Point de vue

Covid-19, surmonter la crise et préparer l’avenir

Par son ampleur et sa soudaineté, la crise du coronavirus bouscule beaucoup de certitudes et rend toute projection difficile. Pourtant, nous nous devons d’essayer, dès aujourd’hui, de tirer un certain nombre d’enseignements pour surmonter la crise et préparer l’avenir. Voici les trois grandes leçons que nous retenons à ce jour.

Le douloureux apprentissage de la vulnérabilité et l’importance de penser la résilience.

L’élément le plus frappant de cette crise est probablement la fragilité de l’écosystème de la mondialisation. En quelques semaines, la seconde économie de la planète et ses plus d’un milliard et demi d’habitants, se retrouvent à l’arrêt. En quelques jours, l’ensemble des métropoles européennes ont, elles aussi, été complètement paralysées. C’est maintenant au tour des grands Etats américains des côtes ouest et est de se confiner.

Plus de 2,6 milliards de personnes sont aujourd’hui confinées, avec un impact incalculable sur l’économie. En Europe, nouvel épicentre de l’épidémie, tous les commerces non-essentiels sont fermés et les avions sont cloués au sol alors que l’industrie automobile (7% du PIB de l’Union Européenne) et l’industrie touristique (4%), représentant chacune plus de 12 millions d’emplois directs et indirects (1), sont simultanément à l’arrêt.

Cet apprentissage est particulièrement brutal pour l’Europe et les Etats-Unis : les pays qui ont été confrontés à des pandémies dans le passé récent s’y sont préparés (Taïwan, la Corée…) ou connaissent leur fragilité (les pays africains avec Ebola notamment…). Certains penseurs, économistes, activistes scientifiques de renom ont alerté sur les risques de pandémies et la vulnérabilité de nos systèmes (Bill Gates, le biologiste Serge Morand ou encore l’économiste Gaël Giraud, pour n’en citer que quelques-uns). Force est de constater que ces voix n’ont pas suffi. La difficulté que nous éprouvons à anticiper des situations de crise radicale et à accepter notre vulnérabilité face à ces événements d’une ampleur proprement inimaginable nous conduit aujourd’hui, collectivement, à une impasse.

La crise actuelle rappelle la nécessité de penser en profondeur la résilience – c’est-à-dire la capacité pour un système, quel qu’il soit, à retrouver ses fonctionnalités et même à les améliorer après avoir été soumis à une perturbation.

Penser la résilience, c’est d’abord identifier les conditions qui permettent à notre système économique de fonctionner et à nos sociétés d’avancer. La santé est l’une de ces conditions et sans doute est-elle même le socle fondamental sur lequel s’appuie toute société avancée et prospère. La crise démontre en effet que tout notre système s’écroule lorsque nos travailleurs et nos citoyens ne sont plus en bonne santé. C’est avant tout un problème sanitaire, une contagion massive, qui a conduit à mettre fin, en un temps très court, aux déplacements internationaux pour l’ensemble des cadres ou à obliger l’immense majorité des salariés à passer au télétravail du jour au lendemain.

Bâtir la résilience de nos systèmes nous amène aussi à repenser en profondeur nos chaînes d’approvisionnement et notre dépendance vis-à-vis de certains flux vitaux. Comme en 2008, où l’interruption brutale des flux financiers n’avait pas été anticipée, l’interruption des flux physiques et la mise à l’arrêt de l’économie réelle et de personnes n’ont pas été véritablement imaginées ni surtout préparées.

Enfin, le coronavirus remet en cause la philosophie traditionnelle de la gestion des risques et la matrice Probabilité x Impact. En se concentrant sur le probable, l'approche classique du risque sous-pondère le théoriquement très improbable mais extrêmement disruptif. Trop concentrés sur les battements d’ailes des cygnes blancs, nous n’avions pas préparé l’irruption d’un cygne noir. Une approche fondée sur la résilience permettrait, elle, d’identifier demain plus certainement les premiers signes d’un système mis à mal, en prenant en compte les « sous-jacents » sociétaux de notre modèle.

Ce premier enseignement est lourd de conséquences et particulièrement visible. Mais s’il doit venir nourrir et enrichir nos approches à l’avenir, il n’est d’aucune utilité immédiate pour vivre la crise au présent.

L’urgence impérieuse de reconnecter avec le réel, notamment à travers la parole des scientifiques et des acteurs de terrain.

Il ne s’agit plus d’anticiper l’impact potentiel d’un changement radical des paramètres de l’équation, mais bien d’agir alors que les paramètres sont déjà complètement chamboulés.

Pour agir avec discernement dans de telles circonstances, il faut savoir entendre ce que disent ceux qui sont en première ligne dans cette crise sans précédent, les personnels soignants : « Il faut qu’on s’y habitue tous : ce qui est vrai un jour ne le sera pas forcément le lendemain ou le surlendemain et il faut qu’on vive comme cela plusieurs mois » indique Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat à Paris et membre du conseil scientifique mis en place pour le gouvernement français (2).

C’est le deuxième enseignement de cette crise. Après le manque d’anticipation, le danger immédiat pour les individus comme les entreprises est le refus de voir et d’écouter les scientifiques, les chercheurs et les acteurs de terrain. Face au présent qui semble irréel, la tentation est grande de s’appuyer sur ce qui est parfaitement connu et avéré, c’est-à-dire l’expérience du passé.

Or un choc étant, par définition, un évènement non linéaire, les solutions incrémentales, c’est-à-dire directement dérivées des remèdes utilisés pour les crises précédentes, ont toutes les chances d’être au minimum insuffisantes ou inadaptées, et peuvent dans certains cas s’avérer contre-productives.

A cet égard, il est intéressant d’observer que les mesures prises par les gouvernements et les recommandations données par les consultants se concentrent beaucoup sur les questions de liquidité et de soutenabilité financière à court terme des entreprises, qui avaient été les enjeux principaux de la crise du crédit de 2008.

Si ces mesures sont probablement nécessaires pour limiter les effets du choc à court terme et la panique des marchés financiers, il est peu probable qu’elles soient de nature à apporter une réponse aux problèmes épidémiologiques et aux difficultés logistiques et industrielles (production massive de tests et de masques) ainsi qu’à la fragilisation de la biodiversité (l’augmentation des contacts entre humains et animaux sauvages, accroit le risque de transmission à l’homme d’éléments pathogènes et  avec elle, la probabilité d’épidémies).

Se pose alors crûment la question de la place que nous donnons dans notre société aux scientifiques et plus généralement aux disciplines capables de proposer des schémas d’anticipation et de sortie de crise.

Le nécessaire pari du collectif et de la collaboration.

La crise du coronavirus a mis en lumière l’extrême vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, mondialisées et très complexes, et leur très forte sensibilité au blocage de la production dans des régions clés pour la sous-traitance mondiale que peuvent être le Hubei (électronique et automobile) ou le Nord de l’Italie (automobile, machine outils et aéronautique).

C’est là que réside le troisième enseignement que nous pouvons tirer à chaud de cette crise. L’onde de choc a mis en lumière combien les entreprises dépendent de l’ensemble des acteurs avec lesquels elles interagissent.

Les entreprises dépendent de leurs fournisseurs pour parvenir à surmonter et contourner les ruptures de chaîne d’approvisionnement, et des transformations majeures des comportements de leurs clients pour assurer la continuité de leurs activités.

Elles dépendent de leurs salariés et de leur capacité à assurer la continuité des opérations en assumant leurs responsabilités et en respectant les règles pour éviter les contaminations.

Elles dépendent des états où elles opèrent, de leur capacité à mettre en place des moyens efficaces pour juguler la propagation de l’épidémie pour la continuité de leur activité et des mesures de soutien à l’économie qu’ils proposent pour surmonter le choc initial.

Cette dépendance est évidemment réciproque, les autres entreprises, les états et les salariés ayant besoin de la résilience et de l’adaptabilité des entreprises pour éviter l’écroulement du système économique en particulier, et de la société en général.

Cela nous rappelle en premier lieu les immenses progrès qui restent à faire pour non seulement mettre en place des politiques HSE (hygiène, sécurité, environnement) performantes, mais aussi développer au sein des entreprises, une véritable culture et un haut niveau de prise de conscience et de responsabilisation individuelles sur ces enjeux et en particulier sur la santé.

Les façons de travailler doivent aussi radicalement changer.

Au niveau des collaborateurs tout d’abord. Alors que les potentialités apportées par les nouvelles technologies sont immenses, celles-ci n’ont pas été suffisamment exploitées – ni les infrastructures IT adaptées en conséquence en termes de capacité et de cybersécurité – que ce soit au sein d’une même entreprise où les déplacements et le présentiel restent la norme ou dans la gestion opérationnelle des relations clients-fournisseurs pour lesquelles la digitalisation des processus est encore très imparfaite.

Au niveau des entreprises ensuite. La crise montre combien l’entraide au sein d’une même filière, entre des acteurs parfois très différents, la réorientation de dispositifs de production au service de l’effort de guerre et la capacité des donneurs d’ordre à soulager leurs fournisseurs sont la clé de la survie de pans entiers de l’économie. Les dispositifs de collaboration et de dialogue entre acteurs sont plus que jamais essentiels.

Cette crise nous conduit ainsi à réinterroger le rôle des entreprises dans la société. Quelle sera notamment leur contribution pour aider des systèmes de santé qui montrent leur grande fragilité ?

Plus généralement, c’est probablement dans la prise de conscience de cette dépendance réciproque, entre les entreprises et les états notamment, et la nécessité de renforcer la collaboration et la coordination entre les différents acteurs économiques que réside le principal espoir de surmonter cette crise et de construire demain une économie plus efficace et plus robuste et une société plus forte et plus durable.

La construction d’écosystèmes économiques s’appuyant sur la collaboration et la coordination est d’ailleurs considérée comme la solution aux grands défis de la planète – notamment écologiques, de la réduction des émissions de gaz à effets de serre à la préservation des ressources.

Cette crise est, à ce titre, annonciatrice des forces que nous devrons être capables de mobiliser face à des défis planétaires à venir, au premier rang desquels, le réchauffement climatique. La nécessaire réponse à l’urgence sanitaire nous permettra-t-elle d’inventer les nouveaux modèles capables demain de nous aider à répondre à l’urgence climatique et environnementale ?

Rien ne sera plus jamais comme avant. Le monde post-coronavirus sera nécessairement différent, il nous appartient collectivement de le rendre meilleur.

 

 

(1) European Commission, Automotive industry Fact Sheets on the European Union, Tourism 

(2)  Le Monde, 15 Mars 2020