Le rôle du conseil d’administration dans l’innovation
Chairman OM Pharma et Neuen Zürcher Zeitung (NZZ).Etienne Jornod a grandi à Neuchâtel, a effectué un apprentissage de droguiste et a étudié l’économie d’entreprise à la HEC Université Lausanne (lic.oec.), avant de continuer sa formation en suivant le Senior Executive Program à Stanford (USA).
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Toute sa carrière s’est déroulée au sein du Groupe Galenica, qui a pris le nom de Groupe Vifor Pharma en 2017. Il a occupé les fonctions de Président Exécutif du Conseil d’administration à partir de 1996. En mai 2020, Etienne Jornod a quitté ce mandat pour se consacrer à un nouveau projet : avec des partenaires de longue date, il a racheté à l’automne la société genevoise de biotechnologie OM Pharma à Vifor Pharma et occupe depuis lors la fonction de Président Exécutif du conseil d’administration de l’entreprise. Etienne Jornod est également Président d’honneur de Galenica et de Vifor Pharma. Depuis 2013, Etienne Jornod est Président du conseil d’administration de la NZZ et met en œuvre avec succès une nouvelle stratégie basée essentiellement sur l’édition.
swissVR Monitor: Que signifie pour vous le terme « innovation » ?
Etienne Jornod: C’est la faculté qu’a une entreprise de se remettre en question dans tous les domaines afin de rester compétitive et de s’imposer sur le marché.
swissVR Monitor: Sous quelle forme un conseil d’administration, et en particulier un président de conseil d’administration comme vous, doit-il aborder le processus d’innovation dans l’entreprise ?
Etienne Jornod: En droit suisse, le Conseil d’administration est notamment responsable de la stratégie, qu’il peut déléguer au management. Il en reste cependant le responsable final. Dans mes expériences de VRP NZZ, Executive Chairman Vifor Pharma ou Chairman & CEO du Groupe Galenica, je me suis toujours senti pleinement responsable de la stratégie et par conséquent de l’innovation. J’ai fait partager cette responsabilité par tout le Conseil et nous avons toujours eu des Conseils très entrepreneurials. Innovation et stratégie sont intimément liés. L’innovation est décisive dans le processus stratégique, pour s’imposer sur un marché.
Prenons l’exemple de la NZZ. La première tâche du nouveau Conseil d’administration en 2013 a été de définir le positionnement stratégique de la NZZ : « Nos prestations doivent atteindre un niveau d’excellence tel que nos clients (Nous avons défini le lecteur comme étant notre principal client, avant même l’annonceur publicitaire – ce fut une vraie remise en question et de facto la première révolution !) soient prêt à payer un prix relativement important (premium par rapport au marché) pour y accéder. Ce prix doit être suffisamment élevé pour nous permettre d’en vivre. Comme véhicule de nos produits vers nos clients, nous utilisons en particulier la digitalisation, avec priorité sur le « digital first » et même « mobile first », ce qui veut dire que les textes doivent être conçus pour être lus sur un smartphone… ».
Cette approche a été fondamentalement différente de celle choisie par beaucoup d’éditeurs, qui achetaient des plateformes digitales pour financer indirectement leurs médias. Nous avons ensuite cherché un CEO qui comprenne et partage notre vision complètement innovante, ainsi que des Rédacteurs en chef qui acceptent à 100% la stratégie « Fokus Publizistik » et « Digital first ». A ce propos, je me rappelle notamment du voyage aux Etats Unis que j’ai fait avec notre Rédacteur en chef Eric Gujer. Les moments décisifs ont été notre discussion avec Martin Baron, Rédacteur en chef du Washington Post, qui a insisté sur l’accès illimité aux technologies comme étant l’apport clé de Jeff Bezos. Au New York Times, c’est le concept stratégique global qui nous a convaincus. Ces deux exemples montrent parfaitement que des choix innovants simples et clairs ont des impacts décisifs sur une entreprise. C’est le cas de la NZZ: depuis 9 ans que cette transformation est en cours, nous avons d’abord stabilisé les ventes d’abonnements qui baissaient comme partout ailleurs, puis nous avons commencé de gagner des parts de marché pour atteindre des niveaux records jamais atteints.
swissVR Monitor: Comment le conseil d’administration peut-il promouvoir activement l’innovation ?
Etienne Jornod: Sans changement, donc sans innovation, jamais nous n’aurions pu redresser la Business Unit NZZ qui était dans le rouge et qui est maintenant clairement profitable. Dans ce cadre stratégique large mais bien défini par le Conseil, la Direction et la Rédaction ont toute liberté pour laisser libre cours à leur créativité, esprit d’entreprise, faculté d’innovation, avec comme restriction évidente le respect des budgets. Le rôle du Conseil est ensuite de challenger ces initiatives. Pour cette raison, le rôle des CEO et Rédacteurs en chef est absolument crucial. Je sais qu’ils aiment beaucoup cette liberté.
swissVR Monitor: Comment le conseil d’administration peut-il créer une bonne culture de l’innovation dans l’entreprise ?
Etienne Jornod: Je répondrai à cette question par l’expérience vécue chez Vifor. Nous avons compris que l’anémie ferriprive était une maladie très grave existant sous plusieurs formes et nous avons décidé que ce serait le domaine dans lequel nous nous développerions. Nous avons mis des montants importants en dépenses R&D et en Marketing et avons systématiquement prôné le « droit à l’erreur » et la limitation des processus. Nous avons créé une véritable culture d’entreprise innovatrice. Cela a très bien fonctionné jusqu’à ce que l’entreprise devienne la 3ème plus grande Pharma de Suisse, avec une valorisation boursière de plus CHF 12 milliards. Dès ce moment, avec la multiplication des cadres venant des grandes entreprises, c’est devenu un « combat » de plus en plus difficile. Maintenir la culture entrepreneuriale dans le cadre d’une forte croissance est extrêmement difficile. La responsabilité et l’exemple à donner commencent par le Chairman, Board, CEO, EC, etc.
swissVR Monitor: Quels sont les principaux défis et obstacles à l’innovation dont un conseil d’administration doit être conscient ?
Etienne Jornod: Il faut d’abord savoir écouter car on n’est jamais seul à avoir raison. Ensuite, dès que l’on a pris une décision, il faut avoir une volonté de fer pour la réaliser, car il y aura toujours beaucoup de forces contraires. Pour cela, il est essentiel d’avoir des Membres de Conseil d’administration et de Directions modestes et à l’écoute des autres, mais aussi très forts. Les erreurs stratégiques et culturelles sont souvent les faits de gens qui se cachent derrière les processus, qui n’écoutent pas, qui n’ont pas de ligne, en fait des « faibles ». Choisir les bonnes personnes est extraordinairement difficile.
swissVR Monitor: Comment un conseil d’administration doit-il s’organiser en interne pour soutenir l’innovation dans l’entreprise ?
Etienne Jornod: Le sujet de la stratégie et de l’innovation doit figurer régulièrement à l’ordre du jour, au minimum lors de la Retraite du Conseil (séance annuelle de 2 jours). Mais en fait c’est une question d’attitude quotidienne permanente, en fait de culture d’entreprise !