Les perturbations auxquelles les dirigeants du monde ont été confrontés ces dernières années, allant des crises économiques et géopolitiques aux changements climatiques et à l’inégalité sociale grandissante, ne montrent aucun signe d’apaisement. Ces forces incitent plutôt les gouvernements à repenser leur façon de se préparer pour l’avenir, et beaucoup adoptent déjà des pratiques et des approches de renforcement de la résilience optimisées par l’innovation.
Au Canada, cependant, les limitations causées par le manque de politiques, de programmes et de possibilités de financement nuisent au secteur de l’innovation, et le pays risque de prendre encore plus de retard par rapport à ses pairs. Comment le Canada peut-il relancer l’innovation?
Au cours des derniers mois, des leaders de Deloitte se sont réunis pour redéfinir le rôle futur de l’État à l'égard de l’innovation. Nous croyons que le gouvernement fédéral peut repenser la façon dont il appuie le secteur afin de mieux servir le pays pour les années à venir. Notre ambition collective pour l’avenir est que le Canada soit :
Cet article fait partie de la série intitulée Le rôle du gouvernement dans l’avenir, qui examine les tendances incitant les gouvernements à agir et cherche à fournir des idées audacieuses pour aider le Canada à résoudre les problèmes sous-jacents. Lisez notre premier article, intitulé Le rôle du gouvernement dans l’avenir : notre société évolue; son mode de gouvernance doit changer lui aussi, pour une mise en contexte.
L’innovation soutenue par le gouvernement au Canada remonte à la création du ministère du Commerce en 1887, dont le but était notamment de promouvoir, de soutenir et de développer l’économie et le milieu des affaires de notre jeune nation. Aujourd’hui appelé Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE), ce ministère a pour fonction d’améliorer l’économie canadienne grâce aux politiques d’innovation, à la réglementation du marché, à la concurrence, et à la recherche et au développement (R&D).
Les inventions canadiennes qui ont été reconnues a l’échelle internationale, on peut citer : l’exerciseur pour bébé (Jolly Jumper), inventé par Olivia Poole, une mère autochtone, dans les années 1950; le microscope électronique; le Canadarm; le premier moteur de recherche sur internet (Archie); et la société BlackBerry Limited, fondée par Mike Lazaridis et Doug Fregin1, qui a changé la donne à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, il existe à la fois l’innovation perturbatrice, qui crée des produits, des services et des offres entièrement nouveaux qui redéfinissent des secteurs, et l’innovation progressive, qui modifie des technologies existantes pour répondre aux besoins actuels, un exemple étant l’utilisation de la technologie de la lumière bleue pour désinfecter les téléphones au plus fort de la pandémie de COVID-19.
En cette ère marquée par l’instabilité environnementale, économique et sociale, le Canada se trouve à un carrefour décisif qui appelle à une réflexion approfondie sur sa situation actuelle d’innovation. Il doit raviver son ambition d’établir un plan d’avenir prospectif et global, dont l’innovation serait un élément central en raison de son potentiel à avoir une incidence positive directe et profonde sur l’économie. Le moment est opportun pour le pays de se positionner stratégiquement pour la résilience et le progrès en renforçant son engagement à l’égard de l’innovation en tant que pierre angulaire du développement national.
La situation actuelle de l’innovation au Canada est caractérisée par des lacunes qui nuisent à la capacité du gouvernement de favoriser un écosystème d’innovation interne cohérent et avant-gardiste. Le manque d’investissements stratégiques dans la prestation des services compromet l’efficacité des fonctions gouvernementales, contribuant ainsi à créer un environnement opérationnel incohérent et sous-optimal. La culture d’aversion au risque freine l’exploration d’idées et de solutions, ce qui entrave le potentiel de changement transformateur. Le paysage fragmenté des activités et de la communication internes, caractérisé par le manque d’intégration des services, de partage des données, de communication et plus encore, empêche l’accélération de l’innovation.
Sur le plan économique, la situation de l’innovation reflète les défis liés au maintien d’initiatives novatrices. Les obstacles réglementaires en empêchent la progression harmonieuse. Bien que l’idéation soit présente, la connaissance limitée de ces initiatives réduit la distribution de concepts innovants dans l’ensemble des secteurs et les détourne de leur plein potentiel, ce qui retarde l’innovation.
Nous avons dégagé quatre thèmes principaux que les gouvernements canadiens devraient aborder :
Tous les paliers de gouvernement partagent un engagement inhérent à fournir des services de grande qualité aux citoyens. Des initiatives telles que la création du ministre des Services aux citoyens du Canada sont essentielles à la poursuite de l’excellence. Tant qu’elles ne porteront pas leurs fruits, cependant, l’état actuel de la prestation de nombreux services gouvernementaux demeurera moins qu’optimal. Les difficultés découlent, entre autres, de retards attribuables à des technologies désuètes, d’expériences utilisateur sous-optimales, de processus non axés sur l’humain et de l’interopérabilité restreinte. Rares sont les organisations canadiennes qui exploitent les technologies infonuagiques comme fondement de l’innovation2. L’adoption limitée de ces technologies au sein des gouvernements constitue un obstacle à la réalisation du plein potentiel de solutions comme le stockage de données dans le nuage, et retarde l’incidence positive qu’elles peuvent avoir sur les initiatives de prestation des services.
Le manque de cohésion et d’efficacité dans le domaine de l’innovation se manifeste par une intégration inadéquate des données, des modèles de financement complexes, des processus d’approvisionnement fastidieux et une communication fragmentée entre les différents niveaux dans le secteur public. Ces problèmes entraînent des inefficacités qui s’étendent en amont jusqu’à avoir une incidence sur les processus décisionnels du gouvernement, et en aval sur le marché canadien de l’innovation dans son ensemble.
Cette nature décousue constitue un défi à double tranchant. À l’interne, elle nuit au bon fonctionnement des activités gouvernementales. À l’externe, elle constitue un obstacle à la croissance et à l’évolution internes de l’écosystème d’innovation élargi. Non seulement cette situation limite le potentiel d’un rendement optimal, mais elle entrave également la réalisation de l’ensemble des avantages qu’une approche gouvernementale plus intégrée et rationalisée pourrait offrir.
Le gouvernement est généralement réactif plutôt que proactif en raison des pressions budgétaires, de la politique d’approvisionnement, de la surveillance publique et des modèles opérationnels cloisonnés. La tolérance au risque étant faible, il existe au sein du secteur public des structures qui limitent l’environnement d’innovation déjà très incertain. La culture actuelle du gouvernement donne lieu à l’incapacité d’adopter l’innovation rapidement et en toute sécurité, retardant ainsi la mise en œuvre de nouvelles technologies et d’idées innovantes qui pourraient améliorer la prestation des services aux citoyens.
Les données disponibles pour soutenir la croissance et l’innovation sont limitées. Les lacunes au niveau des entreprises, dues au manque de connaissance des diverses initiatives, entraînent la sous-utilisation des ressources et des talents, ce qui produit des résultats contraires aux objectifs de l’innovation. En 2019, plus de 50 % des entreprises canadiennes déclaraient être confrontées à des obstacles à l’innovation, citant l’incertitude au sujet du contexte de l’innovation comme l’un des plus importants (29 %)3 . Le portail Outil de recherche d’aide aux entreprises du gouvernement fédéral vise à promouvoir la cohésion entre les détenteurs d’intérêts des secteurs public et privé et à fournir de précieuses ressources aux entreprises. Cependant, sans une bonne visibilité et une bonne connaissance de cet outil et d’autres outils existants, leur valeur maximale ne peut être atteinte.
Par ailleurs, même si le Canada met l’accent sur l’octroi de crédits d’impôt dans le cadre du programme d’encouragements pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE)4, la R&D continue de diminuer au pays. D’autres pays ont compris qu’il est avantageux de réorienter les dépenses pour soutenir directement des programmes destinés aux entreprises, ce qui donne lieu à plus d’activités d’innovation et de R&D. Le Canada n’est pas encore parvenu à établir un équilibre entre l’aide fiscale et le financement des programmes.
Nous avons élaboré des recommandations ciblées que les gouvernements peuvent adopter pour gérer ces enjeux. Elles sont organisées autour de quatre axes : les gens et le leadership, les politiques et les processus, la technologie, et la collaboration.
Comment les gens et les leaders, au sein du gouvernement, peuvent-ils façonner l’avenir de l’innovation au Canada?
Quels sont les ajustements politiques et les cadres procéduraux nécessaires pour atteindre l’avenir d’innovation du Canada?
Comment des progrès technologiques peuvent-ils être adoptés ou réalisés pour assurer l’avancement futur du Canada en innovation?
Quels sont les efforts de collaboration nécessaires pour faire progresser le Canada vers son avenir en innovation?
L’adoption de ces recommandations donnerait lieu à un système de gouvernance moderne et efficace. En utilisant les technologies les plus récentes et en favorisant la collaboration à l’échelle des ministères, des paliers de gouvernement et du secteur public, les activités du gouvernement peuvent être simplifiées, de meilleurs services offerts aux citoyens et la confiance du public rehaussée, positionnant le Canada en tant que chef de file mondial de l’innovation.
La riche histoire de percées novatrices du Canada, de l’exerciseur pour bébé au BlackBerry, souligne l’immense potentiel du pays. L’urgence du moment présent ajoute la nécessité à l’aspiration de redémarrer l’innovation et indique le besoin d’une approche d’innovation progressiste et stratégique. Le rôle en constante évolution du gouvernement lui permet de redéfinir et de renforcer le secteur de l’innovation dans un contexte mondial instable et d’exploiter ces changements pour servir efficacement les Canadiens.
Comme le suggère notre vision, le pays peut se préparer pour l’avenir en transformant les fonctions gouvernementales internes et en se positionnant comme chef de file mondial de l’innovation. Il doit pour ce faire favoriser une culture dynamique de jeunes entreprises, encourager la recherche et le développement, et faciliter une plus grande collaboration. Le Canada peut raviver son ambition grâce à un plan prospectif, inclusif et complet pour l’avenir, où l’innovation sert de pierre angulaire du développement national et de catalyseur de la croissance économique et du progrès social.
Selon notre aspiration de sa situation future…
Merci à nos contributeurs principaux, Aparna Ashokumar et Sebastian Voermann.