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La Retail Investment Strategy (RIS), quels enjeux pour les assureurs en matière de protection de la clientèle et comment s'y préparer ?


1. Vers une réglementation européenne unique pour les produits d’investissement ?

En mai 2021, la Commission européenne a lancé une consultation intitulée A Retail Investment Strategy for Europe (RIS) visant à améliorer globalement la participation des investisseurs particuliers au financement de l’économie. Dans ce cadre, elle passe en revue plusieurs thèmes (conflits d’intérêts, éducation financière, digital, ESG…) et fait un bilan des réglementations européennes applicables aux produits d’investissement1 en s’interrogeant sur les leviers potentiels de renforcement de la protection des épargnants et de gestion du Conduct Risk2. A travers la RIS, la Commission souhaite poser les fondations d’une réglementation européenne transversale à l’ensemble des produits d’investissement, et aligner ainsi les règles applicables aux produits d’assurance vie(fixées par la DDA), avec celles qui régissent les autres véhicules d’épargne et d’investissement (fixées par MIFID). Le résultat des travaux de la commission devrait être publié courant 2023 et anticiper une révision de la DDA, qui interviendra en 2024.
 

2. Quels leviers pour améliorer la protection des épargnants ?

A travers cette initiative, la Commission européenne poursuit plusieurs objectifs :


3. Le spectre de l’interdiction du commissionnement au cœur des débats

Parmi les sujets ouverts par la RIS, le commissionnement des distributeurs de produits d’épargne focalise les débats depuis que la Commissaire Européenne aux Services Financiers, Mairead Mcguiness, s’est prononcée en faveur d’une interdiction dans un discours devant le Parlement européen le 24 janvier 2021. Selon la Commissaire, ce business model, majoritaire au sein des pays de l’Union européenne – y compris en France, engendrerait une augmentation significative du coût payé par les clients et créerait un conflit d’intérêt « structurel », les vendeurs étant incités à proposer à leurs clients les produits qui leur assurent les rémunérations les plus élevées. Si les plusieurs pays européens ont déjà marqué publiquement leur opposition à cette interdiction4, et que les fédérations professionnelles du secteur de l’assurance poursuivent leurs actions de lobbying auprès des institutions européennes, ce débat a le mérite de mettre en lumière des problématiques récurrentes auxquelles sont confrontés les épargnants (multiplicité et opacité des frais, qualité et coût du service fourni par les acteurs financiers, …).

 

4. Plusieurs chantiers ouverts en France sur les thématiques de la RIS

En France, les sujets couverts par la RIS sont également au cœur de l’actualité réglementaire :

  • Dans le prolongement de l’adoption de la loi PACTE, plusieurs initiatives ont été lancées par le ministre de l’Economie afin d’améliorer la transparence et la lisibilité des coûts et frais payés par les clients au titre de leurs produits d’épargne/retraite5, avec pour objectif final de réduire leur poids dans le rendement des produits ;
  • Le Sénat a adopté récemment une proposition de loi « tendant à renforcer la protection des épargnants » (dit Husson-Montgolfier)6, qui introduit plusieurs mesures fortes en matière de transparence et de comparabilité des produits d’investissement, d’encadrement des frais et commissions et de contrôle des distributeurs de produits financiers et qui devrait faire l’objet d’une discussion dans les prochains mois à l’Assemblée Nationale ;
  • Enfin, en réponse à la RIS, l’ACPR travaillerait sur une recommandation afin de mieux encadrer les rémunérations incitatives dans le secteur de l’assurance7.

 

5.    Quelles actions à engager par les assureurs pour se préparer à la RIS ?

Les exigences en matière de gouvernance et de surveillance des produits (GSP), introduites par la DDA, constituent la « pierre angulaire » du dispositif de protection de la clientèle en imposant aux assureurs d’évaluer, avant le lancement des produits et sur l’ensemble de leur cycle de vie, les risques potentiels de préjudice client. Le respect de ces exigences revêt une importance particulière pour les produits d’épargne en unités de compte, par nature complexes et risqués, parfois non adaptés à certains clients et qui les engagent sur des durées longues. Comme l’a rappelé l’ACPR dans sa conférence du 22 décembre 2022, les assureurs doivent poursuivre le travail engagé en 2018 en renforçant la granularité des marchés cibles, élargissant progressivement l’application de la GSP à l’ensemble des produits en portefeuille et en se dotant « d’indicateurs d’alerte » permettant de piloter efficacement les risques de dérives du « rapport qualité/prix » (Value for Money) pour le marché cible8.

Le respect du devoir de conseil est au cœur des exigences réglementaires applicables à la distribution de produits d’assurance et un point d’attention récurrent de l’ACPR lors de ses contrôles. Etape clé de la phase précontractuelle, le conseil doit également être renouvelé en cours de vie des contrats afin de s’assurer que le produit continue de correspondre à la situation et aux objectifs du client, qui ont pu évoluer, et de prévenir certains actes contraires à son intérêt qu’il pourrait initier par méconnaissance des produits financiers. La sécurisation – et la standardisation, à l’échelle de l’entreprise et de ses réseaux – des processus de conseil doit rester une priorité constante pour les assureurs, afin d’être en mesure de justifier à tout moment de la qualité des ventes et du conseil fourni. Elle peut s’accompagner d’une industrialisation de la démarche, à l’aide des nombreux outils et nouvelles technologies (Regtech) désormais accessibles pour aider les conseillers et améliorer le « parcours client ».

Au gré des évolutions réglementaires successives, les exigences en matière de transparence des produits d’épargne se sont « empilées » et force est de constater que l’information fournie au client est aujourd’hui peu lisible et compréhensible : multiplication des documents d’information au risque de « noyer » le client, montants des frais exprimés en pourcentages ce qui rend difficile le chiffrage de leur impact réel sur le rendement de l’investissement, jargon utilisé parfois peu compréhensible pour un profane et souvent anxiogène, … Face à ces constats, les assureurs doivent impérativement repenser le format, la structure et les modalités de communication à leurs clients, afin de leur permettre de mieux comprendre les caractéristiques, le fonctionnement et le coût de ces produits et améliorer ainsi leur éducation financière.

Des rémunérations trop incitatives sont susceptibles de générer un risque de conflit d’intérêts pour le distributeur, qui sera davantage motivé par l’avantage personnel qu’il retirera de la vente que par l’évaluation loyale des besoins et intérêts de ses clients. Si un premier travail de « nettoyage » des rémunérations les plus contestables avait été engagé à la suite de l’adoption de la DDA, certaines pratiques de rémunération « à risque » subsistent et font l’objet d’une attention croissante des autorités publiques : surcommissions, pratique du précompte, rétrocessions de commissions, … Les assureurs sont ainsi invités à poursuivre leur d’évolution de leurs schémas de rémunération et d’incitations commerciales, autour de 2 objectifs : maintenir une proportionnalité entre les rémunérations versées et le service effectif fourni aux clients et mieux prendre en compte dans les schémas de rémunération la qualité de service et la satisfaction des clients.

Lors de ses contrôles, l’ACPR accorde une importance croissante à la « culture risque »9, c’est-à-dire aux valeurs et principes promus et diffusés au sein de l’entreprise afin d’encourager les collaborateurs à adopter un comportement éthique et respectueux des intérêts du client. Dans un contexte de complexification des offres et des produits et de renforcement des exigences sociétales vis-à-vis des institutions financières (investissements « responsables », meilleure protection des personnes vulnérables, …), la qualité des processus de recrutement, formation et développement professionnel des collaborateurs (ainsi que de sélection et de contrôle des partenaires commerciaux !) devient centrale. Elle justifie que les assureurs renforcent dès à présent leurs actions de sensibilisation et de formation à destination de leurs réseaux de distribution et de gestion et se mettent en capacité d’évaluer régulièrement leurs connaissances et compétences en matière de protection de la clientèle et de pratiques commerciales.


 

Indépendamment des décisions qui seront prises par les autorités européennes dans le cadre de la RIS, les assureurs doivent dès à présent engager une réflexion sur les différents risques et enjeux qu’elle met en lumière, et engager des actions ambitieuses afin d’améliorer concrètement la protection des épargnants. Les assureurs pourront ensuite capitaliser sur ces travaux pour les élargir au périmètre des produits non-vie, qui seront certainement confrontés, dans les prochaines années, aux mêmes défis…

1 Sont notamment visées les réglementations suivantes : MIF, PRIIPS, DDA, PEPP
2 Voir en ce sens le Framework for assessing Conduct Risk through the Product Lifecycle publié par l’EIOPA en 2019
3 Insurance-based Investment Products (IBIPs)
4 Notamment la France, l’Allemagne et l’Autriche 
5 S’appuyant sur les conclusions d’un rapport sur les nouveaux plans d’épargne retraite publié en juillet par la présidente du Conseil consultatif du secteur financier (CCSF), Corinne Dromer, qui pointait « des frais nombreux dont l'accumulation pèse sur les rendements », le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire a imposé en 2022 aux assureurs de publier sur leur site une information plus précise et régulière sur les coûts et frais de leurs produits d’épargne/retraite et a confié au CCSF plusieurs chantiers relatifs à la lisibilité et aux coûts des produits d’épargne
6 Ce texte met en œuvre les recommandations du rapport « La protection des épargnants : payer moins et gagner plus », d'octobre 2021, présenté par Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier. Il a été adopté par le Sénat le 31 janvier 2023 en première lecture
7 Rémunérations : l’ACPR veut faire cesser les incitations (L’Argus de l’Assurance, article du 9 mars 2023)
8 Voir notamment en ce sens les publications de l’EIOPA Retail Risk Indicators: methodology update (2021) et Methodology to assess value for money in the unit-linked market (2022)
9 Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), Bilan sur la mise en œuvre des obligations de gouvernance dans le cadre de Solvabilité 2, 2020. Dans ce rapport, l’ACPR estime notamment que « l’efficacité de l’organe de direction dans ses composantes exécutives et de surveillance repose sur l’éthique, les valeurs, la culture et les comportements de ses membres, tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. C’est pourquoi, l’attention, notamment celle des superviseurs, se porte de plus en plus vers ces thèmes »