Point de vue

Consultations de l’Autorité Bancaire Européenne sur l’IRRBB et le CSRRBB

Article co-rédigé avec Guillaume Richard, Manager Risk Advisory

L’Autorité Bancaire Européenne (ABE) a publié en décembre 2021 trois consultations visant à finaliser l’implémentation des recommandations du comité de Bâle sur la gestion du risque de taux d’intérêt (IRRBB) et du spread de crédit (CSRBB) dans le portefeuille bancaire.

Elles répondent aux mandats donnés à l’ABE par la CRD V – Capital Requirements Directive – en article 84 (5 & 6) et 98 (5 et 5bis) et complètent les Standards techniques d’implémentation (Implementation Technical Standards - ITS) de novembre 2021 spécifiant les obligations de déclaration en terme d’IRRBB qui s’imposent aux banques depuis juin 2021.

Ces consultations se décomposent en :

  • Une mise à jour des standards sur la gestion de l’IRRBB et du CSRBB (EBA/CP/2021/37) – GL IRRBB/CSRBB,
  • Des projets de normes techniques réglementaires (Regulatory Technical Standards - RTS) sur le Supervisory Outlier Test (EBA/CP/2021/36) – RTS SOT, et
  • Des projets de normes techniques réglementaires (Regulatory Technical Standards - RTS) sur les approches standard et standard simplifiée de gestion du risque de taux d’intérêt (EBA/CP/2021/38) – RTS SA/SSA.

Les principales implications de ces documents provisoires sont :

  1. La refonte des exigences sur le CSRBB, 
  2. L’établissement d’un cap sur la durée moyenne d’écoulement des dépôts à vue en méthode interne,
  3. La définition du SOT sur la marge nette d’intérêt (Net Interest income - NII), et 
  4. La définition d’une méthode standard et méthode standard simplifiée pour la gestion de l’IRRBB et leurs conditions d’application.

 

Illustration A : Calendrier réglementaire


Source : analyse Deloitte

Le principal élément de la consultation en cours réside dans la refonte des exigences sur le CSRBB (chapitres 4.5 et 4.6), qui s’écarte quelque peu des recommandations du comité de Bâle dans ses standards sur la gestion de l’IRRBB (BCBS 368, 2016). 

Définition

L’ABE conserve la définition du CSRBB comme étant la résultante de modifications dans la perception du marché concernant le coût du risque de crédit, des primes de liquidité et éventuellement d’autres éléments des instruments comportant un risque de crédit. Ce risque ne s’explique ni par l’IRRBB ni par le risque attendu de crédit ou de défaillance immédiate. Le CSRBB capture ainsi le risque de variation du prix du crédit et de la liquidité à qualité de crédit inchangée. 

Bien que par définition, le CSRBB exclut les risques idiosyncratiques (dus à l’instrument ou aux spécificités de l’émetteur), l’ABE autorise leur inclusion pour des raisons pratiques s’il est démontré que cette inclusion est plus conservatrice (Art. 157). 

Cette inclusion faciliterait la mesure du risque, notamment pour les instruments non-côtés dont les prix du risque de crédit et de liquidité ne sont pas facilement identifiables et donc séparables. Néanmoins en requérant aux établissements de démontrer que cette inclusion est plus conservatrice que la définition stricte, son application pourrait être complexe.

 

Illustration B : Présentation des deux options de définition CSRBB, avec et sans exclusion


Source : Chapt. 5. Accompanying documents, EBA/CP/2021/37

 

Périmètre

Le papier de consultation est plus novateur sur le périmètre de mesure du risque en l’élargissent à tout élément du bilan et hors bilan. 

En effet alors que les standards EBA de 2018 étaient focalisées sur les actifs du portefeuille bancaire, l’ABE propose désormais d’identifier et mesurer ce risque sur la totalité des actifs, des passifs, des dérivés et autres éléments hors-bilan quel que soit leur méthode de comptabilisation, qu’ils soient côtés sur un marché ou non, et sauf exception dûment documentée. Ainsi l’ABE augmente grandement le périmètre du CSRBB et vise tout élément du portefeuille bancaire sensible à la volatilité des prix de crédit et de liquidité, incluant en plus des éléments à la juste valeur (OCI ou P&L), tout renouvellement d’instruments au coût amorti dont le risque serait capturé à travers les mesures en revenus.

Une dégradation du CSRRBB de l’établissement ne doit en outre pas avoir d’impact positif sur la mesure du CSRBB. 

  • Sur ce point, l’ABE diverge donc de la position du comité de Bâle pour qui le CSRBB n’est identifiable que sur les actifs et passifs comptabilisés à la juste valeur (BCBS368, annexe 1, §1.3). 
  • L’ABE vise ainsi à mesurer un indicateur proche de la position de transformation en liquidité, réparti néanmoins par groupe d’éléments présentant un niveau de risque similaire.
  • L’élargissement du périmètre aux éléments dont les prix ne sont pas facilement observables et liquides pourrait représenter une complexité importante pour les établissements. 

 

Evaluer, surveiller … et contrôler

L’ABE demande aux établissements d’évaluer, surveiller et de contrôler le CSRBB à travers des indicateurs de valeur économique et de revenus.

Le second élément majeur de ces potentiels nouveaux standards est l’application d’un cap à 5 ans sur la durée moyenne d’écoulement des dépôts à vue hors clients financiers et par devise (Art. 111). 

L’article en question était déjà présent dans les standards de 2018, mais situé dans le paragraphe spécifique au SOT (Art. 115-o) et non dans un chapitre portant sur la gestion générale IRRBB sous approche interne. Or, le mandat donné par le Parlement Européen à l’ABE à travers l’article 98 §5bis de la directive 2019/878 (CRD V) limite le mandat de l’ABE sur ces RTS en excluant spécifiquement toutes contraintes sur les hypothèses comportementales. Cette recommandation a été déplacée vers les standards et est donc élargie à l’ensemble de gestion du risque de taux sous approche interne. 

Il s’agit d’un point majeur de cette consultation car les contraintes ne portent désormais plus que sur les méthodes de modélisation des établissements financiers, mais également sur les résultats de ces modélisations.

Comme l’explique l’ABE en commentaire, ce cap reste par ailleurs moins contraignant que ceux proposés par le comité de Bâle dans le chapitre sur la méthode standard (BCBS368, chapitre 4).  En effet ces derniers sont appliqués uniquement sur les parts dites primaires (« core ») décomposés par typologie de dépôts à vue, les parts non-primaires étant considérées au jour le jour (voir illustration C). Combinées avec des contraintes sur la proportion de ces parts dites primaires, les contraintes BCBS impliquent ainsi un cap allant de 0 à 4,5 années sur la durée moyenne d’écoulement des dépôts.

  • Bien que moins contraignante que les recommandations du comité de Bâle en approche standard, l’imposition d’un tel cap en approche interne serait une évolution majeure dans la portée du texte et pourrait impactée grandement les établissements dont l’adossement à l’actif est le plus long (notamment les banques françaises de particuliers dont l’actif à taux fixe est particulièrement long en raison des pratiques dans l’octroi de crédit
    immobilier).

 

Illustration C : Contraintes BCBS 2016, chapitre 4 - Approche standard


Source : Analyse Deloitte

Avec l’entrée en vigueur de l’obligation de publication des résultats du SOT NII au 28 juin 2021, les RTS de l’ABE sur le SOT étaient attendus pour permettre d’homogénéiser les méthodologies et améliorer la comparabilité des résultats entre établissements.

L’article 98 §5bis modifié par la Directive 2019/878 (CRD V) donne à l’ABE mandat pour développer des RTS visant à définir le SOT sur la marge nette d’intérêt et à quelque peu recadrer les attentes sur le SOT sur la valeur économique des fonds propres (Economic Value of Equity - EVE), impliquant ainsi une exclusion des éléments du SOT des standards IRRBB/CSRBB. 

Les évolutions proposées sur le SOT EVE étant très limitées (voir illustration F), les principales nouveautés portent ainsi sur le SOT NII. 
 

i. Définition de la marge nette d’intérêt (NII)

L’ABE n’a pas statué sur la définition de la marge nette d’intérêt et ouvre la porte à des considérations qui l’éloignerait de sa définition strictement comptable en incluant les variations de valeur des instruments comptabilisés à la juste valeur (option 2) et, si dûment documenté, d’autres éléments du résultat réputés sensibles à une variation de taux tel que les frais et primes (option 2.2).

 

Illustration D : Options à l’étude sur la définition de la NII dans le cadre du SOT


Source : analyse Deloitte

 

ii. Scénarios de taux

L’ABE a opté pour la reprise exacte des deux scénarios de choc parallèle du SOT EVE (+/- 200bps avec floor). 
 

iii. Modalité de projection

L’ABE capitalise sur les modalités du SOT EVE en réutilisant toutes ses contraintes (voir illustration F) à l’exception des éléments sur :

  • La projection bilan (j) à encours constant sur un horizon d’un an glissant, 
  • L’inclusion obligatoire des marges commerciales et autres spreads (i). 
     

iv. Définition de la limite

Dans le cadre de son mandat de définition de la limite du SOT NII à partir de laquelle les pouvoirs de surveillance doivent s’appliquer conformément à l’article 98 §5, l’ABE évalue actuellement plusieurs options sur l’indicateur et par conséquent sur son niveau seuil (illustration E). 

L’ABE propose ainsi deux définitions très différentes de l’indicateur, la première (Option A) étant une mesure relative au capital et ainsi proche de l’indicateur suivi dans le cadre du SOT EVE (sensibilité en pourcentage des fonds propres de catégorie 1), et la seconde (Option B) étant une mesure relative à la capacité à assurer la continuité des activités opérationnelles, prenant en compte la part des coûts administratifs imputable à la marge nette d’intérêt.

 

Illustration E : Options à l’étude sur l’indicateur et le seuil étudiés pour l’exercice des pouvoirs de surveillance


Source : analyse Deloitte

 

Illustration F : Evolution des exigences sur le SOT EVE


Source : analyse Deloitte

 

  • En reprenant une grande partie des contraintes et scénarios du SOT EVE et en ayant statué sur un horizon et des hypothèses de projection relativement simples (bilan constant, horizon d’un an glissant), l’ABE va dans le sens d’un exercice facilitant la comparabilité entre établissement et la mise en place opérationnelle.
  • Néanmoins, en n’ayant pas statué sur l’inclusion ou non d’autres éléments du résultat, l’ABE complexifie la mesure et peut la rendre difficilement comparable entre établissements. L’inclusion par exemple de la variation de valeur des dérivés de couverture de flux de trésorerie sans le sous-jacent couvert après un an engendrerait une volatilité de l’indicateur difficile à interpréter et contraire aux principes de couverture de l’IRRBB.

En réponse au mandat donné par l’article 84 §6d de la CRD V dans le contexte du Supervisory Review and Evaluation Process (SREP), l’ABE devait proposer des critères pour déterminer les systèmes internes qui ne seraient pas satisfaisants, pouvant permettre aux autorités compétentes d’exiger l’application de la méthode standard. Elle y répond en chapitre 4.4 des standards IRRBB/CSRBB en laissant néanmoins aux superviseurs une grande flexibilité dans l’évaluation de chaque situation. Les critères sont principalement la non-prise en compte de risques matériels pour l’établissement et une gouvernance défaillante.

La proposition de RTS détaillant les approches standard et standard simplifiée reprend en grande partie le chapitre 4 – Approche standard des standards du comité de Bâle sur l’IRRBB (BCBS 368), notamment les contraintes sur l’écoulement des dépôts à vue qui pourraient grandement impacter les banques de détail, notamment en France (partie 2).

Par ailleurs l’ABE reprend également les options évoquées dans le SOT NII (partie 3), notamment dans la définition de la marge nette d’intérêt, laissant ainsi la possibilité d’y inclure des éléments qui l’éloignerait de sa définition comptable.

Prochaines étapes

La période de consultation s’étant terminée le 4 avril 2022, l’ABE vise de finaliser ses travaux à l’été 2022 avant l’approbation par le conseil des superviseurs.

Les RTS SA/SSA et SOT seront ensuite soumis à la commission européenne avant un examen par le parlement européen et le conseil préalable à sa publication au journal officiel.

Les standards (GL) IRRBB/CSRBB seront traduits et publiés en remplacement des standards actuels datant de 2018.   

Les équipes Deloitte Market Valuation & Balance Sheet Management peuvent vous accompagner sur vos problématiques de gestion de risque IRRBB/ SRRBB et plus généralement sur les sujets de gestion Actif-Passif à travers l’analyse réglementaire, la définition ou modification d’un cadre de gestion du risque ou encore l’assistance à l’implémentation d’évolution d’indicateurs.