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Vieillissement de la Suisse : les facteurs que les entreprises doivent intégrer pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050

Ces dernières années, la Suisse et les entreprises qui y sont implantées ont réalisé des progrès considérables sur la voie de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Toutefois, dans certains domaines, le vieillissement de la population du pays pourrait bien compromettre les futures baisses de réduction des émissions avec, à la clé, le risque d’un ralentissement de la progression d’un certain nombre de secteurs vers l’objectif zéro net. Les entreprises sont donc appelées à évaluer l’impact du vieillissement démographique sur leurs émissions et, le cas échéant, à intensifier leurs efforts pour plus de durabilité.

Au cours de ces dernières décennies, la Suisse a pris des mesures importantes pour renforcer sa durabilité. Dans le sillage de l’Accord de Paris de 2015 et de sa ratification en 2017, le Conseil fédéral s’est fixé pour objectif en 2019 la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) à zéro net à l’horizon 2050. En janvier 2021, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a publié son document « Stratégie climatique à long terme de la Suisse » ; par ailleurs, le 18 juin 2023, 59 % du corps électoral du pays a voté en faveur de la loi sur le climat et l’innovation, gravant ainsi dans le marbre l’objectif de zéro émission nette.

L’objectif zéro émission nette visé par la Suisse d’ici à 2050 consiste à limiter les émissions de GES dans l’atmosphère à un niveau inférieur ou égal à celui des GES absorbés et stockés naturellement ou par des moyens technologiques. Cet objectif ne s’applique pas uniquement au dioxyde de carbone (CO2), mais à tous les gaz à effet de serre réglementés au niveau international, tel que le méthane. L’objectif est également conforme à l’Accord de Paris, dans la mesure où il réglemente les émissions à l’intérieur des frontières suisses selon le principe de territorialité applicable à l’ensemble des secteurs couverts par l’inventaire des gaz à effet de serre, y compris l’énergie et la production d’énergie, les processus industriels et l’utilisation des produits industriels, de même que l’agriculture et l’utilisation des terres.

Pour résumer, l’objectif zéro émission nette signifie que d’ici 2050, les entreprises et les ménages suisses devront avoir atteint la neutralité carbone. L’idée est que la réduction des niveaux d’émissions actuels requise pour atteindre cet objectif soit réalisée grâce aux progrès technologiques. Dans le même temps, cet objectif tient compte du fait que certains secteurs, tels que la production alimentaire ou la fabrication de ciment, ne seront pas totalement exempts d’émissions en 2050 (cf. la « Stratégie climatique à long terme de la Suisse »). Dans ces secteurs, il est prévu de recourir à la séquestration du carbone à proximité de la source d’émission, associée à son stockage ou à sa réutilisation.

La Stratégie climatique à long terme de la Suisse définit la voie à suivre pour atteindre la neutralité carbone en définissant des objectifs et des défis sectoriels. En 2022, trois secteurs de l’économie suisse étaient responsables à eux seuls de près des trois quarts des émissions territoriales, à savoir les transports à l'intérieur des frontières du pays (trafic routier, aérien, ferroviaire et navigation), les bâtiments (ménages privés et secteur des services) et l’industrie. La Stratégie climatique à long terme de la Suisse fixe également des objectifs pour les vols internationaux au départ de la Suisse, l’agriculture et la production alimentaire, les marchés financiers, le secteur des déchets et les GES synthétiques.

Une tendance positive sur le front des émissions de GES en Suisse

Au cours de ces dernières décennies, la Suisse a considérablement réduit ses émissions de gaz à effet de serre. Si en 1990, le volume total des émissions culminait à près de 54 millions de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2eq), ce chiffre a été ramené à environ 40 millions tonnes en 2023 (barre vert foncé), soit une baisse de près de 28%. En tenant compte de l’augmentation de la population suisse au cours de la même période (2023 : 8,8 millions ; 1990 : 6,7 millions), la réduction des émissions est encore plus significative (courbe jaune) : les émissions par habitant ont en effet chuté de 8,1 tonnes de CO2eq en 1990 à 4,5 tonnes en 2023, soit une réduction de plus de 40%. À titre de comparaison, les émissions par habitant en Suisse sont environ deux fois inférieures à la moyenne européenne, laquelle s’établit à 9,3 tonnes de CO2eq annuelles.

Malgré une réduction significative des émissions, le chemin est encore long avant d’atteindre l’objectif zéro net

Émissions de gaz à effet de serre totales (axe de gauche) et par habitant (axe de droite ; hors trafic aérien et maritime international) de la Suisse

Outre les émissions territoriales, la Suisse génère également des émissions hors de ses frontières dans le cadre de ses importations de marchandises. Si l’on tient compte des émissions liées aux importations, l’empreinte carbone par habitant du pays s’élève à un peu moins de 14 tonnes de CO2 par an (données 2022). Ce chiffre correspond à près du triple de la moyenne mondiale et demeure l’un des plus élevés au monde en termes d’empreinte carbone par habitant.

Si l’on prend en compte les seules émissions territoriales, la Suisse a atteint en 2022 l’objectif intermédiaire prévu, à savoir moins de 45 millions de tonnes d’équivalent CO2eq. Cette avancée constitue une étape intermédiaire positive. Par ailleurs, les réductions supplémentaires des émissions territoriales de gaz à effet de serre de la Suisse seront principalement dictées par l’évolution de trois facteurs : la population, la prospérité et le progrès technologique. L’accroissement de la prospérité stimule la consommation avec, typiquement, une hausse des niveaux d’émissions à la clé. Les progrès technologiques peuvent améliorer l’efficacité et réduire les émissions, mais aussi les accroître – un scénario qui se produit actuellement du fait de l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle. Sur fond d’accélération constante de l’évolution démographique se pose la question de l’impact du vieillissement démographique en Suisse sur l’objectif zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Le vieillissement de la Suisse a un impact sur l’évolution future des émissions et la réalisation de l’objectif zéro net

Selon les prévisions de l’Office fédéral de la statistique suisse, la catégorie d’âge qui connaîtra la croissance la plus rapide au sein de la population est celle des personnes âgées de 65 ans et plus. Cette catégorie devrait augmenter de plus de 40% d’ici à 2050, lorsqu’un quart de la population totale de la Suisse sera âgée de 65 ans ou plus. La deuxième catégorie d’âge à connaître la croissance la plus rapide devrait être celle des 40-64 ans, avec une croissance attendue de 12% sur la même période. Les catégories d’âge plus jeunes ne devraient connaître qu’une croissance marginale : en 2050, l’âge moyen de la population suisse sera par conséquent beaucoup plus élevé qu’à l’heure actuelle.

La catégorie des 65 ans et plus devrait être celle qui connaîtra la croissance la plus rapide

Population suisse par catégorie d’âge (en millions)

Étant donné les différences de modes de vie et d’habitudes de consommation existantes en fonction des catégories d’âge, le vieillissement de la population en Suisse aura une incidence sur les émissions futures de gaz à effet de serre. Par exemple, au fur et à mesure de notre vieillissement, notre empreinte environnementale tend à diminuer : selon une étude réalisée par Sotomo et Helion, les personnes entre 18 et 35 ans en Suisse affichent une empreinte carbone moyenne de 11,3 tonnes de CO2 par an, contre seulement 9,8 tonnes pour les plus de 55 ans. Toutefois, ces chiffres incluent à la fois les émissions nationales et les émissions importées et ne sauraient brosser un tableau exhaustif de l’incidence du vieillissement de la population sur les émissions territoriales de GES. C’est pourquoi nous nous attachons ici à la manière dont le vieillissement de la population suisse influe sur la demande dans les trois secteurs les plus émetteurs de GES (les transports, le bâtiment et l’industrie).

L’empreinte environnementale diminue avec l’âge

mpreinte carbone moyenne (tonnes de CO2) par catégorie d’âge

Des tendances claires dans les secteurs des transports et du bâtiment, mais un tableau en demi-teinte dans l’industrie

Le secteur des transports comprend le trafic routier, le trafic aérien intérieur (hors militaire), le rail, la navigation intérieure et le transport par pipeline. Étant donné que la mobilité diminue généralement avec l’âge, on peut raisonnablement s’attendre à ce que le vieillissement de la population se traduise par une diminution des émissions de GES liées à toutes les formes de transport. En Suisse, les 18-35 ans empruntent davantage la route, le rail et l’avion que les autres catégories d’âge ; leurs habitudes d’utilisation des moyens de transport génèrent ainsi des émissions moyennes de 4,2 tonnes de CO2 par an, contre 3,3 tonnes pour les 36-55 ans et seulement 2,7 tonnes pour les plus de 55 ans. La plupart des émissions liées aux transports aériens n’ont pas leur origine en Suisse et ne sont donc pas comptabilisées dans les émissions territoriales de gaz à effet de serre du pays. Il n’en demeure pas moins que l’empreinte carbone des individus diminue avec l’âge. Par conséquent, le vieillissement de la population aura tendance à réduire les émissions de carbone liées au secteur suisse des transports et favorisera ainsi la réalisation de l’objectif zéro net.

Le secteur du bâtiment inclut les émissions liées à la fois aux ménages privés et au secteur des services. Dans ce contexte, le vieillissement de la population devrait selon toute probabilité s’accompagner d’une hausse des émissions des ménages privés, étant donné que l’empreinte carbone moyenne liée au logement augmente avec l’âge. En effet, elle s’élève à 1,8 tonne de CO2 par an chez les plus de 55 ans, soit 20% de plus que chez les 36-55 ans (1,5 tonne de CO2 par an) et près de 30% de plus que dans la catégorie 18-35 ans (1,4 tonne). Il y a deux raisons principales à cela. Premièrement, les personnes âgées vivent souvent dans des logements plus grands, car même après le départ de leurs enfants du foyer, déménager pour un logement plus petit s’avère rarement avantageux d’un point de vue financier. Deuxièmement, les retraités passent généralement plus de temps à la maison et consomment donc plus d’énergie pour se chauffer, s’éclairer, faire la cuisine, etc. C’est pourquoi les foyers des retraités affichent des niveaux d’émissions plus élevés. Face à ce constat, le vieillissement démographique semble voué à augmenter les émissions de gaz à effet de serre et donc à entraver la progression vers la neutralité carbone.

L’impact de l’âge sur le secteur de l’industrie est plus difficile à établir que dans les deux autres secteurs. Même si l’empreinte carbone moyenne dans le domaine de l’alimentation et des autres biens de consommation est, de fait, un indicateur pertinent, les différences entre les catégories d’âge sont nettement moins marquées que dans les secteurs des transports et du bâtiment. Par ailleurs, l’alimentation et les autres biens de consommation proviennent en grande partie d’importations, lesquelles ne sont pas comptabilisées dans les émissions territoriales de la Suisse. De plus, les prévisions tablent sur une évolution des habitudes de consommation des plus de 55 ans d’ici à 2050. Ainsi, la part des divertissements, des loisirs et de la culture dans le panier de consommation des personnes âgées devrait croître de près de 50% (+45%) entre 2020 et 2050, tout comme celle de l’ameublement et des dépenses du ménage (+27%). Toutefois, la part des dépenses consacrées à l’alimentation et aux boissons non alcoolisées devrait reculer de près de 20% par rapport au niveau actuel (-19%). Des changements de cette nature auront à la fois une incidence négative et un impact positif sur les émissions totales, de sorte que les effets du vieillissement sur les émissions industrielles de gaz à effet de serre en Suisse sont mitigés.
 

Les plus de 50 ans de demain auront des habitudes de consommation différentes de celles de la même catégorie d’âge à ce jour

Évolution de la part des dépenses consacrées à une sélection de biens et de services d’ici à 2050 dans la catégorie d’âge des plus de 50 ans

Dans l’ensemble, le vieillissement de la population devrait avoir une influence notable sur les émissions territoriales et la réalisation de l’objectif zéro émission nette. Toutefois, l’ampleur de cette influence devrait varier d’un secteur à l’autre. Si les émissions devraient reculer dans le secteur des transports, le secteur du bâtiment devrait quant à lui enregistrer une hausse des émissions. Dans le secteur industriel, le vieillissement de la population devrait avoir des effets mitigés sur la réalisation de l’objectif zéro émission nette.

Les impacts décrits ci-dessus doivent inciter les entreprises à analyser les implications du vieillissement démographique pour leur propre secteur d’activité. Sur la base de cette analyse, elles seraient bien inspirées d’identifier les domaines d’activité dans lesquels elles se doivent de renforcer leurs efforts en matière de durabilité en vue d’atteindre l’objectif zéro émission nette à l’horizon 2050.

L’impact du vieillissement démographique sur la réalisation de l’objectif zéro émission nette varie en fonction des secteurs concernés

Recommandations d’action à l’intention des entreprises

Premièrement : les entreprises ont besoin d’analyser la manière dont leurs différentes parties prenantes vont être affectées par le vieillissement démographique. Parmi les facteurs à prendre en considération, il y a, entre autres, les habitudes de consommation des consommateurs (finaux) et l’empreinte carbone interne du personnel.

Deuxièmement : quel sera l’impact du vieillissement des différents groupes de parties prenantes sur la durabilité des entreprises ? Les clients âgés aspirent-ils à des biens et des services plus durables ou moins durables ? Et la main-d’œuvre d’un certain âge est-elle vouée à réduire ou, au contraire, à augmenter l’empreinte carbone de leur entreprise ?

Les entreprises se doivent ensuite d’identifier les mesures à prendre pour réduire les émissions supplémentaires causées par les effets du vieillissement parmi ces différents groupes de parties prenantes. Ces mesures doivent s’attaquer à la source des émissions et, dans l’idéal, il serait judicieux d’identifier plusieurs mesures pour chaque source d’émissions.

À partir d’une liste initiale de mesures alternatives identifiées par les entreprises, ces dernières sont appelées à évaluer la faisabilité, les coûts et le périmètre de la réduction des émissions pour chaque mesure. Ces évaluations sont susceptibles d’évoluer au fil du temps – par exemple, si la mise en œuvre d’une mesure spécifique devient plus facile ou moins onéreuse ou si elle permet de réduire les émissions de manière plus efficace.

Priorité doit être donnée à la mise en œuvre des mesures qui contribuent à la réduction des émissions tout en augmentant les bénéfices à long terme. L’opportunité économique d’une mesure donnée (de même que l’ampleur de sa rentabilité) peut également évoluer au fil du temps et doit donc être (ré)évaluée périodiquement.

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