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Brillantes idées 

Le réseau électrique est trop important pour échouer

Le présent article fait partie d’une série explorant les enjeux les plus importants auxquels le secteur canadien de l’énergie, des services publics et des énergies renouvelables doit faire face pour aider le Canada à atteindre son objectif de carboneutralité.

Il est crucial de bâtir une infrastructure résiliente pour l’avenir et il faut agir dès maintenant!

Tout le monde conviendrait qu’il est crucial pour la sécurité énergétique et la stabilité sociale du Canada d’avoir un réseau électrique résilient, capable de résister à des phénomènes météorologiques extrêmes et à des cyberattaques et pouvant rapidement être remis en service. L’évaluation de la flexibilité du réseau électrique nécessite cependant la prise en considération de quelques facteurs. Quel est le degré de résilience actuel de notre réseau? Quels investissements financiers devrions-nous être disposés à effectuer pour l’améliorer? Quels types d’investissements devons-nous effectuer? Enfin, comment saurons-nous que nous sommes parvenus à la situation souhaitée?

Des semaines après que l’ouragan Fiona a frappé le Canada atlantique en septembre 2022, les résidus de l'ouragan Nicole se sont abattus dans cette région avant que le courant électrique ait pu être rétabli chez certains abonnés. Cette deuxième tempête a exercé une pression considérable sur le réseau électrique et fait craindre que les arbres affaiblis par le passage de Fiona endommagent d’autres lignes électriques.

Les intempéries ne sont évidemment pas les seuls risques auxquels le réseau est exposé. Des phénomènes ponctuels imprévisibles, une tempête solaire ou une éjection de masse coronale par exemple, peuvent avoir sur tout le réseau des répercussions tout aussi dévastatrices et causer des dégâts qu’il est tout aussi difficile de réparer.

Les cyberattaques représentent une autre menace : elles causent des ravages dans les secteurs de l’énergie, des services publics et des énergies renouvelables; plusieurs entreprises ont été victimes d’actes de piratage informatique en 2022. Ainsi, 77 % des sociétés américaines du secteur de l’énergie, services publics compris, seraient vulnérables à des rançongiciels. Cette tendance ne va que s’intensifier à mesure que la numérisation du réseau progressera et que son importance sera amplifiée par l’électrification1 .

Bien que les cyberattaques puissent provenir de partout dans le monde, les attaques physiques locales peuvent être tout aussi problématiques. Des attaques physiques de la part d’extrémistes, comme cela a récemment été le cas aux États-Unis, commencent à mettre en lumière la vulnérabilité de cette infrastructure essentielle.

Aujourd’hui, la majeure partie du réseau électrique est exposée à des menaces présentant divers degrés de gravité et pouvant avoir un effet cumulatif, ce qui risque de provoquer des bouleversements, voire des catastrophes. Dans un contexte où ces menaces se multiplient, les entreprises de services publics risquent de devoir affecter des sommes plus importantes pour réparer le réseau alors que les fonds devraient être consacrés à l’expansion, au remplacement et à la modernisation de la capacité de production et de l’infrastructure du réseau électrique. Il s’agit d’un problème que les dirigeants ne peuvent se permettre d’ignorer. La seule solution consiste à bien comprendre les risques et à affecter les ressources nécessaires à la construction d’un réseau résilient.

Bâtir un réseau résilient

Qu’il s’agisse du climat, de la cybersécurité ou d’une pandémie, le secteur de l’énergie doit se doter d’une infrastructure résiliente, capable de résister à tout ce qui peut se produire. Cependant, la recherche de la résilience est semée d’embûches. Les coûts sont élevés, ce qui peut être dur à avaler pour les gouvernements, les investisseurs et les contribuables, d’autant plus que la plupart d’entre eux veulent réduire les coûts et atténuer les menaces. Les entreprises de services publics et autres ont du mal à mesurer la valeur de l’atténuation des risques; c’est une tâche difficile exposée aux critiques.

Pour améliorer les analyses de rentabilité de leurs investissements, les parties prenantes doivent repenser leur définition de l’abordabilité en tenant compte de l’incidence des pannes électriques sur la production économique. Il est certes difficile d’attribuer une valeur pécuniaire aux investissements nécessaires pour protéger le réseau, mais le coût de l’inaction sera presque certainement plus élevé, compte tenu de notre dépendance future plus grande à cette infrastructure vieillissante. Les pannes de courant ont tendance à survenir lorsque nous avons le plus besoin d’électricité, par exemple pendant les épisodes de froid ou de chaleur extrême, ce qui peut aggraver les conséquences de ces événements – voire mettre en péril des vies humaines.

Pensons à la tempête de verglas qui a causé l’effondrement de pylônes électriques sur de vastes parties du Québec et de l’Ontario en 1998. Les conséquences économiques de cette tempête ont été estimées à plus de cinq milliards de dollars2. Dans le même ordre d’idées, le coût du gel qui a paralysé le Texas en 2021 aurait atteint 300 milliards de dollars, selon certaines estimations3. Dans les deux cas, la majeure partie des dépenses effectuées après les faits a servi à réparer le réseau électrique.

Une approche moderne de la sécurité et de la résilience du réseau électrique

Une réévaluation exhaustive de la manière dont nous abordons la sécurité du réseau s’impose. Prenons ce qui se passe actuellement en Ukraine, où la population subit des pannes de courant à répétition à cause des attaques perpétrées contre le réseau électrique national. Peut-être avons-nous l’impression que des tensions géopolitiques de cette nature représentent une source de risques lointaine, mais il est important de retenir de cette situation que les circonstances peuvent changer très rapidement. Les principales parties prenantes doivent adopter une approche programmatique descendante pour assurer la mise en place d’une gouvernance et de processus adéquats afin de renforcer le réseau électrique.

Des travaux de modélisation fondés sur des scénarios et faisant appel à la cartographie géospatiale de l’infrastructure, associés à une compréhension approfondie des menaces, peuvent aider les gestionnaires d’actifs à comprendre les risques à court terme aussi bien qu’à long terme pour le réseau électrique et les centrales électriques afin d’aider les acteurs sectoriels à prioriser leurs investissements. Les scénarios peuvent couvrir des situations isolées ou une combinaison de situations de telle sorte que les cyberattaques, les attaques physiques et les phénomènes météorologiques soient pris en compte. La constitution de cette capacité suppose qu’il sera nécessaire d’avoir des données détaillées et exactes sur l’infrastructure, dont des cartes du réseau fondées sur la connectivité topologique. À la lumière de ces informations, le degré d’importance de l’infrastructure pourra être évalué, les points de rupture potentiels pourront être cernés et mis en correspondance avec les menaces et les vulnérabilités pourront être éliminées du réseau (p. ex. en construisant des barrières physiques pour protéger les installations).

Jusqu’à présent, les phénomènes météorologiques ont causé les dommages les plus extrêmes, mais les cybermenaces doivent prioritairement retenir l’attention. Depuis plusieurs années, Eurasia Group, un cabinet indépendant qui étudie les risques politiques et économiques, nous avertit que nous sommes actuellement à un « point de bascule en cybersécurité4». Les cyberattaques toucheront tous les aspects de l’économie, mais le réseau électrique représente une cible possible d’attaques commanditées par des États. Le piratage éthique peut aider à repérer les vulnérabilités du réseau. Ce travail doit être allié à la capacité de détecter des comportements irréguliers et d’y réagir.

Il peut être difficile de demander à des équipes internes de repérer les vulnérabilités et de trouver des solutions afin de renforcer l’infrastructure physique et numérique du réseau. Ces équipes sont généralement trop absorbées par leurs responsabilités courantes pour mener à bien ce travail. Des fournisseurs de services externes peuvent être en mesure de déceler plus efficacement les angles morts des points de vue de la cybersécurité, de l’environnement et de la réglementation et d’assurer la mise en conformité des capacités nécessaires pour que nous soyons toujours en alerte.

Faire équipe avec les collectivités autochtones

La résilience est impossible sans une étroite collaboration avec les peuples autochtones du Canada. La Commission de vérité et réconciliation réclame des grandes sociétés qu’elles adoptent les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et obtiennent un consentement éclairé avant d’aller de l’avant avec leurs projets.

Les normes de présentation de l’information selon les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) évoluent vers l’intégration des relations autochtones parce que cet aspect est maintenant demandé par les actionnaires et les investisseurs des sociétés cotées en bourse. Au Canada, les changements d’ordre législatif apportés par des gouvernements en faveur de l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ont été bien accueillis en Colombie-Britannique, et le projet de loi C-15 du gouvernement fédéral permettra leur mise en œuvre. Les peuples autochtones sont donc en position favorable pour jouer un rôle décisif dans la transition énergétique.

Aujourd’hui, les peuples autochtones utilisent l’énergie propre comme outil pour promouvoir l’équité et leur autonomie. Ils se positionnent de manière à répondre à leurs propres besoins énergétiques par la voie de collaborations fructueuses et ils dirigent des projets énergétiques et possèdent des lignes de transmission. Dans un contexte où les Autochtones mènent leurs propres projets dans le domaine de l’énergie, des partenariats avec les communautés des Premières Nations offrent au secteur privé aussi bien qu’au secteur public de nouvelles possibilités d’exercer une influence importante sur l’avenir de l’énergie propre.

Il se peut que de nombreux projets destinés à augmenter considérablement la capacité de production d’électricité au Canada traversent des territoires autochtones ou y soient implantés et aient des retombées locales. Les communautés touchées doivent immédiatement participer au débat. Le dialogue ne peut être précipité si l’on veut obtenir leur adhésion. Les communautés autochtones, dont un grand nombre n’ont pas accès à des spécialistes de l’énergie et des services publics sur place, ont besoin de temps pour mobiliser les gens et étudier minutieusement les ententes afin de comprendre les retombées potentielles des projets sur leur territoire, leur culture et leur mode de vie. Dans le même esprit, même si un projet se limite à une communauté, cela n’exclut pas la nécessité de faire participer les communautés voisines, en particulier si le projet risque de perturber les activités de chasse et de pêche dans les environs. Chaque communauté est autonome et doit prendre part au dialogue d’une manière respectueuse de ses protocoles et de son pouvoir décisionnel distincts.
Ayant une conscience aiguë des conséquences des changements climatiques, les communautés autochtones peuvent jouer un rôle inestimable dans l’avancement de projets carboneutres en raison de leur excellente connaissance du développement durable et de l’aménagement du territoire. Ces communautés veulent contribuer en tant que partenaires à la construction et à l’exploitation d’un réseau électrique plus propre et plus résilient.

À l’heure actuelle, 20 % des projets d’énergie propre ou renouvelable au Canada sont dirigés par des peuples autochtones5. Nous devons accélérer les travaux, mais, pour ce faire, il importe aussi que ces communautés aient un meilleur accès à des capitaux. Comme un grand nombre de projets n’ont pas fait leurs preuves, l’obtention d’un financement peut se révéler difficile. Le soutien pourrait prendre la forme de nouvelles subventions et de nouveaux incitatifs destinés à aider les communautés autochtones à mener des analyses de rentabilité et des analyses opérationnelles ainsi qu’à obtenir des garanties de prêts et à accéder à des moyens de financement à des taux préférentiels ou raisonnables.

Il faut agir dès maintenant!

En somme, le renforcement de la résilience du réseau électrique n’est qu’un volet des travaux aux multiples facettes qui sont nécessaires pour préparer l’électrification et la transition énergétique. Si le rendement des capitaux investis n’est pas clairement établi, il reviendra aux pouvoirs publics et au secteur de l’énergie de maintenir l’abordabilité. Compte tenu des risques émergents, les uns et les autres devront peut-être prendre l’initiative d’investir pour alléger le fardeau des particuliers et de la clientèle commerciale.

Plutôt que de se demander si nous pouvons nous permettre de rendre le réseau électrique le plus résilient possible, demandons-nous si nous pouvons nous permettre de ne pas le faire.

Contributeurs et contributrices

Jason Rasevych
Associé, leader nat., Serv. clients autochtones
jrasevych@deloitte.ca

Arshad Majeed
Associé, Comptabilité et contrôles internes, Énergie, ressources et produits industriels
amajeed@deloitte.ca

D’Arcy Moynaugh
Associé, Cybersécurité et gestion des risques stratégiques, Énergie, ressources et produits industriels
dmoynaugh@deloitte.ca

Jean-Francois Allard
Associé, leader national, Gestion de crises et résilience
jeallard@deloitte.ca

1Black Kite. The 2021 Ransomware risk pulse: energy sector, 2021.
2Gouvernement de l’Ontario, Ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique. Developing Ontario’s Next Adaptation Plan, mai 2017.
3Aguila, Julian. Cost of last year’s winter storm could reach $300 billion new report says, KERA News, février 2022.
4Bremmer, Ian et Cliff Kupchan. Risk 6: Cyber tipping point, Eurasia Group, janvier 2021.
5Stephenson, Amanda. Indigenous communities leading Canada’s clean energy boom, BNNBloomberg, mars 2023.

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