Les critères, la détermination et l’avenir de la rémunération du CA
Manuel Leuthold est titulaire d’un master en économie et d’un master en droit de l’Université de Genève. Après ses études, il a travaillé pendant 27 ans à l’UBS, où il a occupé différents postes. En tant que membre du Comité exécutif d’UBS Suisse, il a notamment dirigé le département suisse en charge des clients institutionnels et des grandes entreprises. Par la suite, il a occupé le poste de Chief Administrative Officer au sein du groupe Edmond de Rothschild pendant environ quatre ans. Depuis 2016, Manuel Leuthold est membre indépendant de plusieurs conseils d’administration. Il est notamment président des conseils d’administration de compenswiss (le Fonds de compensation AVS/AI/APG) et de la Banque cantonale de Genève. Il exerce en outre d’autres mandats dans plusieurs entreprises et organisations.
swissVR Monitor : Selon vous, quels sont les critères les plus importants en matière de rémunération (par ex. le temps consacré, les responsabilités, les risques) ?
Manuel Leuthold : L’élément le plus important pour définir la rémunération du CA est la responsabilité liée à la fonction. Cette responsabilité dépend principalement des risques que ses membres doivent prendre. Le niveau de risque varie fortement en fonction de plusieurs critères : la taille de l’entreprise (chiffres d’affaires et bilan), le niveau d’endettement, le type d’activités exercées, le nombre de salariés, le pays dans lequel l’entreprise opère, le cadre juridique et règlementaire ou la nature même de la société (est-elle indépendante ou fait-elle partie d’un groupe offrant soutien et conseils ?). Les sociétés cotées en bourse posent un risque et des contraintes plus importants pour les membres du conseil. Le temps consacré au mandat d’administrateur/trice et le périmètre d’activité (la participation à des comités, les fonctions supplémentaires telles que secrétaire, président, vice-président) devraient également être pris en compte. Enfin, il faut prendre en considération le fait que, en particulier pour les petits mandats de CA, les administrateurs/trices ne peuvent siéger dans plusieurs conseils d’administration du même secteur d’activité en raison de potentiels conflits d’intérêts.
swissVR Monitor : Selon vous, quel rôle jouent les objectifs à long terme en matière de rémunération du CA liée aux résultats, par exemple dans le domaine du développement durable et en matière de critères ESG ?
Manuel Leuthold : Je pense que l’objectif à long terme du conseil d’administration est de créer de la valeur pour les actionnaires. Si cet objectif de création de valeur est parfaitement compris, alors il doit inclure toutes les parties prenantes et toutes les autres dimensions capitales sur le long terme. À titre d’exemple, on peut évoquer le respect des lois et des réglementations, les problématiques environnementales, la motivation des collaborateurs, le recrutement des talents, le fait d’orienter nos activités en fonction des clients et de leurs besoins, l’action auprès des communautés, et la création d’une culture positive et solide fondée sur des valeurs. La répartition des bénéfices entre les actionnaires, les employés, l’État (impôts), les clients et la communauté, est l’une des tâches les plus importantes et les plus difficiles du conseil.
Une manière saine et fiable d’inclure une dimension variable à la rémunération du CA, fondée sur une vision durable et sur le long terme, est d’offrir à ses membres l’opportunité d’acquérir chaque année un nombre fixe d’actions de l’entreprise à coût réduit. Les membres qui ne misent pas sur l’avenir de l’entreprise ne participeront pas et partiront tôt ou tard. Les autres devront utiliser leur propre argent, prouver leur engagement et travailler dur pour faire prospérer l’entreprise !
swissVR Monitor : Dans l’entreprise, qui devrait être chargé de déterminer le montant de la rémunération du CA ?
Manuel Leuthold : Le conseil doit se faire lui-même une idée de ses responsabilités, de son expertise, et de sa charge de travail. Il doit également réaliser une étude de marché pour aligner son système de rémunération sur celui de concurrents comparables. Un modèle (si possible, simple) qui concilie les intérêts à long terme des membres du conseil et ceux de l’entreprise doit être défini et présenté à l’assemblée générale ou aux actionnaires.
swissVR Monitor : Selon vous, qui, dans l’entreprise, est (le mieux) à même de prendre la décision finale concernant le montant de la rémunération du CA ?
Manuel Leuthold : La réglementation exige de plus en plus que le modèle de rémunération et les enveloppes salariales prévues pour le conseil et l’équipe dirigeante soient validés chaque année par l’assemblée générale des actionnaires. En Suisse, la révision du Code des obligations inclut ces éléments depuis le 1er janvier 2023.
swissVR Monitor : Si vous tournez votre regard vers l’avenir, comment, à votre avis, les systèmes de rémunération des membres de conseils d’administration évolueront-ils ?
Manuel Leuthold : Je ne pense pas que les modèles et les niveaux de rémunération changeront drastiquement au niveau mondial. Mais le marché est en évolution. À l’heure actuelle, le recrutement des membres de conseils d’administration est plutôt axé sur la diversité. De mon point de vue, à l’avenir, l’accent sera remis sur le professionnalisme et ce, afin de mieux gérer la complexité croissante et de mieux comprendre les différents modèles commerciaux des entreprises, les secteurs d’activité dans lesquels elles opèrent, les contraintes juridiques et réglementaires (notamment la dimension transfrontalière), les composantes financières et les risques. J’espère aussi que le statut de membre de conseil sera plus largement reconnu comme une profession à part entière plutôt que comme une activité secondaire à temps partiel. Enfin, aussi longtemps que le marché du travail sera sous tension, la pénurie d’administrateurs/trices expérimenté(e)s entraînera probablement une hausse des rémunérations.