Dans le contexte évolutif de l’intelligence artificielle, il est facile de présumer que l’incidence de l’IA se limite aux tâches répétitives et banales. Somme toute, l’expertise ne peut être automatisée. Est-ce bien vrai? Cette hypothèse occulte les effets profonds de l’intelligence artificielle générative (IA générative) sur un important segment de la main-d’œuvre : les travailleurs du savoir.
Les travailleurs du savoir sont des professionnels ayant un solide savoir-faire dans leur discipline, qu’ils ont acquis au fil d’années d’expérience professionnelle, la plupart du temps dans des carrières qui s’inscrivent dans le prolongement d’études postsecondaires.
Dans le passé, les emplois occupés par les travailleurs du savoir étaient perçus comme étant moins susceptibles d’être automatisés en raison de l’expertise et du jugement humain que requiert l’exécution des tâches cognitives. Cependant, avec l’avènement de l’IA générative, cette perception change rapidement. L’IA générative peut maintenant analyser des quantités colossales de données, produire des perspectives et accomplir des tâches complexes qui, autrefois, nécessitaient des années d’expérience humaine et d’études.
L’intégration généralisée de l’IA générative dans le travail défie la notion classique selon laquelle le perfectionnement des travailleurs du savoir passe par
l’éducation + l’expérience, qui mènent à l’expertise.
L’IA générative ne remplace pas l’expertise : elle la magnifie en amplifiant la valeur du jugement, de la connaissance du contexte et de l’expérience acquis par les humains après de nombreuses années de travail impliquant la gestion de situations complexes. L’IA générative ne remplace pas forcément les emplois des travailleurs du savoir, mais les personnes qui apprennent à travailler avec l’IA générative sont mieux outillées pour le travail du savoir de l’avenir.
Ce nouveau paradigme présente à la fois des défis à relever et des possibilités à saisir, dans un contexte où les travailleurs du savoir s’adaptent à une nouvelle réalité dans laquelle l’IA joue un rôle central dans leurs vies professionnelles.
Dans le passé, les progrès technologiques ont généralement provoqué le déplacement des travailleurs, les reléguant le plus souvent dans des tâches exigeant des niveaux de scolarité et de compétence inférieurs. L’intégration de l’IA générative est toutefois différente parce qu’elle s’étend aussi au travail des personnes très scolarisées, possédant des compétences supérieures.
Les travailleurs du savoir – les développeurs de logiciels, les conseillers financiers, les enseignants, les architectes, les avocats, les médecins et les professionnels du marketing, par exemple – assistent à la transformation de leurs rôles en raison de l’émergence de l’IA générative.
Selon Statistique Canada1, les perturbations causées par l’IA générative sont fortement corrélées au niveau de scolarité atteint. Les travailleurs très scolarisés ont tendance à occuper des postes à forte intensité de connaissances. Or, ce sont précisément les genres d’emplois dans lesquels l’IA générative excelle. Les modèles d’IA générative apprennent de la même façon que les humains, à cette exception près qu’ils ont accès à une information beaucoup plus abondante, assimilable à un rythme nettement plus rapide. Le Canada se classe en tête des pays du G72 en ce qui concerne la population en âge de travailler ayant effectué des études postsecondaires. Néanmoins, nous constatons que la formation à elle seule est insuffisante pour assurer la résilience de cette population.
Cela soulève des questions quant à la valeur et au rôle futurs de la formation traditionnelle. Si l’IA générative peut rapidement reproduire et dépasser de nombreuses compétences techniques dont l’acquisition passait auparavant par des études supérieures, quel genre de formation faudra-t-il pour préparer adéquatement une personne afin qu’elle s’insère avec succès dans une économie augmentée par l’IA? Les personnes qui aspirent à une carrière professionnelle devront faire preuve d’esprit critique, de raisonnement éthique et d’adaptabilité pour travailler avec l’IA et, au besoin, remettre en question les perspectives générées par l’IA.
Pour protéger le marché du travail et l’économie du Canada contre le remplacement de la main-d’œuvre, nous devons redéfinir les programmes d’études, les modèles d’apprentissage et la formation en continu pour les adapter à un monde assisté par l’IA.
L’avenir de l’expertise ne repose pas uniquement sur l’acquisition de connaissances : il réside dans la capacité de traduire, de contextualiser et de remettre en question le savoir dans des situations réelles, où l’expérience humaine change totalement la donne.
Généralement associée à l’apprentissage et au nombre d’années d’emploi, l’expérience a été depuis longtemps la pierre angulaire de l’acquisition des compétences stratégiques en résolution de problèmes et du jugement nécessaires pour exécuter les tâches cognitives complexes des travailleurs du savoir. L’apprentissage pratique n’était pas juste la voie menant au savoir-faire : c’était aussi un mécanisme de préservation du savoir organisationnel proprement dit. Pensons à l’importance accordée au nombre d’années d’expérience dans les critères d’embauche, qui suppose que l’accumulation de connaissances et de compétences précieuses résulte d’une exposition et d’une pratique prolongées dans une discipline.
Cependant, dans notre travail auprès de clients de différents secteurs d’activité, nous avons observé une rupture dans le modèle d’apprentissage. L’IA générative ne fait pas que modifier les tâches : elle reformule l’équation traditionnelle – éducation + expérience = expertise – et transforme le savoir en marchandise. Lorsque l’IA générative peut instantanément générer des connaissances, rédiger des documents, coder, voire produire des stratégies inventives, l’avantage concurrentiel ne tient plus au savoir qu’on possède. Il tient à l’efficacité avec laquelle on peut interroger, contextualiser, appliquer et exécuter ce que sait la machine tout en prenant en considération les subtilités de l’organisation.
Cette transformation est particulièrement prononcée dans les services professionnels, où le modèle d’affaires en entier reposait historiquement sur la pyramide des besoins : les employés en début de carrière s’acquittaient des travaux de base, acquérant peu à peu des connaissances et un esprit critique, tandis que les professionnels chevronnés se consacraient à des stratégies d’une valeur supérieure et aux relations avec les clients. L’IA générative rompt avec ce modèle aux deux extrémités du spectre – automatisant les travaux de base et optimisant le processus décisionnel à un niveau supérieur. Résultat? Les subalternes risquent d’être privés d’expériences essentielles à leur perfectionnement et les organisations doivent repenser la manière de former leurs futurs leaders dans un contexte où « apprendre sur le tas » ne suit plus une trajectoire prévisible.
En utilisant notre outil exclusif d’analyse de la main-d’œuvre, Periscope, nous avons analysé comment l’IA générative remodèle les tâches courantes dans quatre cheminements de carrière des travailleurs du savoir. Faites défiler les images du carrousel pour explorer comment les tâches des travailleurs débutants et chevronnés évoluent dans l’ensemble des professions.
Dans la profession d’avocat, l’IA générative peut maintenant exécuter une grande partie des travaux de recherche juridique et de révision de documents faisant partie du rôle type des avocats-stagiaires. L’intervention de l’IA générative accélère l’exécution, mais elle comprime aussi le processus d’apprentissage traditionnel de sorte que les avocats débutants doivent beaucoup plus tôt dans leur carrière se livrer à une réflexion d’un niveau supérieur. De même, dans le développement de logiciels, le codage et le débogage assistés par l’IA, les développeurs inexpérimentés doivent rapidement passer de l’apprentissage de la syntaxe à la maîtrise de la pensée systémique et de la résolution de problèmes architecturaux.
Le cheminement de carrière traditionnel a été pensé pour un monde dans lequel l’accumulation de connaissances était linéaire et résultait de la somme des expériences peu à peu acquises. L’IA générative rompt avec ce parcours linéaire. Les organisations qui échouent à repenser les trajectoires d’apprentissage risquent de perdre non seulement leur prochaine génération de talents, mais aussi leur atout concurrentiel.
Si l’éducation et l’expérience sont l’une et l’autre en proie à des perturbations, comment préparer les experts de demain? Cette question est au cœur de l’avenir du travail – et de l’avenir de secteurs d’activité entiers.
Le parcours traditionnel vers l’expertise évolue. Bien que l’IA générative donne facilement accès au savoir, elle ne peut remplacer les capacités propres aux humains comme le jugement, la créativité, l’empathie, une compréhension approfondie et la pensée critique. Pour être durable, la réussite requiert la concertation des organisations et des individus. Les organisations doivent adapter leurs stratégies pour soutenir notre économie et assurer l’avancement continu des travailleurs du savoir spécialisés. Quant aux travailleurs du savoir, ils doivent faire preuve d’adaptabilité et de curiosité en intégrant l’IA générative dans leur travail.
Voici quatre étapes clés à franchir pour que votre organisation poursuive sa croissance en contexte d’émergence de l’IA générative :
L’IA n’efface pas la valeur des travailleurs du savoir; elle réécrit plutôt les règles définissant ce qu’est un expert. En ayant la bonne formation, les travailleurs du savoir peuvent augmenter leur travail avec l’IA générative de manière à exploiter pleinement leur capacité d’accomplir des tâches centrées sur l’humain et de créer plus rapidement de la valeur pour l’organisation.
Deloitte est là pour aider les organisations non seulement à gérer les effets de l’IA sur leur main-d’œuvre, mais aussi à en tirer profit.
Vous voulez miser sur la puissance de l’IA générative dans votre entreprise? Parlons-en.
Notes de fin