[#3 Traçabilité] Les clés pour choisir son outil de traçabilité

L’essor de la mondialisation et le principe du libre-échange ont favorisé la complexité et la fragmentation des chaînes d’approvisionnement dans toutes les industries.

Si, jusqu’à peu, ne pas maîtriser l’ensemble des étapes et lieux de production de ses produits ne constituait pas un enjeu prioritaire pour les entreprises, de nombreux scandales environnementaux et d’atteinte aux droits humains sur les chaînes d’approvisionnement ont mis en lumière ces dernières années les risques d’un tel manque de visibilité. Ces derniers ont également participé au renforcement du paysage réglementaire, avec par exemple les lois sur le devoir de vigilance et l’affichage environnemental.

Les crises sanitaires et géopolitiques récentes ont exacerbé l’urgence pour les entreprises à renforcer la connaissance de leurs chaînes d’approvisionnement afin d'anticiper les risques de pénuries. Ce contexte encourage de plus en plus d’entreprises à lancer leur propre démarche de traçabilité, comme prérequis à toute stratégie de décarbonation ou d’amélioration des pratiques en matière de droits humains. Cette dynamique demande un investissement financier et en ressources humaines afin d’embarquer ses parties prenantes internes et ses fournisseurs de tous rangs.

Comment anticiper et préparer ce travail, dont le point de départ demeure le choix de l’outil adapté aux besoins de l’entreprise ?

Voici selon nous les principales clés de succès pour choisir son outil de traçabilité :

Insight n°1 : faire coïncider technologie et objectifs

On distingue deux types de technologies : la technologie blockchain et la technologie SaaS (Software as a Service). Si la première permet de sécuriser les données en enregistrant de manière immuable chaque transaction entre acteurs¹, elle est cependant plus adaptée aux chaînes d’approvisionnement dont on connaît déjà une bonne partie des fournisseurs. Dans le secteur du luxe, l’initiative Aura utilise sa propre plateforme de traçabilité pour garantir l’authenticité des produits grâce à la technologie blockchain.

La technologie SaaS, quant à elle, se justifie lorsqu’on souhaite remonter « en cascade » une chaîne d’approvisionnement méconnue (selon une logique ascendante). En effet, ce système permet d’inviter ses fournisseurs à rejoindre la plateforme afin qu’eux-mêmes invitent leurs propres fournisseurs et ainsi de suite jusqu’au maillon-cible de la chaîne. On découvre ainsi sa chaîne d’approvisionnement au fur et à mesure du déploiement de la démarche.

 

Insight n°2 : anticiper les freins fournisseurs

Une démarche de traçabilité peut soulever différentes formes de réticences, à la fois en interne dans l’entreprise et de la part des fournisseurs. On dénombre trois freins importants pour lesquels il est nécessaire de vérifier que l’outil choisi propose des leviers d’atténuation :

• La confidentialité : c’est le nerf de la guerre lorsqu’on aborde le sujet de la traçabilité. En effet, certains fournisseurs ne souhaitent pas partager l’intégralité de leurs informations car elles constituent un savoir ou un savoir-faire à protéger : c’est le cas par exemple lorsqu’on parle au fournisseur ou à un négociant d’une formule cosmétique. Plusieurs plateformes de traçabilité permettent de limiter les informations partagées avec son client, telles que IMDS, qui permet d’identifier des données confidentielles, ou Transparency-One qui permet de choisir le niveau de visibilité souhaité entre trois options : complète, géographique ou composition seulement.
• Les ressources humaines nécessaires : il ne faut pas sous-estimer le temps que les acheteurs et les fournisseurs vont passer à déclarer les informations requises.
  Un outil ergonomique, qui accepte de faire évoluer le parcours fournisseur selon leurs retours et qui propose des solutions d’interopérabilité avec les systèmes d’information des entreprises aura plus de chances de faire l’unanimité. L’outil Tilkal, basé sur une blockchain B2B, permet par exemple de créer des API avec les systèmes internes du client ou du fournisseur, mais aussi de se connecter avec d’autres plateformes de traçabilité.
  De même, une plateforme proposant un accompagnement humain et personnalisé dans la prise en main de l’outil sera un atout non négligeable pour le succès de la démarche, c’est le cas de Transparency-One avec son partenaire SGS, ou de TrusTrace qui met à disposition des fournisseurs un call center pour les aider à déclarer leurs données lors des premières connexions.
  Enfin, la structure même de l’outil joue un rôle important pour gagner du temps dans le remplissage des données, que ce soit dans une démarche de découverte de ses chaînes d’approvisionnement ou dans une démarche de suivi au lot des produits d’une chaîne d’approvisionnement dont on connaît déjà les différents maillons. Dans le premier cas, une plateforme dite « en réseau », comme SupplyShift ou Transparency-One, permettant à tous les participants de partager leurs informations avec n’importe lequel de leurs clients sans avoir à déclarer une nouvelle fois leurs informations, remportera tous les suffrages. Idem dans le cas des technologies blockchain : les informations peuvent aussi être partagées entre tous les membres du réseau de la blockchain, c’est le cas de Sustainability Map. Pour certaines filières, il est assez fréquent que les donneurs d’ordre aient plusieurs fournisseurs en commun (de grands acteurs de l’industrie chimique ou minière par exemple), à différents niveaux de leurs chaînes d’approvisionnement. Il est donc primordial pour les fournisseurs de pouvoir partager leurs données avec plusieurs de leurs clients sans avoir à refaire le travail de déclaration.
• Le coût de la plateforme pour les fournisseurs : au départ, les fournisseurs ont tendance à considérer la démarche de traçabilité comme une énième demande de leur client, sans la transposer à leur propre démarche RSE et commerciale. Se diriger vers une plateforme gratuite ou à coût réduit pour les fournisseurs telle que Sourcemap permet de ne pas ajouter un frein supplémentaire au travail de conviction nécessaire à l’implémentation du projet.

 

Insight n°3 : adapter son choix aux spécificités du secteur

Chaque secteur a ses propres caractéristiques et enjeux, qui peuvent influencer le choix de l’outil et le type de données à collecter auprès d’une chaîne d’approvisionnement.

En premier lieu, une étude des initiatives sectorielles existantes, voire un dialogue avec les fournisseurs et acteurs de l’industrie est recommandé. Une plateforme ou une technologie blockchain pourrait être largement utilisée par certains fournisseurs dans des industries transverses et il serait dommage de ne pas profiter du poids des autres acteurs pour maximiser le retour sur investissement de la démarche. C’est le cas par exemple de la plateforme IMDS, plébiscitée par les parties prenantes, secteur et hors secteur, de l’automobile.

La composition des produits à tracer est également une source d’informations importante : elle va conditionner le niveau de granularité des informations à déclarer sur l’outil. Dans le cas d’un smartphone par exemple, il est nécessaire de pouvoir déclarer la composition du produit pour le tracer dans son intégralité : de l’écran jusqu’aux composants de la carte-mère. C’est au contraire moins évident dans le cas d’un tee-shirt en coton, qui suit, certes, de nombreuses étapes de fabrication, mais qui sont des produits mono-matière. La technologie blockchain peut ainsi s’avérer plus pertinente dans le cas d’un produit avec une composition simple : c’est le cas par exemple de la plateforme Connecting Food qui permet de tracer les produits alimentaires.

Enfin, le niveau de personnalisation proposé par la plateforme est déterminant, que ce soit pour mesurer les risques RSE des chaînes d’approvisionnement ou pour personnaliser les tableaux de bord de suivi (data visualization) selon ses processus achats.

La plateforme parfaite, qu’elle soit SaaS ou blockchain, n’existe probablement pas. Il est donc préférable d’accorder une attention particulière à l’équipe projet de l’outil sélectionné. Plus celle-ci se place dans une démarche de co-construction avec ses clients et avec les fournisseurs, plus il y a de chances de pouvoir « façonner » le projet selon ses objectifs.

Dans tous les cas, comme pour la prise en mains de n’importe quel outil digital, il est judicieux d’envisager de mener une phase pilote auprès de plusieurs filières ou fournisseurs prioritaires avant de déployer l’outil à l’intégralité de son panel fournisseurs. Cette phase pilote permet de tester, mesurer les résultats, déterminer les bons outils d’accompagnement fournisseurs pour les rangs supérieurs à 1 et ainsi de concevoir un plan de déploiement adapté. Ce sont incontestablement les modalités de dialogue avec les fournisseurs et les outils mis à leur disposition qui assureront le succès de la démarche.

Sources

¹ https://www.ibm.com/fr-fr/topics/what-is-blockchain