Points de vue

Une rémunération pour maximiser ses cotisations à un REER

pourquoi la pratique serait périmée

Les professionnels de la fiscalité soulignent l’importance de maximiser les cotisations à un REER. Cependant, verser un salaire à un propriétaire de petite entreprise ne saurait être la meilleure stratégie fiscale.

Les stratégies consistant à payer des dividendes ou à laisser l’argent dans l’entreprise pour payer les impôts méritent d’être examinées. Voyons voir.

Écrit par Victor Lu et Justin Abrams

Les avantages à laisser l’argent dans l’entreprise

Intégration et avantages liés aux taux d’imposition
Dans un monde parfait, les particuliers ne devraient pas se soucier de toucher un revenu personnel ou par l’intermédiaire d’une société. Le montant de l’impôt payé sur le salaire gagné devrait être égal au total de l’impôt sur le revenu d’une société et sur les dividendes du particulier. Pourtant, cela n’est pas toujours le cas, compte tenu des différences entre les taux d’imposition des provinces. 

Il est possible de faire des économies d’impôt réelles en choisissant d’imposer les bénéfices au niveau de l’entreprise, puis en imposant les dividendes payés aux actionnaires.

Par exemple, en Ontario, cela se traduit par une économie réelle de 3,22 %.

Avantage du report d’impôt
Il faut aussi se demander si l’actionnaire a besoin de l’argent généré par l’entreprise pour ses propres besoins. Si l’on compte sur d’autres sources de revenus pour payer ses dépenses personnelles. Il n'est peut-être pas nécessaire d’ajouter un autre salaire pour maximiser ses cotisations à un REER. Et puisque le taux d’imposition sur le revenu des petites sociétés est en général plus bas que celui de l’impôt des particuliers, on obtient un report d’impôt substantiel en conservant et réinvestissant les fonds au niveau de l’entreprise (ou du groupe d’entreprises).

Par exemple, en Ontario, si l’on conserve des fonds dans la société, dont le taux d’imposition sur le revenu des petites sociétés est de 15,5 % plutôt que de l’imposer dans les mains du particulier, dont le taux marginal est de 49,53 %, ceci permet de reporter environ 34 % d’impôt (partagez ce tweet). Ce report ne représente pas d’économie fiscale, mais établit la chronologie de l’avantage, car ces fonds seront éventuellement imposés lorsqu’ils seront versés sous forme de dividendes aux particuliers. L’avantage du report diminue à environ 23 % si ce même revenu est imposé dans le cadre de l’entreprise au taux général d’imposition sur le revenu des sociétés de l’Ontario.

Les désavantages de toucher un salaire

En plus du taux d’imposition des particuliers qui est plus élevé et de la perte, en partie, du report d’impôt, le paiement d’un salaire entraîne le paiement de cotisations salariales, à la fois par le particulier et par la société.

Cotisations au Régime de pensions du Canada (RPC)
Un propriétaire d’entreprise qui reçoit un salaire (et qui est donc un employé de l’entreprise) doit verser des cotisations au RPC. En 2013, les cotisations de l’employé et celles de l’employeur correspondent à 4,95 % de tout salaire payé, jusqu’à concurrence d’un salaire de base maximum de 51 100 $. Cela représente, pour l’employé comme pour l’employeur, une dépense de 2 356,20 $ chacun. L’employeur peut récupérer une partie de ce coût additionnel comme dépense déductible de son revenu imposable, et l’employé pourra réclamer un crédit d’impôt personnel en produisant ses déclarations de revenus.

Cotisations d’assurance-emploi
Si l’employé n’est pas exempté du paiement des cotisations d’assurance-emploi, il doit verser des cotisations sur le salaire reçu jusqu’à un maximum de 891,12 $, soit la limite fixée pour 2013. L’entreprise doit pour sa part aussi verser des cotisations d’assurance-emploi correspondant à 1,4 fois le montant des cotisations de l’employé (pour un maximum de 1 247,57 $), ce qui représente un coût total de 2 138,67 $. Tout comme pour les cotisations au RPC, une partie de ce coût additionnel peut être récupérée, tant par l’employeur que par l’employé.

Impôt-santé des employeurs
Certaines provinces perçoivent un impôt supplémentaire sur la rémunération versée. En Ontario, par exemple, les entreprises qui dépassent une rémunération totale de 400 000 $¹ doivent payer un impôt-santé des employeurs de l’Ontario de 1,95 %.

En revanche...

Les REER offrent une protection contre les créanciers
Le REER offre, quant à lui, un avantage supplémentaire, soit de permettre une protection contre les créanciers. En effet, un REER de propriétaire d’entreprise est protégé des créanciers en cas de faillite tandis que les investissements dans une société ne le sont pas.

Ne perdez pas votre exonération cumulative des gains en capital
Les investissements faits par l’entreprise peuvent être risqués et empêcher le propriétaire de réclamer l’exonération cumulative sur les gains en capital réalisés au moment de la vente de ses actions de petite entreprise.

En effet, la déduction cumulative sur les gains en capital permet, au particulier de recevoir jusqu’à un maximum de 750 000 $ de gains en capital non imposables (maximum que l'on propose d'établir à 800 000 $ pour 2014), à la vente de ses actions de petite entreprise. Toutefois, pour que les actions soient admissibles à cette déduction, 90 % ou plus de la valeur des actifs de l’entreprise doivent être utilisés dans une entreprise exploitée activement au moment de la vente. Le fait d’investir l’argent conservé qui aurait autrement été versé sous forme de salaire au propriétaire ou aux propriétaires risque de rendre les actions inadmissibles puisque cet argent servirait à tirer un revenu d’un investissement passif au lieu de produire des bénéfices d’une entreprise active.

Partage du revenu
Le choix de conserver les fonds au niveau de l’entreprise, plutôt qu’une cotisation au REER de l’actionnaire par le versement d’un salaire additionnel, permet plusieurs possibilités de fractionnement du revenu de la société, comme le versement de dividendes ou d’un salaire raisonnable à des actionnaires ayant plus de 17 ans, ce qui permet de faire baisser considérablement le fardeau fiscal global de la famille.

Conclusion

Si vous avez besoin de liquidités, et selon la province de résidence, vous risquez de payer plus d’impôt en recevant un salaire au lieu de laisser les fonds dans l’entreprise, et de payer l’impôt au taux d’imposition du revenu des sociétés pour ensuite le retirer sous forme de dividendes et de renoncer à cotiser à un REER. Si vous n’avez pas besoin de liquidités immédiatement, vous risquez de passer à côté d’un report important d’impôt en vous versant un salaire qui sera immédiatement imposé, plutôt que de laisser l’argent dans l’entreprise pour bénéficier du taux préférentiel d’imposition du revenu des petites sociétés.

Il n’existe aucune règle uniforme qui peut s’appliquer à tout le pays, et il faut continuer de s’efforcer de bien cerner vos objectifs et vos besoins en liquidités pour pouvoir déterminer quelle est la meilleure stratégie pour votre situation.

 

¹ Au moment de la rédaction de l’article, le budget de l’Ontario prévoyait de faire passer le montant d’exemption à 450 000 $ à compter du 1er janvier 2014, comme mesure d’indexation en fonction de l’inflation. Le budget a également proposé d’éliminer cette exemption pour les employeurs du secteur privé versant une rémunération annuelle totale de plus de 5 000 000 $.

Victor Lu est analyste fiscal principal qui travaille plus particulièrement auprès des clients du secteur Consommation. Il est spécialisé dans le domaine de la conformité des sociétés privées et possède des connaissances et une expérience des impôts des particuliers.

 Justin Abrams est directeur fiscal chez Deloitte et se spécialise dans le domaine des impôts pour les sociétés privées ou gérées par le propriétaire, y compris la restructuration de sociétés, la planification successorale et les fusions et acquisitions.

 

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