Point de vue

Comptabiliser et déclarer les carburants d’aviation durables dans un paysage normatif en pleine évolution

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Comptabiliser et déclarer les carburants d’aviation durables dans un paysage normatif en pleine évolution

Comment les normes comptables et de reporting concernant les carburants d’aviation durables (CAD) sont-elles amenées à se développer ? Que peuvent faire les entreprises dès aujourd’hui pour bénéficier des avantages liés à ces carburants alternatifs ?

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Cet article a été rédigé par Axelle Fraissignes, Clément Limare de Deloitte et Tom Berg et Floor Vogels de SkyNRG.

De nombreuses entreprises à travers le monde prennent des mesures pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Un des premiers efforts a porté sur la réduction des voyages d’affaires qui représentent entre 10% (dans l’industrie manufacturière) et 50% (dans les autres secteurs dont celui du conseil) des émissions totales. Ainsi, les entreprises ont progressivement mis en place des actions pour réduire leurs déplacements aériens.

Néanmoins, bien conscientes qu’elles ne pourront pas les supprimer entièrement, une alternative s’offre aux compagnies grâce aux carburants d’aviation durables (Sustainable Aviation Fuels en anglais) afin de limiter leur empreinte carbone. Aujourd’hui, encore peu d’entreprises investissent dans l’achat de SAF car elles doivent faire face à deux principaux obstacles : les restrictions budgétaires, ainsi que le flou persistant sur la manière de comptabiliser et de déclarer les émissions liées à ces carburants. 

Nous savons que les SAF représentent une opportunité de décarboner nos émissions de scope 3, néanmoins le processus d'achat n'est pas toujours très clair et la tarification incertaine. De fait, nous ne savons pas vraiment comment bien le comptabiliser et déclarer ses avantages dans notre bilan carbone. Il y a encore beaucoup de confusions

Responsable Transport d’un groupe international de produits de Luxe

Dans le même temps et de façon paradoxale, la demande des entreprises en matière de SAF est essentielle pour dérisquer les investissements nécessaires au développement de la production de ces carburants alternatifs.  

Deloitte et SkyNRG décryptent dans cet article comment les entreprises peuvent réduire leurs émissions liées aux voyages d'affaires grâce au SAF et comment elles peuvent composer avec les incertitudes liées aux directives comptables et de reporting d'aujourd'hui.  

Comment les entreprises intègrent-elles et déclarent-elles les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées aux SAF dans leur reporting aujourd’hui ?  

La plupart des carburants d’aviation durables sont achetés par les entreprises via le mécanisme « book and claim ». Le SAF est « réservé » dans un système de carburant, tandis que ses bénéfices environnementaux sont « déclarés » ailleurs. Ce système permet aux entreprises de dissocier les avantages du carburant d'aviation durable du carburant physique, de les acheter et de les déclarer afin d’atteindre leurs objectifs de durabilité. Ce mécanisme de « book and claim » a vocation à étendre l’utilisation de SAF et développer des chaînes d'approvisionnement plus durables. En effet, même de faibles quantités de SAF peuvent être achetées par des acteurs dans le monde entier. Ces carburants durables peuvent être livrés à proximité du lieu de production réduisant ainsi les émissions liées au transport. Malheureusement, les normes actuelles ne sont pas toujours très claires sur la façon dont les entreprises peuvent déclarer les avantages environnementaux liés à ces SAF. 

Le GHG Protocol (pour Greenhouse Gas Protocol) ou Protocole de Gaz à Effet de Serre est la méthode de comptabilisation et de déclaration des GES la plus largement utilisée par les entreprises. Ce protocole facilite cette comptabilisation en se basant sur les facteurs d'émission basés sur les flux physiques, tels que les litres de carburant brûlés. Les émissions liées à l'électricité constituent une exception à cette règle : les entreprises peuvent les réduire par le biais de certificats contractuels attestant de leur achat d'électricité renouvelable, ce que l'on appelle des « mesures fondées sur des mécanismes de marché ». Cela semble également être la voie la plus logique pour le SAF, mais il n'y a pas encore de directives concluantes en place.  


Quelles sont les conséquences de l'absence d'indications claires quant aux directives de reporting existantes ? 

En raison de ce manque d’orientation normative, certaines entreprises hésitent à investir davantage dans les SAF. Pour permettre aux entreprises de devenir un catalyseur plus important du déploiement des carburants d'aviation durables, un éclaircissement des règles de comptabilisation des gaz à effet de serre associées aux directives Science Based Targets Initiative (SBTi) est nécessaire pour que les achats de SAF puissent être valorisés et contribuer aux objectifs de réduction de GES.  

Une plus grande clarté sur ces aspects de comptabilisation et de reporting permettrait de conclure des contrats à plus long terme et sur des volumes plus importants pour les certificats de SAF, ce qui contribuerait à réduire les risques liés aux installations de SAF et permettrait d’en développer de nouvelles.   

Dans le même temps, d'autres normes voient le jour pour guider les acheteurs, les producteurs et les vendeurs de SAF sur la manière de déclarer les allégations de réduction des émissions liées aux carburants d’aviation durables. Il s'agit notamment de la norme RSB (Roundtable on Sustainable Biomaterials) Book and Claim , et du framework de durabilité développé par le SABA (Sustainable Aviation Buyers Alliance), ainsi que celles du rapport du CSK (Clean Skies for Tomorrow) & du Forum Economique Mondial (World Economic Forum).  

Même si les directives sur la comptabilisation des GES à partir des SAF ne sont pas encore clairement établies, ces premières normes permettent déjà de fournir des premières recommandations sur des sujets tels que le risque de double comptabilité et le principe d’additionnalité1. Co-développées par un large éventail de parties prenantes, y compris des universités et des ONG, elles ont mis des années pour émerger et font aujourd’hui consensus dans l’industrie quant à la manière de déclarer les SAF, permettant ainsi un volume d’achat croissant de carburants durables. 


A quelles évolutions pouvons-nous nous attendre à l’avenir ?  

Le SBTi et le GHGP ont récemment ouvert une consultation auprès de leurs parties prenantes concernant les mesures fondées sur les mécanismes de marché (market-based) et les attributs environnementaux associés2. Le résultat de cette consultation est susceptible d'influencer les décisions liées au GHG Protocol sur l'utilisation des attributs environnementaux négociés dans la comptabilisation des émissions, y compris les SAFc (certificats SAF). Cependant, il est probable de devoir attendre au moins jusqu'en 2025 pour que le GHG Protocol publie des directives à jour, de sorte que les résultats des initiatives SBTi aboutissent à des directives provisoires jusqu'à ce qu'une décision finale du GHGP soit actée sur les mesures fondées sur les mécanismes de marché.  

Ce qui favorise considérablement les SAF, est le fait que le besoin de mesures fondées sur le marché n'est pas propre au SAF et n’est donc pas indispensable pour permettre au secteur de se développer. Ce problème est commun à toutes les sources d’énergie qui sont transportées dans les infrastructures de transport combinant hydrogène, biométhane et CO2 par exemple. En l'absence d'une solution viable et soutenue par les secteurs qui produisent et utilisent ces produits, la légitimité du GHG Protocol en serait affectée, ce qui inciterait les entreprises à s'en éloigner et à adopter d'autres normes qui répondent à leurs besoins en matière de reporting.

Compte tenu du soutien et de l'utilisation généralisée de mesures fondées sur les mécanismes de marché, il est probable que cela continuera d'être autorisé. La question est de savoir dans quelles conditions cela sera permis. Les discussions et les opinions qui divergent sont susceptibles de tourner autour de trois problématiques :  

Ce qui aide considérablement la SAFc, c'est que le besoin de mesures basées sur les mécanismes de marché n'est pas propre au SAF. Ce problème est commun à tous les vecteurs énergétiques qui sont transportés dans des infrastructures pipelinières mixtes, comme l'hydrogène, le biométhane et le CO2. En l'absence d'une solution viable soutenue par les secteurs produisant et utilisant ces matières premières, la légitimité du GHG Protocol serait compromise, ce qui amènerait les entreprises à s'en détourner et à adopter d'autres normes adaptées à leurs besoins en matière de déclaration. Compte tenu du soutien et de l'utilisation généralisée des mesures fondées sur les mécanismes de marché, il est probable que ces mesures continueront d'être autorisées. La question est de savoir dans quelles conditions cela sera autorisé. Les discussions et les divergences d'opinion devraient s'articuler autour des questions suivantes :   

  • Dans quelle mesure les critères d'additionnalité seront-ils contraignants ? Autrement dit, le SAF pourra-t-il être combiné à d’autres dispositifs d’incitations réglementaires ? 
  • Quelles seront les exigences en matière de chaîne de traçabilité ? Par exemple, les réductions d’émissions des SAFc devraient elles d’abord être comptabilités en Scope 1 puis en Scope 3 ? 
  • Quels mécanismes seront mis en place pour éviter la double comptabilisation ? Cela nécessitera-t-il de d’enregistrer le SAFc dans un registre approuvé par le GHG Protocol ? 

 

Que peuvent faire les entreprises dès aujourd'hui ?  

Les entreprises qui comptent sur les SAF pour réduire leurs émissions liées aux déplacements professionnels, aujourd'hui ou à l'avenir, doivent prendre une décision. Elles peuvent suspendre leurs investissements dans les SAF jusqu'à ce que le SBTi et le GHG Protocol apportent plus de clarté, ou entrer sur le marché des SAF en naviguant le mieux possible dans ces incertitudes. 

La bonne nouvelle, est qu'il existe déjà des normes et des registres qui ont recueilli un large consensus sectoriel après quelques années d’expérimentation, comme ceux développés par RSB, SABA et Smart Freight Center. Ces normes se sont accordées sur des sujets tels que l'additionnalité, le double comptage et les exigences en matière de chaîne de traçabilité, et il est fort probable que les futures normes s'appuieront sur ces éléments.  

Les acheteurs de SAF perçoivent bien ces premiers signaux et déclarent d’ores-et-déjà les avantages environnementaux associés à l'achat de ces carburants. Ces acheteurs deviennent ainsi les fers de lance du marché des SAF et de potentiels leaders en matière de durabilité pour l’avenir. En s’engageant dans des achats à long terme, ils aident le marché à se développer et limitent leur exposition aux futurs risques de pénuries de SAF. Avec les mandats appliqués dans le monde entier, ce risque de pénurie devrait persister voire s'aggraver, ce qui met d’autant plus en évidence l’importance de sécuriser les volumes rapidement. 

Une entreprise désireuse d'acheter du SAF pour décarboner son scope 3 doit prêter attention à deux aspects principaux : 1) la qualité du SAF et sa conformité aux standards SBTi, 2) l'impact du SAF sur la manière de divulguer ses émissions de GES. Il est fortement recommandé d'impliquer l'auditeur ou le prestataire de services d'assurance ESG le plus tôt possible dans le processus.

Julien Rivals, Associé Deloitte France

Nous avons pu constater qu’il y a un dénominateur commun à toutes les pratiques des entreprises. Ces dernières discutent étroitement des reportings SAF avec leurs auditeurs afin d’éviter les mauvaises surprises. 

Il est essentiel de disposer d'une comptabilité et d'un reporting crédibles et robustes en matière de SAF, car ils permettent de communiquer sur la valeur des SAF aux entreprises et à leurs parties prenantes. Il n'a jamais été aussi important de bien faire les choses dès maintenant car le défi auquel nous sommes confrontés est énorme. Et bien que les marchés réglementaires jouent un rôle majeur dans le déblocage d'un plus grand volume de SAF, les entreprises sont un moteur indispensable supplémentaire pour réduire les risques liés au déploiement de ces carburants alternatifs. Le secteur peut être reconnaissant d'avoir maintenant mis en place des directives qui donnent une orientation en termes de comptabilité et de reporting sur les SAF, tout en s’assurant d’être alignés avec les auditeurs pour atténuer le risque de ne pas obtenir l'approbation des rapports sur les émissions.  

Commencer votre voyage SAF peut sembler intimidant, mais d'autres ont fait ce chemin avant vous. Avec les bons partenaires qui ont acquis les connaissances nécessaires et les bons fournisseurs de SAF, vous pouvez vous aussi devenir pionnier sur le sujet des carburants d’aviation durables et faire preuve de leadership par le biais de vos reportings

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