Point de vue

Credit Spread Risk of the Banking Book : la mesure d’impact en marge est riche d’enseignement

Article co-rédigé avec Nicolas Nguyen, Senior Risk advisory.

En octobre 2022, l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) a publié une série de 3 orientations finales portant sur la mesure du risque de spread de crédit dans le portefeuille bancaire (Credit Spread Risk of the Banking Book1 - « CSRBB ») ainsi que la mesure du risque de taux dans le portefeuille bancaire (Interest Rate Risk of the Banking Book2 - « CSRBB »), concluant ainsi la consultation ayant eu lieu au cours de cette année.

Parmi les nouveautés de ce texte, la mesure du risque de spread de crédit dans le portefeuille bancaire (CSRBB) constitue l’évolution la plus notable par rapport aux précédentes orientations de l’ABE. Toutefois, l’absence de prescriptions méthodologiques concrètes rend la mise en œuvre opérationnelle complexe pour respecter le délai d’application prévu pour décembre 2023.

Nous présentons ci-après les éléments saillants du texte et notre point de vue sur les choix d’implémentation possibles.


1. La définition du risque

Le texte définit le CSRBB comme l’impact lié aux éléments suivants :

(a) Les variations du « market credit spread » ou du « market price of credit risk » représentant la prime de risque de crédit exigée par le marché pour une qualité de crédit donnée et ce sans tenir compte de la composante idiosyncratique de la contrepartie ;

(b) Les variations du « spread de liquidité de marché » représentant la prime de liquidité exigée par le marché.

En première lecture, cette définition pourrait apparaître par essence ne concerner que les éléments du bilan comptabilisés à la juste valeur dont les variations sont attribuables à des fluctuations de la prime de « marché » de crédit et de liquidité.

Pour autant, nous estimons (cf. ci-dessous) que cette lecture est par trop restrictive et omet des éléments clés du bilan également sensibles au CSRBB et que le périmètre d’application doit être étudié en fonction du modèle d’affaires.

 

2. Le périmètre d’application et les mesures de risques

L’ABE impose de façon explicite que, au strict minimum, l’ensemble des actifs comptabilisés à la juste valeur soit inclus dans le périmètre des éléments sensibles au CRSSB. Pour autant, dans une logique d’adossement financier, la prise en compte des passifs comptabilisés à la juste valeur également sensible au CSRBB doit faire partie du périmètre.

De façon plus générale, l’ABE indique que l’ensemble du bilan et du hors bilan du Banking Book doit être analysé et que les établissements doivent documenter les exclusions retenues en démontrant l’insensibilité aux évolutions des spread de crédit/liquidité. Les expositions non-performantes demeurent la seule catégorie de produits exclue de façon explicite du périmètre défini par l’ABE.

Les ressources clientèles constituent à notre avis le principal point d’analyse. Par exemple, nous pourrions considérer que les dépôts à vue non rémunérés sont insensibles aux évolutions des spreads de crédit/liquidité et pourraient être éligibles à une exclusion du périmètre.  Il pourrait en être de même pour l’épargne règlementée. Cela conduit toutefois à exclure une partie significative du passif.

La définition du périmètre devrait également dépendre des objectifs & horizons de gestion et des indicateurs de risques considérés.

A cet égard, l’évaluation du CSRBB est appréhendée à travers deux indicateurs : i) la valeur économique des fonds propres (Economic Value of Equity – « EVE ») fondée sur la variation de la valeur actualisée des spreads de crédit & liquidité (hors composante idiosyncratique), ii) un indicateur de revenus homogène à la Marge Nette d’intérêts (MNI). Toutefois, l’ABE ne propose aucune méthodologie pratique pour déterminer l’EVE et la MNI à la différence de l’IRRBB.

Un proxy de l’EVE est déjà utilisé par différentes banques européennes à des fins de gestion du risque de crédit, souvent dénommé « CS01 » (pour un choc de +/- 1 bp de la courbe d’actualisation) et permet de calculer la sensibilité des fonds propres par rapport à un choc de spread de crédit. En revanche, les seules opérations couvertes par cet indicateur sont en général les opérations enregistrées comptablement à la juste valeur.

L’inclusion de produits tels que ceux ne possédant pas de valeur de marché (par exemple crédits à l’habitat) nécessiterait de développer des modèles (et des données) spécifiques eux-mêmes porteurs de risques de modélisation, sans apporter de réel avantage quant à la pertinence de l’EVE et/ou son utilisation pratique. En outre, l’utilisation de données spécifiques, fussent-elles construites à partir de paramètre de marchés rend difficile, voire impossible la couverture (réduction de sensibilité) de l’EVE à l’aide d’instruments de marché.

En revanche, dans le cadre de l’indicateur de revenus (MNI), nous estimons que l’extension du périmètre à d’autres éléments du bilan devrait être considérée. La MNI est déterminée sous une hypothèse de bilan constant (parfois dynamique aligné sur le plan d’affaires) avec un horizon de gestion plus court que celui de l’EVE (avec un horizon d’au moins 1 an imposé par l’ABE) ; en pratique nous avons pu observer des horizons situés entre 2 et 5 ans permettant d’intégrer les contraintes de projection à 3 ans dans le cadre de l’ICAAP.

Ainsi, nous préconisons de considérer l’ensemble des produits dont l’échéance est incluse dans l’horizon de gestion de la MNI et qui de ce fait sont sensibles au risque de re-fixation de la marge de crédit comme, par exemple, les titres en « Hold-to-Collect » dont l’échéance est située à l’intérieur de l’horizon de gestion.

 

3. FAQ de l’ABE : des éléments méthodologiques structurants qui demeurent à la charge des établissements en l’absence de prescription de l’ABE.

Les établissements ont demandé à l’ABE de préciser ses orientations dans l’exercice de FAQ concernant un certain nombre d’éléments structurants à la fois sur les aspects méthodologiques et les impacts en matière de Pilier 2. Nous présentons ci-après un résumé des points critiques et la position de l’ABE qui demeure peu prescriptive en la matière.

  • Une absence de prescription méthodologique en matière de mesure du CSRBB (Q3)
    En dépit des demandes des établissements pour définir des indicateurs de mesure (EVE, MNI) et de choc sur le CSRBB en cohérence avec ceux existants sur l’IRRBB, l’ABE se borne à demander « la prise en compte et la surveillance du CSRBB» sans fournir de précisions additionnelles, laissant les établissements libres dans leurs choix.
    Il devrait en résulter une difficulté de comparaison entre les établissements pour les autorités de supervision. Toutefois, nous estimons que les établissements pourraient s’inspirer des approches détaillées dans les stress-tests EBA pour définir leurs indicateurs de revenus (MNI) notamment pour les hypothèses de sensibilité à l’évolution des spreads.
  • Des exigences de Pilier 2 non requises formellement mais qui demeurent probables (Q4)
    L’ABE ne mentionne pas que le CRSBB pourrait faire l’objet d’une mesure de Pilier 2 sans pour autant l’exclure formellement. Toutefois, nous estimons que les superviseurs devraient interroger les établissements quant à l’inclusion du CSRBB dans leur ICAAP et leur RAF et pourraient in fine imposer des exigences en matière de Pilier 2 au cas par cas. 
  • Une composante Market difficilement identifiable (Q3)
    Les établissements relèvent que la séparation entre la composante crédit et celle de liquidité « de marché » en excluant la composante idiosyncratique est une gageure. L‘ABE admet que cette composante pourrait finalement être intégrée sous réserve de justification adéquate. Nous estimons que les établissements pourraient, en lien avec leurs départements ALM, utiliser comme point de départ leurs méthodologies de Taux de Cession Interne (TCI) et /ou les courbes d’émission pour ceux qui réalisent des programmes de type EMTN. 
  • Un périmètre non défini (Q3)
    En dépit des interrogations des établissements (par exemple sur le traitement des actifs comptabilisés en Hold-to-Collect), l’ABE maintient sa position à savoir que : i) les actifs comptabilisés à la juste valeur doivent faire partie du périmètre, ii) les actifs non performants sont exclus et l’intégration des autres postes du bilan est laissée à l’appréciation des établissements à l’aune de leur horizon de gestion et de leur stratégie. 
  • Pas de définition d’un choc de spread de crédit de référence (Q3)
    L’ABE indique que le dispositif de gestion du CSRBB doit permettre une évaluation du revenu (MNI) et de la valeur (EVE) sur l’horizon court et long terme en prenant en compte divers scénarii de marché (conditions normales et stressées). En revanche, l’ABE ne prévoit pas de définir de façon précise ces scenarii comme pour l’IRRBB.
    Nous estimons que les établissements devraient définir des scénarii « sévères mais plausibles » en cohérence avec l’ICAAP et de ne pas retenir des approches « extrêmes mais plausibles » utilisées dans les plans de rétablissement.

 

4. Une illustration des impacts

La mesure de l’impact en MNI et in fine en PNB nous semble l’indicateur le plus utile. Toutefois sa mise en œuvre soulève plusieurs difficultés liées à la sensibilité estimée des marges en cas d’évolution des spreads. Illustrons cela au travers d’un exemple. Considérons une banque avec la structure de bilan suivante :



La sensibilité du PNB à l’évolution du spread de crédit est alors très dépendante aux hypothèses (en l’espèce les crédits clientèle sont supposés amortissables sur un rythme mensuel et les opérations sont renouvelées à échéance) à l’horizon que nous retenons :
 



Compte tenu de la structure du bilan de notre exemple, en cas de hausse de 100bp de la prime de risque, le PNB diminue la première année puis augmente ensuite. En fonction des hypothèses retenues sur la sensibilité de la rémunération de la collecte au spread de crédit (ici 0 ou 0,2% en cas hausse de 1% du spread) ou de la sensibilité des prix des crédits à la clientèle (ici 1%, 0,1% ou 0,2% en cas de hausse de 1% du spread), l’impact sur le PNB peut être relativement différent.

 

Conclusion :

Les orientations de l’ABE laissent une très grande latitude aux établissements pour déterminer leurs approches en matière de CSRBB qui devrait avoir deux conséquences : la première sera de permettre, dans une certaine mesure, d’aligner les exigences règlementaires sur les dispositifs de gestion existants, voire de les améliorer en tenant compte des orientations de l’ABE. La seconde, devrait aboutir à une difficulté de comparaison entre les établissements ce qui pourrait potentiellement déboucher sur des niveaux de Pilier 2 inhomogènes pour des établissements qui à première vue possèderaient des activités comparables.

A moyen terme, il est raisonnable de penser que les autorités de supervision devraient publier un comparatif, à l’instar d’autres thématiques (ex : ICAAP) et affiner leurs orientations.

A court terme, nous estimons que les établissements devraient dès maintenant initier leurs réflexions, en s’appuyant par exemple sur les dispositifs de stress-tests de l’ABE qui sont plus explicites sur le risque de spread de crédit (choc par contrepartie / géographie/ secteur) et en privilégiant l’impact sur le compte de résultat.


Sources

1 EBA/GL/2022/14 FINAL REPORT ON GUIDELINES ON THE MANAGEMENT OF INTEREST RATE RISK AND CREDIT SPREAD RISK ARISING FROM NON-TRADING BOOK ACT

2 EBA/RTS/2022/09 et EBA/RTS/2022/10 (SOT) – 2 ORIENTATIONS SPECIFIQUES A L’IRRBB