanismes conjoints entre des investisseurs qui souhaitent limiter le risque en se
concentrant sur le coeur de Paris et des utilisateurs qui bénéficient d’un volume d’offre exceptionnelle, à des prix records. Cette dynamique met en
lumière une problématique persistante concernant l’avenir des zones de bureaux périphériques de la métropole, un enjeu déjà soulevé depuis plusieurs années mais qui s’intensifie face aux mutations actuelles du marché. À cela s’ajoute une concurrence inattendue : dans certaines communes comme Puteaux ou Suresnes, les prix de cession des logements neufs rivalisent désormais avec ceux des bureaux de première main, poussant à repenser l’usage de ces bureaux vacants.
Le modèle des actifs de bureaux monofonctionnels semble s'essouffler. Ces espaces, autrefois symboles de dynamisme économique, peinent aujourd'hui à trouver preneur. La reconversion vers d’autres typologies d’actif apparaît comme une alternative crédible, portée par une demande immobilière toujours soutenue. Le marché francilien traverse une période charnière. Alors que Paris maintient son attractivité, les zones périphériques cherchent un nouveau souffle. Cette transformation reflète les évolutions profondes et a priori pérennes du monde du travail et de l'urbanisme. Entre résilience de Paris et essoufflement des zones périphériques, il reflète une dynamique qui ne cesse de redessiner les contours de la ville. L’enjeu est clair : transformer cette crise en opportunité pour répondre aux défis économiques, sociaux et urbains qui s’imposent.
C’est dans ce contexte que nous sommes heureux, pour le 20e anniversaire du Paris Crane Survey, d’inaugurer notre nouvelle approche. Désormais l’étude s’intéressera au cycle de vie des surfaces de bureaux, de leur création (construction neuve ou réhabilitation) à leur reconversion.
Cette reconversion, parfois pensée comme la solution miracle à plusieurs
maux de nos territoires urbains, s’avère souvent être d’une grande complexité. La structure des actifs, les exigences environnementales, les normes juridiques et fiscales, la localisation sont autant de freins à ces reconversions d’actifs de bureaux. Toutefois, près de 9 000 logements ont été créés à partir de locaux d’activité à Paris entre 2013 et 2022, soit 900 par an. L’étude actuelle recense un volume en cours de transformation en logement de 25 000 m² soit 330 logements, et 10 000 m² livrés en 2024 soit 140 logements environ, un volume bien en-deçà de ce qui a été observé ces dernières années.
Les dynamiques observées à l’échelle de la Métropole mettent en lumière les spécificités de chaque territoire à accueillir de nouvelles activités économiques. Si Paris intra-muros est plus à même d’accueillir des activités touristiques (30% des surfaces de bureaux reconverties le sont en hôtels), les territoires de proche banlieue offrent plus d’opportunités aux bailleurs dans le développement de logements (25%). De fait, les politiques publiques incitatives demeurent un des principaux leviers pour dépasser les freins à la reconversion des actifs obsolètes.