Point de vue

Une actualité règlementaire riche pour la gouvernance des modèles IRB

Article co-rédigé avec Arnaud Bagoro, Manager Risk advisory

En amont de la version définitive de la CRR III attendue très prochainement, l'été a été actif du côté du régulateur (EBA) et du superviseur (BCE) qui ont publié plusieurs documents relatifs aux modèles IRB.

Du côté de l'EBA nous retenons la publication de son rapport sur l'utilisation du Machine Learning dans les modèles IRB (4 août) , la version finale de son manuel de supervision sur la validation des modèles internes (7 août) ainsi que la mise à jour des timelines sur l'implémentation de la feuille de route IRB Repair (7 août) permettant aux banques qui le souhaitent de reporter les exigences du programme IRB Repair sur la LGD et le CCF à la date d'entrée en vigueur de la CRR 3 sur les portefeuilles qui ne pourront plus être traités en IRB-A (Large Corporate, etc.). Les banques pourront également retourner en approches moins sophistiquées ou d'utiliser la PPU dès à présent sur ces portefeuilles.

Quant à la BCE, on retiendra la sortie de son guide révisé pour les modèles internes (22 août), ainsi que sa supervision Newsletter (16 août) qui donne une vue d'ensemble des principales conclusions des différentes missions IMI de la période Post TRIM (2021-2023) et de l'utilisation des données Covid dans les modèles IRB.

1) Rapport de l'EBA sur l'utilisation du ML dans les modèles IRB

L’EBA y résume les conclusions faisant suite à son discussion Paper du 11 novembre 2021 sur la même thématique. Celui-ci comportait 17 questions visant à savoir comment les banques intègrent les techniques de ML dans la modélisation IRB ou si elles prévoient y avoir recours à l’avenir.

Durant les 3 mois de consultation, l'EBA a reçu 14 réponses dont nous retenons que certaines banques utilisent déjà le ML dans des domaines spécifiques de la modélisation IRB (sélection de variables, validation de la risk differenciation, valorisation des collatéraux, etc.) mais font face à certains challenges tels que :

  1.  la limitation statistique des modèles ML (overfiting, complexité, peu adaptés aux portefeuilles low default),
  2.  la montée en compétence des équipes de modélisation et de validation,
  3.  l'explicabilité et l'interprétabilité des modèles au vu de leur nature complexe,
  4.  la catégorisation des changements de modèles relatifs aux modèles ML qui exigent une mise à jour régulière.

 

2)  Manuel de supervision de l'EBA sur la validation des modèles IRB (Validation Handbook)

La version finale du manuel de validation sur les modèles IRB (Validation Handbook) fait suite à la consultation lancée par l’EBA le 28 juillet 2022 sur le même sujet. Il clarifie les rôles et responsabilités de la fonction de validation conformément à l'article 185 des CRR et couvre à la fois les tâches liées à l'évaluation des modèles internes et celles sur l’environnement de modélisation telles que la qualité des données et l'évaluation de l'implémentation des modèles. Le manuel clarifie également la relation de la fonction de validation avec d'autres fonctions liées à la gouvernance de l'entreprise telles que l'unité de contrôle du risque de crédit et l'audit interne.

Ce manuel ne s’adresse pas directement aux institutions financières mais aux autorités compétentes et est de nature non contraignante vu qu’il vise à définir les meilleurs pratiques de supervision plutôt qu’à fournir des spécifications supplémentaires pour l’application de la législation. Néanmoins, de notre point de vue, ce manuel serait d’une très grande utilité pour les institutions financières tant pour les équipes de validation que de modélisation car il concentre tous les différents points d’attentes règlementaires et de défi sur les modèles IRB.

 

3) Guide révisé de la BCE sur les modèles internes (ouvert pour consultation jusqu’au 15 septembre 2023)

Cette version garde la même structure que la version actuelle d'octobre 2019 et les révisions reflètent les mises à jour de l'expérience de la BCE en matière de supervision donnant suite aux missions d'inspection post-TRIM.

Les aspects clés pour la partie risque de crédit concernent :

  • L’ajout d’une nouvelle section sur la définition du défaut et d’une sous-section relative aux cessions massives dans le cadre de la modélisation de la LGD ;
  • Les attentes de la BCE sur l’implémentation IT des changements de modèles matériels nécessitant une approbation préalable de la BCE. Les institutions financières devraient être en mesure de mettre en œuvre les changements matériels dès réception de l’autorisation de la BCE et, en tout état de cause, sans retard injustifié. En cas de retard, la BCE s’attend à ce que ce délai ne dépasse pas 3 mois à compter de la date d’approbation ;
  • La nécessité pour les banques d'évaluer la performance des modèles IRB sur les échantillons out-of-time et out-of-sample ;
  • Sur la modélisation de la PD, les exigences relatives à la granularité de l'échelle de notation (nombre de grades), au calibrage des MoC qui doit se faire à l'échelle grade, ainsi qu'à l'échelle de calibrage de la PD (niveau segment vs niveau grade), etc. 

 

4) Lettre de supervision de la BCE (version d’août 2023)

Cette lettre présente le retour de la BCE sur les IMI (Internal Models Investigation) post-TRIM (entre 2021 et 2023) ainsi qu'une section sur la prise en compte des données Covid dans les modèles IRB.
 

4.1. Retour de la BCE sur ses missions IMI post-TRIM

La BCE indique que 99 % de ces missions ont été faites à la demande des banques et concernent principalement le risque de crédit (80 %). Sur cette partie, les points traités étaient la compliance avec le programme IRB Repair de l’EBA (66 %), la remédiation post-TRIM et dans une moindre mesure à des changements de scope post-Brexit. Par ailleurs, pas moins de 25 % de ces missions concernaient des retours à des approches moins sophistiquées soit par anticipation de la reforme Bale 3 ou dans le but de simplifier la cartographie des modèles.

Quant au déroulement de ces missions, la BCE a introduit en 2021 un dispositif lui donnant la possibilité de faire des investigations intégralement à distance ou sur place mais avec une intensité moindre selon la complexité de la mission. Sur la période 2021-2023, seulement 28 % des IMI se sont déroulées sous ce dispositif à intensité réduite notamment parce que les demandes formulées par les banques concernaient des changements fondamentaux. La BCE s’attend néanmoins à ce que le dispositif d’intensité réduite nouvellement introduit lui permette d’accroître à l’avenir sa capacité à mener des investigations notamment en appliquant une approche basée sur le risque.

Enfin, la BCE a constaté des problèmes de gouvernances récurrents quant aux demandes qui lui sont soumises avec majoritairement des reports/annulations de soumissions prévues, des packages de soumission de mauvaise qualité et pire par des demandes de retrait de soumission pendant des investigations déjà en cours.

En termes de résultats majeurs, la BCE constate que les modèles internes des banques se sont dans l’ensemble améliorés suite à TRIM et les modèles respectent à présent les dernières orientations de l’EBA. Néanmoins, certains points restent à améliorer car la BCE a identifié en moyenne 17 findings par mission dont le tiers étaient des findings High Risk.

Sur la partie risque de crédit, les findings étaient relatifs en grande partie à la description des modèles (67 %), aux processus de modélisation (18 %) et la validation dans une moindre mesure (7 %). 30 % des findings identifiés sur les aspects procéduraux sont high risk et concernent notamment la Data Quality, la documentation mais également des défauts techniques et des délais dans l’implémentation de la NDoD et des changements de modèles.

Par ailleurs, environ 30 % des findings relatifs aux processus de modélisation de la PD et de la LGD sont classifés en high risk. Sur la PD, ces findings high risk sont relatifs à la risk quantification (calibrage) et aux calculs des MoC. Les findings high risk sur la LGD concernent quant à eux la risk quantification, le calcul des LGD observées/réalisées et l’estimation de la marge downturn.

Au vu des résultats de ces IMI, la BCE encourage les banques sous approche IRB à :

  • Simplifier la cartographie de leurs modèles internes avec notamment des retours en approches moins sophistiquées pour les portefeuilles avec peu d’exposition et/ou de défaut nécessaires pour la modélisation. Par ailleurs, les banques devront s’assurer que les unités en charge du développement, l’implémentation, la revue des modèles IRB sont suffisamment staffées afin que les lacunes identifiées (en interne ou en externe) puissent être corrigées en temps utile.
  • Améliorer la gouvernance autour des package de soumissions en termes de qualité et de respects des délais proposés. Les fonctions de contrôle interne des banques devraient jouer un rôle important à cet égard, leur rôle, indépendance et engament devant être renforcés par ailleurs.

4.2 Prise en compte des données Covid dans les modèles IRB

Pour l’instant, la majorité des modèles IRB n’intègrent pas les données Covid, les banques ayant reporté le recalibrage de leurs modèles de PD et LGD pour plus tard. Cela est en phase avec les principes de l’EBA sur l’intégration des données Covid dans les modèles IRB paru en juin 2022 notamment le principe 3 voulant que tout recalibrage entrainant une baisse des moyennes de long terme suite à l’intégration des données covid soit reporté. En effet, l’EBA considère qu’une baisse des taux de défaut (ou de perte) sur la période 2020-2021 pourrait s’expliquer par les mesures de soutien publiques (moratoires de paiement, garanties étatiques, etc.) sans refléter la tendance de long terme.

Par ailleurs sur certains portefeuilles retail, on observe une baisse des PD estimées sur la période Covid ce qui laisse penser que ces modèles sur-réagissent aux conditions économiques (mesures de soutien Covid). Ces modèles devraient donc faire l’objet d’une attention particulière en termes de monitoring.

Les processus de recalibrage font partie des points essentiels dans l’évaluation des modèles internes par la BCE. De fait, elle continuera à vérifier si les banques sous sa supervision analysent correctement la représentativité des données covid et procèdent aux ajustement/MoC appropriés. Il est donc important que les banques continuent d’analyser en profondeur, justifier et documenter proprement les approches quelles suivent en particulier lorsque les taux de défauts ou de perte ont diminué pendant la pandémie.

Un contexte qui donne nouveau sens au sujet MRM

Après une période Covid instable en raison d’un contexte évolutif et de succession de mesures visant à atténuer les risques, une période de retour progressif à la normal était attendue, avec en conséquence une performance des modèles davantage en ligne avec attentes.

Cependant, la crise Ukrainienne et l’évolution des indicateurs macroéconomiques ont déjoués ces pronostiques et nous sommes entrés dans une nouvelle période d’instabilité dans laquelle une confusion s’opère entre les effets Covid non matérialisés et ceux liés à la crise récente.

Ce constat nous démontre la nécessité de connaitre aussi clairement que possible le contexte d’application d’un modèle, en d’autres termes, de matérialiser dans quel contexte macroéconomique et conjoncturel la performance de modèles devrait rester satisfaisante dans l’ensemble de ces composantes, et également de quantifier la sensibilité de cette performance à des évolutions de conjonctures structurantes.

Ces deux éléments sont ensuite supposés être intégré dans le dispositif de suivi du modèle (ie MRM), de manière à pouvoir assurer un suivi aussi réactif que possible tout en restant pragmatique. La logique voulant que lorsque qu’un contexte « hors cadre » se matérialise, les établissements puissent d’une part le détecter au plus vite afin d’adapter leurs processus opérationnels, et d’autre part, puissent considérer la prise en compte de marge de prudence ad-hoc, clairement encadrées et pouvant être prises en compte en particulier dans leur provisionnement et leur Pilier 2.

Dans ce cadre, les techniques de ML pourraient notamment aider à caractériser les différences entre un modèle historique et un modèle réactif adapté à un contexte donné. La différence structurelle de modèle ainsi que l’écart de performance pouvant constituer un indicateur pertinent.