Points de vue

Sables bitumineux : un financement plus ardu

Comment le secteur des sables bitumineux pourrait-il devenir plus modéré, souple et ouvert tout en demeurant rentable? Lisez notre billet.

Par Geoff Hill 

« Nous ne réaliserons nos ambitions en tant que pays que si nous attirons les investissements étrangers directs. »

Ainsi s'exprimait Jim Prentice, alors ministre fédéral de l'Industrie, la veille de son allocution à la Conférence annuelle sur le pétrole et l'argent à Londres. Il a déclaré aux délégués de la Conférence que les ambitions du Canada pourraient être contrariées par une baisse spectaculaire de 92 % des investissements étrangers dans le secteur canadien de l'énergie, soit 2 milliards comparativement à 27 milliards en 2012.

Le ministre Prentice parlait des changements apportés à la Loi sur Investissement Canada. La loi révisée exige un examen accru des entreprises d'État qui souhaitent investir dans le secteur canadien des sables bitumineux.

Comme l'a si bien exprimé un représentant du gouvernement chinois :   « Nous préférons nous retirer si nous ne sommes pas les bienvenus. »

Selon un rapport du Canadian Energy Research Institute (CERI) publié l’an dernier, les sociétés étrangères, y compris des sociétés américaines, ont investi 30,3 milliards de dollars dans les sables bitumineux de 2004 à 2012. Les investissements des États-Unis et de la Chine comptent respectivement pour 33 % de ce total.

Bien intentionnés, ces changements à la loi sont destinés à empêcher les entreprises d'État d'acquérir une participation de contrôle d'une société du secteur des sables bitumineux à moins que ce ne soit à « l’avantage net » du Canada, et seulement dans des circonstances     « exceptionnelles ».

Toutefois, les répercussions des nouvelles règles vont bien au-delà d'une seule année de recul des investissements.

Rite de passage
Dans notre quatrième rapport annuel Le secteur des sables bitumineux gagnera-t-il du terrain?, nous examinons non seulement pourquoi ces changements empêcheront les entreprises d'État d'exercer leur influence sur notre économie, mais aussi comment les nouvelles règles empêcheront les producteurs d'investir dans leur avenir et dans celui du Canada.

Dans le secteur commercial comme dans les finances personnelles, il est plus facile d'emprunter quand on n'a pas besoin d'argent. Or, ce luxe échappe à bon nombre d'entreprises naissantes et intermédiaires dans le secteur des gisements pétrolifères. Il faut avoir les capitaux dès le départ. En revanche, dans le secteur de la production de pétrole et de gaz classiques, le producteur éventuel peut se hisser au sommet un puits à la fois.

Hélas, la nouvelle Loi sur Investissement Canada est ambiguë sur d'importants points. Par exemple :

  • S'agit-il d'une « acquisition de contrôle » si une entreprise d'État finance plus de 50 % d'un projet ou plus de 50 % de la dette d'une société? Que se passe-t-il si le financement est réparti entre plusieurs entreprises d'État ou parmi un groupe d'entreprises d'État et de sociétés privées d'investissement (même si elles sont établies dans le même pays)?
  • Est-ce à « l'avantage net » du Canada si le projet peut se réaliser grâce au financement d'une entreprise d'État, mais qu'il échoue, voire entraîne la faillite de la société, sans les capitaux de cette entreprise d'État?
  • Est-ce une « exception » si l'application d'une technologie canadienne se répand dans le monde entier grâce aux investissements d'une entreprise d'État?

Cette ambiguïté signifie qu'une société pourrait investir des millions de dollars avant que le gouvernement ne décide d'approuver son projet.

Le terrain est la limite
Comme l'a si bien exprimé un représentant du gouvernement chinois : « Nous préférons nous retirer si nous ne sommes pas les bienvenus ». Ou comme un producteur a résumé la situation : « Est-ce fatal? Non. Est-ce utile? Pas du tout ».

En fait, les producteurs nord-américains, axés sur le rendement aux actionnaires plutôt que sur les objectifs gouvernementaux, doivent non seulement adopter une vision à plus court terme que la plupart des entreprises d'État, mais ils doivent en outre renoncer à toute certitude. Par exemple, ils ignorent tout de la qualité du réservoir et de la production qu'ils peuvent espérer. À l'heure actuelle, le sort des pipelines demeurant incertain, l'accès au marché est loin d'être assuré. Qui plus est, la fluctuation constante entre l'étalon des cours mondiaux du pétrole brut et le prix que peuvent obtenir les exploitants des sables bitumineux n'est presque jamais à leur avantage.

Entre-temps, les évaluations environnementales se multipliant, l'image publique du secteur commence à être mise à mal et l'accès aux capitaux à se compliquer. En mars dernier, Standard Poor’s a laissé entendre que les contraintes grandissantes à l'égard du carbone modifient les modèles financiers « fondés sur le rendement et la solvabilité antérieurs » au point d'en compromettre la pertinence. Ces effets, que ressentiront davantage les entreprises de plus petite taille, pourraient mener à des perspectives négatives et à des déclassements.

Ces entreprises seront évidemment les plus durement touchées par les changements apportés à la Loi sur Investissement Canada.

En définitive, les producteurs devront tous arriver à en faire plus avec moins. Les entreprises doivent investir davantage dans des solutions écologiques telles que les suivantes :

  • Technologies écoénergétiques;
  • Processus sans eau;
  • Cogénération.

Ces solutions leur permettront d'économiser de l'argent et d'améliorer leurs perspectives de financement. Elles doivent, par ailleurs, investir dans des outils qui améliorent la gestion des actifs et dans des programmes qui permettent de transférer les connaissances à la prochaine génération de leaders.

Une croissance coûteuse
Le secteur des sables bitumineux est à un point critique : à la fin d'une première poussée de croissance rapide sans être pleinement mature, mais montrant des signes évidents de mûrissement. Or, si les investissements et la planification se limitent uniquement à l'immédiat, le secteur risque de s'atrophier. Si le secteur des sables bitumineux parvient à saisir cette réalité, il deviendra plus modéré, plus souple et plus ouvert sur le monde tout en demeurant rentable dans un univers où les émissions de carbone sont contrôlées de manière de plus en plus contraignante.

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