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Les défis du passage à la mobilité électrique

1 million de véhicules électriques en France, est-ce vraiment l’enjeu ?

A l’occasion de l’annonce du plan de soutien à l’automobile en mai dernier, le gouvernement a fixé l’objectif d’un million de voitures propres (électriques et hybrides rechargeables) assemblées en France d’ici 2023. Face au défi que représente le véhicule électrique, il faut à l’évidence définir une ambition mais cet objectif symbolique est-il suffisant ? Prend-il réellement en compte la transformation fondamentale qu’implique le passage du thermique à l’électrique ?

 

Les scénarios d’évolution à 2035 du marché de l’automobile établis par Deloitte en juillet dernier1 donnent un aperçu de l’ampleur des changements à venir. En Europe par exemple, le scénario central prévoit une stagnation des revenus issus des seules ventes de véhicules sur les 15 prochaines années, la croissance étant exclusivement portée par les services de mobilité et les services financiers amenés à représenter ensemble un quart des revenus de l’industrie - respectivement 15% et 10 % - d’ici à 2035.

 

Sur la même période, la proportion de motorisations propres (électriques et hybrides) dans les véhicules neufs devrait passer de quelques pourcents aujourd’hui à 35% et la part de véhicules équipés detechnologie de connectivité V2X atteindre près de 30% modifiant profondément la structure de coût des véhicules.

L'organisation même de l'industrie va changer.

 

L’arrivée de la mobilité électrique redéfinit le paysage de l’automobile en rapprochant au sein d’un même écosystème trois chaînes de valeur autrefois relativement distinctes : celle de l’énergie (de la production d’électricité aux services de charge en passant par la production de bornes), celle du véhicule (de la batterie à l’assemblage) et celle des services (des financements à la gestion de flotte).

 

Pour les acteurs traditionnels de ces trois chaînes de valeur – qu’ils soient constructeurs, énergéticiens ou loueurs par exemple – comme pour les nouveaux acteurs, de Tesla à Amazon, il ne s’agit donc plus de naviguer en solitaire face à ses concurrents. L’enjeu est désormais d’anticiper la répartition de la valeur entre les trois chaînes de valeur de l’écosystème et, à l’intérieur de chacune de ces chaînes, entre les différentes étapes qui la composent, en fonction de ses compétences et capacités financières. L’objectif est ainsi de se positionner au mieux sur les « poches à valeur ajoutée » qui sont accessibles afin de développer un business model soutenable et d’être le partenaire de choix des autres acteurs de l’écosystème.

 

Dans ce nouveau contexte, chaque acteur se retrouve désormais face à une nouvelle concurrence multidimensionnelle et les adversaires d’aujourd’hui peuvent être les alliés de demain pour assoir le rôle d’une étape de la chaîne de valeur ou d’une chaîne contre une autre, pour imposer un standard ou encore pour amortir des coûts d’investissement sur une base plus large. Les modèles d’interaction doivent aussi évoluer pour passer du modèle vertical traditionnel client-fournisseur à des modèles hybrides de coopération ou de coopétition où chaque partenaire a intérêt au renforcement de la position concurrentielle de l’autre.

 

Certains acteurs ont déjà commencé àopter pour une stratégie d’intégration verticale en entrant sur des marchés adjacents à leur activité initiale. C’est le cas notamment de Tesla, qui, en quelques années, s’est positionné à la fois en amont et en aval de la production de véhicules électriques en déployant son propre réseau de bornes de recharge, en maîtrisant les logiciels de managementde batterie et de gestion des réseaux d’électricité, en travaillant sur la gestion de flotte, les technologies de charge bidirectionnelle, le sujet du recyclage des batteries et la production d’électricité renouvelable. Tesla, qui testait depuis quelques temps des services d’assurance pour ses utilisateurs, se dit prêt désormais à créer une toute nouvelle société dédiée à ces services.

 

BYD, autre acteur majeur du secteur, a mis en place un modèle d’intégration verticale qui lui permet de maîtriser la production de véhicule électrique, de l’extraction des matières premières (participation dans des activités minières) jusqu’au recyclage et à la fin de vie des batteries. L’entreprise chinoise se positionne également sur les bornes de recharges et les services additionnels.

 

Enfin, l’énergéticien Total a investi dans la production de batterie notamment via sa filiale SAFT, installe des bornes de recharge rapide dans son réseau de stations services et envisage d’entrer sur le marché des services de mobilité.

Trois chaînes de valeur : une mutation profonde et rapide

 

La production d’électricité renouvelable, la gestion du réseau électrique (Smart Grids), la production et l’exploitation de réseaux de bornes de recharges intelligentes et standardisées deviennent les nouveaux maillons clé de la chaîne de valeur de l’énergie.

Le véhicule électrique modifie également en profondeur la production automobile, à travers les défis que posent aux constructeurs l’approvisionnement en matière première (métaux critiques) et la part croissante de la valeur représentée par la batterie et les logiciels (système de management des batteries et services intégrés dans le véhicule) au détriment de la motorisation.

Enfin, davantage encore qu’avec un véhicule thermique, les services associés aux véhicules électriques constituent des éléments essentiels : le financement, compte tenu du prix élevé des véhicules électriques et de l’incertitude quant à leur dépréciation ; les services de gestion de flottes permettant d’optimiser la durée de vie et la valeur des batteries ; les services de charges et de stockage d’électricité (V2G) ; les services de mobilités (MaaS) et enfin la capacité à gérer la seconde de vie des batteries et à les recycler.

Les acteurs innovants cherchent à se positionner sur plusieurs maillons des trois chaînes de valeur

Le point commun entre ces trois acteurs ?

 

Une marge de manoeuvre financière leur permettant d’investir en parallèle sur les trois chaînes de valeur. D’autres acteurs, dont nombre de constructeurs automobiles traditionnels, vont nécessairement devoir faire des choix plus contraints…A cet égard, deux « poches à valeur ajoutée » nous apparaissent comme particulièrement stratégiques : les bornes de recharges et les systèmes de gestiondes batteries (BMS).


Le développement de réseaux de bornes de recharge suffisamment denses et adaptés aux usages est en effet une condition préalable à l’adoption massive du véhicule électrique. Les constructeurs automobiles, les énergéticiens et les collectivités publiques sont amenés à se positionner sur ce marché et vont devoir probablement coopérer afin de développer un réseau cohérent, rentable et standardisé. Certains segments semblent particulièrement attractifs pour les acteurs privés, comme celui des chargeurs rapides positionnés sur les axes autoroutiers.


Autre élément stratégique : la maîtrise des « Battery Management Systems », notamment de leur partie « logiciel ». En effet, ce sont ces systèmes qui permettent d’améliorer les performances des batteries et d’en optimiser la durée de vie. Les constructeurs et les gestionnaires de flottes de véhicules électriques auraient par exemple intérêt à collaborer davantage avec les entreprises de technologie telles qu’IBM ou Google ou des équipementiers comme Bosch pour codévelopper des outils de management de la batterie dans le cloud permettant de collecter en temps réel des données d’une large flotte de véhicules électriques. Ces données pourraient garantir la valeur des batteries après plusieurs années d’utilisation et créer un modèle d’affaire viable pour la seconde vie de ces batteries.


Les exemples des bornes de charge et des BMS mettent en lumière le véritable enjeu de la mobilité électrique à l’heure de la maturité : l’échelle. Effets de réseau pour les bornes de charges, coûts de développement pour les logiciels du BMS ou économies d’échelle dans la production de batteries… pour des raisons différentes, la course à la taille est fondamentale dans l’ensemble des segments clés. Il ne restera pas de place pour les acteurs trop petits, ni pour ceux qui n’auront pas su construire les alliances nécessaires à temps. Assumer des choix clairs, dégager d’importantes capacités d’investissement, trouver des alliés pour mener bataille et cela sans délai : voilà le vrai défi !

 

1 Deloitte, Future of Automotive Sales and Aftersales, https://www2.deloitte.com/global/en/pages/consumer-business/articles/future-of-carsales-in-2035.html?id=gx:2em:3int:4Auto_Aftersales_2020

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